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D. Marcotte a donné en 2000 dans la Collection des Universités de France une édition du poème géographique du pseudo-Scymnos,1 en introduction de laquelle il proposait d’identifier le poète anonyme à Apollodore d’Athènes (seconde moitié du IIe siècle av. J.-C.). Le livre de B. Bravo entend prendre le contre-pied de cette dernière hypothèse.
En six chapitres et cinq appendices, l’ouvrage se donne pour but d’embrasser l’étude à la fois du poème géographique du pseudo-Scymnos (y compris les fragments qui en subsistent) et de la Chronique perdue d’Apollodore d’Athènes, l’un des plus célèbres ouvrages chronographiques de l’Antiquité. Ainsi consacre-t-il, après une introduction sommaire (p. XIII-XXIV), un premier chapitre (p. 1-29) à tenter d’établir que le pseudo-Scymnos ne saurait être Apollodore lui-même; le chapitre 2 (p. 30-111) est une étude de détail des vers 139-253 du poème du pseudo-Scymnos, pris à titre d’échantillon, où l’auteur se concentre surtout sur le peu de souci du poète pour ce qui touche à l’actualisation de l’information; il y propose également nombre d’analyses de l’ Ora Maritima d’Avienus. Le chapitre 3 (p. 112-158) propose une réflexion sur la structure qui devait être celle de la Chronique d’Apollodore. Bravo s’y oppose à l’idée ancienne de F. Jacoby2 selon laquelle la charpente en était constituée par l’histoire politique, et les autres informations distribuées à l’occasion. Il penche pour une organisation chronologique au sein de laquelle les informations de toute sorte (histoire politique, dates de fondation de cités, précisions sur la biographie des auteurs, etc.) auraient été strictement mises sur le même plan, sans prépondérance d’un type d’information sur les autres. L’étude du livre IV de la Chronique fait l’objet d’un développement séparé (p. 139-158). Dans son chapitre 4 (p. 159-183) Bravo se met en devoir de passer en revue toutes les fondations de cités contenues dans le poème et les fragments du pseudo-Scymnos. Pour les fondations des cités du Pont-Euxin, majoritairement connues par des fragments livrés par la prose du Périple du Pont- Euxin d’un pseudo-Arrien, Bravo s’emploie, à la suite de C. Müller, A. Meineke, A. Diller et d’autres, à reconstruire les vers du pseudo-Scymnos, tantôt en suivant les auteurs que l’on vient de citer, tantôt en proposant ses propres reconstructions, tâche qu’il trouve avoir été négligée par l’édition de D. Marcotte (il écrit dans son introduction, p. XXIII: “Je pense que D. Marcotte a surestimé la part de subjectivité que comporte la reconstruction des vers du Ps.-Skymnos, et sous-estimé l’utilité de cette opération”). Le chapitre 5 (p. 184-198) s’interroge sur le système des synchronismes adopté par le pseudo-Scymnos pour dater certaines fondations de cités du Pont-Euxin, système qui consiste à prendre pour points de repère la domination des Mèdes, des Perses, l’avènement de Cyrus, etc. Bravo expose l’idée que cette méthode est propre au pseudo-Scymnos, mais que ces diverses informations ont toutes été tirées de la Chronique d’Apollodore; le pseudo-Scymnos aurait, de son propre chef, omis la date archontale ou celle fournie d’après le système des Olympiades pour ne conserver que les éléments synchrones de l’histoire de l’Asie, dans le but, d’après Bravo, de complaire au roi Nicomède III, destinataire du poème, qui aurait pu concevoir la monarchie bithynienne comme l’héritière de la succession bien connue des empires (Assyriens, Mèdes, Perses, Macédoniens). Le chapitre 6 (p. 199-228) enfin constitue une réflexion où l’auteur s’interroge sur les dates que la Chronique d’Apollodore attribuait à ces événements de l’histoire de l’Asie que l’on retrouve chez le pseudo-Scymnos, et aux fondations de cités mises en relation par lui avec ces événements. Suivent cinq appendices (p. 231-260) dans lesquels Bravo entend démontrer (1) qu’Apollodore a bel et bien assigné une date à la fondation de Rome (Ol. 7, 2 = 751/750) contrairement à l’opinion la plus répandue à ce sujet; (2) que si la mention de la fondation d’Olbia pontique (F. 10 Marcotte) chez le pseudo-Scymnos remonte bel et bien à Apollodore, les précisions relatives à sa situation géographique proviennent d’une autre source; (3) que le texte d’Hérodote, II, 33, 2-3, relatif au cours de l’Istros, est empli d’interpolations tardives; (4) qu’il en est de même pour Hérodote, I, 103, 2, au sujet du souverain mède Cyaxare; enfin (5) où Bravo passe en revue les diverses sources relatives à l’invasion de l’Asie par les Cimmériens.
L’ensemble est extrêmement érudit et informé, et fourmille d’analyses de détail souvent très profitables et ingénieuses, une qualité qui, à mon avis, constitue en même temps l’une de ses deux principales faiblesses, dans la mesure où il s’en trouve marqué par un certain défaut de structure. Malgré les renvois constants faits par l’auteur de l’un à l’autre des chapitres de son ouvrage, on y discerne mal une réelle progression d’ensemble (même si la succession des chapitres 4-6, il est vrai, se tient assez bien). L’auteur lui-même l’a bien vu (p. XX : “Ce livre a une structure complexe. Elle me paraît cohérente, mais elle risque d’être peu visible dans la masse touffue des interprétations et hypothèses concernant des questions disparates”) mais le fait qu’il le constate lui-même ne pallie pas ce défaut. Je signalerai une autre faiblesse de cet ouvrage: si bien des analyses prises séparément conservent au fond toute leur pertinence, l’idée de départ (qui fait l’objet du chapitre 1, et sur laquelle prend appui tout le reste de la réflexion) est que l’hypothèse de D. Marcotte sur l’identification du pseudo-Scymnos avec Apollodore d’Athènes est fausse (p. 7). Or, les bases sur lesquelles repose cette assertion paraissent elles-mêmes fragiles: Bravo s’appuie principalement (p. 13-17) sur la lecture que lui-même, après d’autres (Haase, Müller), a tentée d’un passage du prologue du pseudo-Scymnos, notoirement mutilé dans le manuscrit unique ( Parisinus Suppl. Gr. 443), en proposant de ce passage une reconstitution métrique; il prétend pouvoir y reconnaître le nom d’Apollodore, qui y serait cité comme source par le pseudo-Scymnos. On imagine que beaucoup auront du mal à croire qu’un texte que tous les savants peinent à déchiffrer depuis le XIXe siècle, et où récemment encore D. Marcotte n’a rien vu de lisible, ait enfin révélé ses secrets. Son raisonnement devient d’une extrême complexité quand il s’oppose à D. Marcotte sur un autre point, toujours en vue de détruire l’hypothèse de ce dernier. D. Marcotte a soutenu, sur la foi du vers 91 du pseudo-Scymnos, que le titre du poème était γῆς περίοδος, titre par ailleurs confirmé par Strabon, XIV, 5, 22, qui attribue précisément à Apollodore d’Athènes la paternité d’un ouvrage de ce titre; Bravo (p. 21-25) prend le contre- pied de cette interprétation et développe l’idée que la γῆς περίοδος citée par Strabon est en fait identique au περὶ γῆς que cite fréquemment Etienne de Byzance en l’attribuant à Apollodore (D. Marcotte en fait deux ouvrages de caractère totalement distinct), et que cet ouvrage était en réalité un pseudo-Apollodore, dont il attribue la paternité au pseudo-Scymnos lui-même, supposant que ce dernier aurait fait un faux Apollodore par esprit de rivalité vis-à- vis du tout récent ouvrage géographique d’Artémidore d’Ephèse. Des arguments en eux-mêmes si contestables et fragiles me semblent, par les brèches qu’ils ouvrent à la critique, affaiblir grandement le projet d’ensemble.
On n’en trouvera pas moins dans l’ouvrage de Bravo, une fois prises séparément, nombre d’analyses ou d’hypothèses stimulantes. La reconstruction des vers du pseudo-Scymnos proposée dans le chapitre 4 (même si, quoique l’auteur en dise, la part de subjectivité demeure très grande en cette matière) est souvent digne d’intérêt. De même son chapitre 3, où la reconstruction proposée de la structure de la Chronique d’Apollodore semble fort vraisemblable, et son chapitre 6, où le travail consacré à la recherche des dates qu’attribuait Apollodore aux principaux événements de l’histoire de l’Asie est particulièrement fouillé.
En résumé l’ouvrage de Bravo trouvera plus de prix par ses riches analyses particulières que par le projet global, assis sur des bases fragiles et souffrant d’un certain défaut de structure.
Sommaire de l’ouvrage
Abréviations bibliographiques p. IX-XII.
Introduction p. XIII-XXIV.
Chapitre 1: Mon concitoyen Apollodore, connu de tous. L’Anonyme dit le Pseudo-Skymnos face à Apollodore d’Athènes p. 1-29.
Chapitre 2: Une périégèse du monde de jadis. Notes aux vv. 139-253 du Pseudo-Skymnos et considérations sur sa vision du présent et du passé p. 30-111.
Chapitre 3: La structure de la Chronique d’Apollodore et la place des ktiseis et de l’histoire de la culture dans l’ouvrage p. 112-158.
Chapitre 4: Les dates des fondations de cités chez le Pseudo-Skymnos p. 159-183.
Chapitre 5: Sens chronologique et sens idéologique des dates du Pseudo-Skymnos p. 184-198.
Chapitre 6: Quelques événements de l’histoire de l’Asie et quelques ktiseis du Pont-Euxin d’après la chronologie d’Apollodore p. 199-228.
Appendice 1: La fondation de Rome selon Apollodore et d’autres auteurs antiques p. 231-241.
Appendice 2; Le témoignage du Pseudo-Skymnos sur le lieu où Olbia Pontique aurait été fondée et sur les noms de cette cité p. 242-244.
Appendice 3: Hérodote II, 32-34 sur le Nil, l’Istros et la ville de Pyrenè: texte authentique et interpolations p. 245-252.
Appendice 4: Kyaxare et le début de l’empire mède selon Hérodote et le Pseudo-Hérodote p. 253-255.
Appendice 5: Récits sur les Cimmériens p. 256-260.
Notes
1. Géographes Grecs. Introduction générale. Pseudo-Scymnos, Paris, Les Belles Lettres, 2000.
2.Voir Apollodors Chronik. EineSammlung der Fragmente, Philologische Untersuchungen 7, Berlin, 1902; commentaire relatif à FGrHist. 244, F. 1-87.