« Pompeii is the great laboratory of the Roman archaeologist » notent d’emblée les éditeurs du volume. Et en effet, à Pompéi, les édifices bien préservés qui composent la ville antique comme la multiplicité des documents disponibles à l’intérieur de ceux-ci, des graffiti aux peintures murales et aux mille et un équipements de la vie quotidienne, fournissent une source intarissable d’enquêtes sur la société romaine et ses cadres de vie. De cette variété des approches permise par le site et sa documentation, ce livre donne un bon aperçu par la dizaine d’articles abordant des sujets aussi différents que les ornements (bas-reliefs, plaques d’obsidienne ou de verre, sculptures diverses, etc.) intégrés dans la décoration des maisons (Jessica Powers), le cycle statuaire installé dans le jardin de la maison d’Octavius Quartio (Francesca C. Tronchin), l’utilisation des portiques et des cryptoportiques dans les grandes villas de Stabies ou d’Herculanum (Mantha Zarmakoupi), l’interprétation de la célèbre frise des Amours de la maison des Vettii (Francesco de Angelis), la fréquentation des maisons après le tremblement de terre de 62 ap. J.-C. vue à travers l’organisation des chantiers de restauration (Michael Anderson), l’installation des fullonicae dans l’atrium des maisons (Miko Flohr), la production locale des céramiques (Myles McCallum), l’organisation des rues dans l’espace urbain (Alan Kaiser), la contamination des populations locales par le plomb (Duncan Keenan-Jones, John Hellstrom, Russell Drysdale) ou la restructuration de l’aire forale dans la dernière décennie avant la catastrophe (Eric Poehler). C’est au fond un « antipasto misto » que propose cette publication, où chacun ira s’informer, en fonction de ses sujets de recherches, où chacun ira également juger de la pertinence des méthodes utilisées.
Le buffet propose d’abord une série de contributions sur la décoration et l’architecture somptuaire des maisons. J. Powers s’intéresse aux objets décoratifs placés dans les murs peints. La maison des Amours Dorés offre en la matière une étude de cas significative avec pas moins de dix-huit ornements insérés dans les murs, la plupart dans le péristyle qui constitue l’espace représentatif de la maison (l’atrium est en effet dans cette maison réduit au rôle de vestibule). On note en particulier un relief votif grec d’Aphrodite du IVe siècle av. J.-C., des fragments de bas-reliefs à motifs théâtraux et des panneaux d’obsidienne placés comme le note l’auteur à des endroits stratégiques. Cette pratique ornementale est d’ailleurs rare, attestée dans quelques maisons seulement dont certaines sont modestes (par exemple I, 2, 10 ou I, 13, 16) et renvoie sans doute à des sens très divers selon les cas. Relevons cependant que le relief représentant Aphrodite dans le grand péristyle de la maison des Amours Dorés a de toute évidence un lien avec le paysage religieux et les grands dieux de la cité. On trouvait en effet dans le portique, successivement le laraire de la maison (avec la triade capitoline, les Lares et Mercure) puis le sanctuaire d’Isis installé dans l’angle sud- est, enfin une représentation de la grande déesse locale, Vénus sous la forme d’un relief votif acheté sur le marché des antiquités. De la même façon et pour rester près des dieux, les têtes de Bacchus et d’Hercule ornant les parois du triclinium de la maison I, 13, 16 forment avec la peinture de Vénus les divinités du banquet qui accompagnaient les convives. C’est également d’interprétation d’images qu’il s’agit dans l’analyse du cycle statuaire de la maison d’Octavius Quartio fouillée en 1916/1921. On peut noter pour commencer la piètre qualité des œuvres disposées dans le péristyle et le jardin, le long du canal. On est ici loin de la qualité des œuvres que l’on peut rencontrer par exemple à Pouzzoles ou à Cumes ! À Pompéi, le rang social et la culture du propriétaire pouvaient s’exprimer par l’exposition dans sa maison d’un bric-à-brac hétéroclite de pièces en marbre de tailles diverses et pour la plupart rapiécées ou brisées. On peut aussi s’interroger, comme le fait l’auteur, sur le sens des œuvres exposées, un mélange d’égyptomanie et d’évocations d’un paysage rustique. Voilà donc la maison d’un homme de bonne compagnie qui n’avait certainement pas le standing d’un décurion de Pouzzoles ou de Naples. Celui-ci était également un bon connaisseur du temple d’Isis et de la famille de la déesse, si l’on tient compte des sept statuettes égyptiennes disposées dans le petit jardin péristyle, notamment de celle représentant Bès, dieu protecteur de la petite enfance et de la maternité. L’article de M. Zarmakoupi revient, à propos des portiques et des cryptoportiques des grandes villas (Oplontis, San Marco, Arianna, Papyri), sur l’emprunt fait aux architectures monumentales dans le développement des demeures privées. La célèbre frise des Amours qui décore un salon de la maison des Vettii est ensuite commentée par F. de Angelis. L’auteur a très certainement raison d’intégrer le thème dans une opposition entre otium et negotium à laquelle tenaient les propriétaires, affranchis ou non, qui exprimaient aussi toutefois leur attachement à la culture élitiste du banquet comme le démontrent la procession bachique et les Amours vendangeurs représentés sur la paroi nord de la salle.
Quittant le monde des images, M. Anderson nous amène dans des maisons encombrées par des matériaux de chantier. Il montre, par la localisation des matériaux de construction et des chantiers de restauration, que l’on continuait à vivre dans beaucoup de maisons, cela malgré la succession des évènements sismiques et les gênes occasionnés par les réparations après le tremblement de terre de 62. C’est en effet sur une certaine continuité de la vie locale dans les derniers temps de la cité que semblent insister les études récentes ; l’idée de familles ayant déserté la ville et d’une importance accrue prise par les affranchis et les activités artisanales a fait son chemin. M. Flohr montre par exemple que l’installation d’activités artisanales dans les maisons ne signifiait pas forcément l’abandon d’une occupation domestique. La fullonica de Stephanus en est un exemple convaincant. L’atelier n’a pas remplacé la maison, mais il a été installé dans une maison de la rue de l’Abondance. Les cuves et lieux de traitement des tissus sont en effet localisés dans l’atelier de façade ainsi que dans l’arrière-cour ; le reste de la maison étant bien entendu consacré à la vie domestique des entrepreneurs ou de leurs représentants. La fullonica VI, 8, 20-21 mélange de la même façon activités résidentielles et artisanales, même si les peintures religieuses des piliers est de la cour renvoient à l’expression symbolique d’un corps de métier (il ne s’agit pas d’un laraire privé associant les Lares au génie du paterfamilias) : de toute évidence, même si l’on vivait dans la maison, celle-ci était essentiellement investie par l’activité artisanale et le groupe des artisans. Une activité moins connue à Pompéi est la production de céramiques. M. McCallum revient fort à propos sur les deux ateliers identifiés, l’un dans la nécropole de la porte d’Herculanum, l’autre près de la porte de Nocera (I, 20, 2-3), soulignant en particulier la standardisation et le peu de variété de la production locale qui répétait les mêmes formes. Plus intrigant est le panneau peint représentant des potiers et retrouvé à l’entrée de la maison I, 8, 10 qui ne montre pourtant aucune installation artisanale. La présence de Minerve sur la peinture (et de possibles ludi sur la partie droite) montre qu’il s’agit là également de la représentation canonique, affichée sur la façade de la maison, d’un corps de métier, en l’occurrence ici celui d’un groupe de potiers ; c’est donc peut-être dans cette maison qu’habitait l’entrepreneur ou son représentant.
Les rues de Pompéi montrent une variété de situations qu’il est malaisé de faire correspondre à la terminologie latine ( via, platea, angiportum, semita) même si la via et la platea renvoient plutôt selon A. Kaiser à des rues larges comportant des aménagements comme les portiques ou arcs honorifiques. Le chapitre sur la contamination par le plomb apporte sans nul doute une contribution originale. L’analyse des dépôts carbonatés relevés dans l’aqueduc principal, à l’extérieur de la ville ( Aqua Augusta), montre en effet que l’empoisonnement provient des conduites en plomb utilisées pour la distribution de l’eau à l’intérieur de l’espace urbain. Une dernière contribution offre une lecture de la restructuration complète du forum après le tremblement de terre de 62, appuyée sur les modifications apportées aux systèmes de drainage de la zone publique.
Cet ouvrage offre finalement toutes les commodités et la variété des saveurs d’un véritable « antipasto misto » italien. L’offre est abondante et l’on y goûte ce que l’on aime ou ce que l’on préfère.