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En 1998, R.S. Stroud a publié une extraordinaire inscription sur pierre trouvée en 1986 à l’agora d’Athènes, en réemploi.1 Cette inscription donne à lire des informations sur une loi de 374/3 av. J.-C., qui permet de voir les institutions d’Athènes au travail. La loi concerne deux taxes, la première, une taxe d’1/12 e sur le grain des îles Lemnos, Imbros et Skyros, la deuxième, une taxe d’1/50 e, dont le caractère est plus difficile à définir. La taxe du douzième, quant à elle, est en fait modifiée par la loi de l’inscription: elle devra dorénavant être perçue en nature, plutôt qu’en argent. L’inscription est complexe et on pourrait dire qu’elle représente le pire cauchemar des épigraphistes: un texte complet en beau grec classique mais qui reste en partie obscur. C’est donc une bonne idée que d’avoir organisé un colloque sur le thème de la loi de 373/4 en 2006, colloque dont les actes sont maintenant publiés.
On nous permettra un mot d’abord pour dire ce que l’on ne trouvera pas dans le volume. Aucune nouvelle étude n’est présentée sur l’aspect physique de la pierre, en particulier sur le curieux panneau ondulé qui surmonte les lignes de l’inscription et qui était sans doute peint, comme Stroud l’avait écrit en 1998 en invitant sans succès à de nouvelles recherches sur ce sujet.2 Sauf erreur de ma part, aucune tentative n’a pas non plus été faite dans le livre pour proposer de nouvelles restaurations à l’unique endroit où le texte est vraiment endommagé, l. 25-26, lorsqu’il est fait mention d’un sekoma, d’un instrument pour mesurer le grain.3 C’est un signe de la valeur de la première édition du texte.
Il aurait sans doute fallu, après le bilan introductif de Stroud (également auteur des mots de conclusion), non pas reléguer en fin de volume, mais placer en première position l’article de Cristina Carusi, La legge di Agirrio e le syngraphai ateniesi di IV secolo, qui aurait pu s’intituler « Pourquoi on ne comprend pas la loi d’Agyrrhios ». Par une étude détaillée du langage du document et par la comparaison avec d’autres textes épigraphiques, Carusi montre que l’inscription ne donne pas à proprement parler le texte de la loi ou du contrat avec les fermiers, ni assez d’éléments pour en comprendre précisément tous les tenants et aboutissants. L’inscription ne doit pas être comprise stricto sensu comme un texte légal, mais comme une annonce générale qui permet de vanter les mérites politiques d’Agyrrhios. Carusi propose aussi que l’inscription était dressée auprès du bâtiment qu’elle mentionne: l’Aiakeion, que Stroud a identifié avec un bâtiment de l’agora d’Athènes. La lecture de ce bel article est nécessaire pour comprendre ce que les autres études du livre peuvent ou ne peuvent pas offrir, pour comprendre pourquoi presque tous les autres articles du volume ne concernent pas tant directement la loi elle-même, que son esprit ou son contexte institutionnel, économique et social.
Par l’étude du calendrier, des mois mentionnés dans la loi, Leopold Migeotte quant à lui, montre bien que le blé recueilli par la taxe du 1/12 e avait un effet de soudure entre deux années, permettait de dépanner les gens au moment où leurs réserves arrivaient à leur fin, avant les nouvelles récoltes.
Comme nous venons de le dire, même s’ils se rattachent plus ou moins étroitement à quelques points de la loi de 374/3, les autres articles présentent des études plus générales, ce qui ne retire rien à leur qualité. Voici, à notre avis, quels sont les apports majeurs du livre. Vu la complexité du dossier, et la longueur de certains articles, il est probable que d’autres recenseurs y trouveront d’autres points positifs. Corsaro offre une bonne étude comparative avec les affermeurs de taxe en Sicile connus par Cicéron et une bonne synthèse sur les taxes directes et indirectes connues en Grèce. Erdas a écrit une fine analyse juridique, économique et sociale des gens qui se portaient garants des fermiers de taxe, et elle montre bien les réseaux d’affaires qu’ils pouvaient nouer entre eux. Fantasia présente d’intéressantes considérations sur la carrière d’Agyrrhios et son aspect populiste. Les articles d’Ampolo et Fantasia sont importants pour l’étude de l’approvisionnement des cités grecques et des politiques menées contre les famines et disettes jusqu’à l’époque romaine. Même si elle manque de conclusion, l’étude de Magnetto est intéressante comme elle déploie un bon panorama de mesures civiques destinées à promouvoir les échanges commerciaux, en insistant en particulier sur le droit. Enfin, Faraguna offre une belle contribution sur les mécanismes de la ferme d’impôts à Athènes, touchant aussi à la concession et à la location de lieux publics, et il s’attaque, lui, directement à un des points les plus controversés de l’inscription: la définition des meris et la façon dont les fermiers (et les historiens modernes) pouvaient estimer leurs gains avec ces taxes.
Gallo, quant à lui, essaie de trouver une circonstance précise et une disette particulière a laquelle rapporter la création initiale de la taxe du 1/12 e, mais, en 8 pages, il ne fait pas beaucoup de progrès sur l’hypothèse que Stroud avait développée en un paragraphe.
Les grands absents du volume sont les contribuables des taxes, et c’est regrettable car leur étude permettrait peut- être de mieux comprendre plusieurs faits notables de la loi d’Agyrrhios. Il est d’autant plus important de les prendre en compte qu’ils étaient citoyens athéniens, comme la majorité des savants s’accorde à le penser. Même s’ils n’ont très probablement pas physiquement pris part au vote, il n’est pas déraisonnable d’imaginer que les points du vue et intérêts des clérouques de Lemnos, Imbros et Skyros ont été considérés par les créateurs de la loi. Il faut en tenir compte lorsque on essaie de la comprendre, ainsi que ses modifications. On s’est ainsi parfois étonné de l’existence d’un impôt personnel à Athènes, mais il ne faut pas oublier que la taxe du 1/12 e alimentait le fonds des stratiotika, le fonds des dépenses militaires. Les habitants des trois îles, qui venaient d’être reconcédées à Athènes lors de la Paix d’Antalcidas en 387, étaient en première position en cas de nouveau conflit armé. Ces agriculteurs entreprenants connaissaient les avantages économiques et la fertilité des îles, mais ils étaient aussi bien conscients des risques qu’ils prenaient en s’installant loin d’Athènes et donc de la nécessité d’une armée forte. Ensuite, on a parfois été surpris par la transformation d’une taxe en argent en taxe en nature. Or, une étude numismatique publiée suite aux fouilles archéologiques récentes, par des équipes italiennes, de l’ile de Lemnos fait penser que les habitants de cette ile souffraient d’un défaut de numéraires.4 On peut alors imaginer que les clérouques aient préféré se passer d’intermédiaires banquiers ou autres hommes d’argent et qu’il ait été plus facile pour eux de payer la taxe en nature. A moins bien sûr qu’il se soit agi de rendre le travail des fermiers et des percepteurs des taxes plus aisé et plus profitable. Le talent d’homme politique d’Agyrrhios consistait à satisfaire plusieurs parties de la société athénienne en utilisant une seule loi pour au moins trois buts différents: améliorer l’approvisionnement en blé de la ville à un moment dans l’année difficile, faciliter à la demande de ses contribuables la perception d’une taxe et renforcer la part de budget militaire d’Athènes.5
La traduction anglaise de l’inscription par Stroud, reproduite depuis l’édition de 1998 et rendue en partie obsolète, une traduction en italien par Fantasia, meilleure car plus récente, une photographie de la stèle de l’inscription, une bibliographie d’une trentaine de pages et des index (sources, noms de personnes et noms géographiques) cloturent le volume. La qualité des articles de synthèse et des études de détail de ce volume en font un livre que je recommande pour toutes les bibliothèques consacrées à l’antiquité gréco-romaine, mais aussi, grâce à son prix raisonnable, à toute personne intéressée par l’histoire économique et sociale et par l’histoire d’Athènes.
Table des matières
Presentazione, 9
Ronald S. Stroud, Introduction, 11
Léopold Migeotte, Le grain des îles et l’approvisionnement d’Athènes au IVe siècle avant J.-C., 27
Carmine Ampolo, Le motivazioni della legge sulla tassazione del grano di Lemno, Imbro e Sciro e il prezzo di grano e pane, 39
Ugo Fantasia, La politica del grano pubblico nelle città greche: alcune riflessioni a partire dalla legge di Agirrio, 67
Mauro Corsaro, Il nomos di Agirrio e la tassazione diretta del grano nel mondo greco, 99
Michele Faraguna, Il sistema degli appalti pubblici ad Atene nel IV sec. a.C. e la legge di Agirrio, 129
Luigi Gallo, Il nomos di Agirrio e una testimonianza di Demostene, 149
Anna Magnetto, Incentivi e agevolazioni per i mercanti nel mondo Greco in età classica ed ellenistica, 159
Donatella Erdas, Il ricorso ai garanti solvibili nei documenti ateniesi di età classica, 187
Cristina Carusi, La legge di Agirrio e le syngraphai ateniesi di IV secolo, 213
Ronald S. Stroud, Future Research on the Athenian Grain Tax Law, 235
La legge. Editio princeps (R.S. Stroud), 243
English translation (R.S. Stroud), 245
Traduzione italiana (U. Fantasia), 247
Illustrazione, 249
Bibliografia generale, 251
Indice delle fonti antiche, 283
Indice dei nomi antichi, 295
Indice dei luoghi, 299
Notes
1. R.S. Stroud, The Athenian Grain-Tax Law of 374/3 B.C. (Athènes-Princeton, 1998) (= Hesperia Supplement 29); voir le compte-rendu de P.J. Rhodes, BMCR 1999.03.13. Nous prions les éditeurs et les lecteurs de la BMCR de nous excuser pour notre retard à soumettre ce compte-rendu.
2. On peut voir une petite photographie de l’inscription sur la page internet annonçant le colloque de 2006: Scuola Normale Superiore di Pisa, Normale News on the Web 30/5/2006.
3. L’exemple d’Eleusis, mentionné par Stroud en 1998, a été publié, et on peut l’admirer grâce à une belle photographie du site internet de la Cornell University Library, Mysteries at Eleusis. Images of Inscriptions.
4. A. Polosa, La moneta e la circolazione, in Hephaestia 2000-2006 éd. par E. Greco et E. Papi (Paestum-Athènes, 2008), p. 139-164. Sur les nouvelles recherches concernant les clérouques, on peut écouter sur internet l’enregistrement de la conférence donnée le 16 avril 2010 au Collège de France par E. Culasso Gastaldi: Athènes et « les établissements au-delà des bornes » (Xénophon, Mém. II 1) : les clérouquies de Lemnos, Imbros et Skyros.
5. Sur les talents et la réputation politiques d’Agyrrhios, voir aussi W.E. Major, Farting for Dollars: A Note on Agyrrhios in Aristophanes Wealth 176, AJPh 123, 4, (2002), p. 549-557 (absent dans la bibliographie).