BMCR 2011.11.21

Colloquial and Literary Latin

, , Colloquial and Literary Latin. Cambridge; New York: Cambridge University Press, 2010. xviii, 515. ISBN 9780521513951. $110.00.

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La notion même de colloquial Latin échappe à toute définition et plus particulièrement aux Anglo-Saxons, immunisés contre la théorie par une longue tradition d’empirisme pragmatique. Deux tendances se dessinent cependant assez nettement. La première rassemble ceux qui croient en la capacité où nous serions de distinguer le langage littéraire de l’oralité lettrée ; la seconde fédère ceux qui, par tradition, voient du latin vulgaire dans tout ce qui n’est pas littéraire. Le problème est assurément ardu et en l’occurrence se complique encore de ce que la notion de literary Latin ne fait pas l’objet d’une définition qui permettrait de fixer au moins une limite à partir de laquelle déterminer le degré de liberté de la parole individuellement proférée par un locuteur cultivé qui se sentirait en mesure d’aménager à sa convenance, mais sans rompre l’intercommunication, les normes les plus strictes d’une langue devenue artificiellement complexe et sociologiquement très investie. C’est cette oscillation entre liberté et contrainte qui fonde la difficulté à décrire le colloquial Latin comme un code de pleine grammaticalité.

David Langslow (“Foreword”, p. xiii-xviii) retrace la carrière de J. N. Adams, à qui l’ouvrage est dédié.

Eleanor Dickey (“Introduction”, p. 3-6) et James Clackson (“Colloquial language in linguistic studies”, p. 7-11) témoignent de la difficulté qui se pose en matière de taxinomie des variétés du latin. Un standard language (p. 11) est un objet dégagé par sélection, codification, élaboration et validation. On regrettera qu’un chapitre dévolu à de la linguistique théorique ne comporte pas un mot sur l’opposition saussurienne entre langue et parole, ni sur la notion de diasystème porteur en synchronie de variantes dénotées sociologiquement et/ou stylistiquement.

Rolando Ferri et Philomen Probert (“Roman authors on colloquial language ”, p. 12-41). Leur enquête vaut pour son abondance doxographique. On relèvera que, si les orateurs s’inquiètent du maniement des variantes diastratiques de la partie cultivée du diasystème latin, les grammairiens ne visent souvent qu’à la conservation d’une langue qui n’est plus la leur. Leur compétence de locuteurs natifs ne leur permet plus d’interpréter intuitivement des usages classiques qu’ils n’appréhendent souvent qu’à travers une pratique analytique qui leur est devenue purement scolaire. Il y a par conséquent fort à parier que leur appréhension des variances diastratiques ne soit que les échos de leurs propres bibliographies.

Anna Chahoud (“Idiom(s) and literariness in classical literary criticism”, p. 42-64) observe les hésitations d’une taxinomie que les chercheurs voudraient rigoureuse. Il faut ajouter que, pour les locuteurs cultivés de l’époque classique, il fallait maintenir solide un rempart dressé contre l’émotionnel et le relâché de la diction populaire ; mais en deçà de ce rempart beaucoup était permis. En outre, des textes qui nous sont parvenus, presque tous appartiennent à cette couche d’artificialité qui constituait le haut du diasystème latin. Qui peut encore croire que Plaute écrivait ce qu’il parlait !

Eleanor Dickey (“Preliminary conclusions”, p. 65-68). La notion de colloquial Latin, n’est pas pertinente en linguistique parce qu’elle est axiologique et que l’artificialité du latin écrit efface les traces de l’oralité. On rappellera que la saussurienne parole est une variance propre à chaque individu et à chaque circonstance ; elle rend vaine ab ouo la grammaticalisation complète de la langue parlée.

Wolfgang David Cirilo de Melo (“Possessive pronouns in Plautus”, p. 71-99). La tactique des possessifs ne semble commandée que par une volonté focalisatrice floue. L’hyperbate relèverait de la volonté d’art. La présence de groupes du type suus sibi et l’absence de ceux du type meus mihi laisse penser à la constitution d’une lexie adverbiale qui restera propre à l’oralité. Les emplois de suus et de eius ne sont pas encore grammaticalisés.

Paolo Poccetti (“Greeting and farewell expressions as evidence for colloquial language : between literary and epigraphical texts”, p. 100-126) examine la part personnelle de la remotivation émotionnelle d’énoncés topiques/phatiques en recourant à la pragmatique des actes de langage ( speech acts). L’émotionnel passe par le perlocutif tandis que les variations sont moins personnelles qu’il n’y paraît, puisque certaines d’entre elles s’observent également dans le fonds italique.

Hilla Halla-aho et Peter Kruschwitz (“Colloquial and literary language in early Roman Tragedy”, p. 127-153). Un examen lexical et morpho-syntaxique d’une langue qui n’a pas encore été filtrée n’y montre rien de distinctivement colloquial; on y voit en revanche nombre d’oralismes. On ajoutera que la standardisation classique témoigne surtout d’une désoralisation par des choix langagiers les plus éloignés possible de la pratique orale et populaire. Artificiellement complexe, le latin deviendra un moyen de sélection sociale.

John Briscoe (“The fragments of Cato’s Origines ”, p. 154-160) tire peu, mais rappelle que la matière même des Origines requérait l’emploi d’expressions non littéraires. On ajoutera que le De Agricultura montre Caton en locuteur d’un latin d’une oralité toute artificielle : il faut se méfier des poses stylistiques !

J. G. F. Powell (“Hyperbaton and register in Cicero”, p. 163-185). L’hyperbate est plutôt rare chez Cicéron ; c’est un moyen expressif d’oralité que Cornelius Nepos et Tite-Live auraient adopté plus librement. On ajoutera que l’hexamètre montre que l’hyperbate antéposée est un moyen que les poètes utilisent pour mettre l’adjectif en évidence en créant un effet d’attente.

Harm Pinkster (“Notes on the language of Marcus Caelius Rufus”, p. 186-202). La lettre, substitut d’un dialogue, n’est pas rédigée dans le langage courant ; le non pompeux suffit. On ajoutera que l’on trouvera confirmation de cela dans le chapitre De epistulis de l’ Ars rhetorica de Caius Iulius Victor.

Tobias Reinhardt (“Syntactic colloquialism in Lucretius”, p. 203-228). Une bonne partie des oralismes de Lucrèce sont d’ordre syntaxique et renforcent le munus persuadendi. On ajoutera qu’ils appuient une force émotionnelle telle que l’on n’en trouvera que chez les premiers apologètes chrétiens. En outre, un peu d’oralité lui vient du vocabulaire technique auquel il emprunte beaucoup.

Andreas Willi (“Campaining for utilitas : style, grammar and philosophy in C. Julius Caesar”, p. 229-242) examine le De analogia et signale que les fragments de ses contiones le montrent en usager occasionnel d’oralismes sans doute usuels dans le sermo castrensis. On ajoutera qu’il sait moduler ses rudesses : si le Bellum Gallicum est d’une langue plus orale que le Bellum ciuile, ce n’est évidemment pas parce le bon César aurait perfectionné son style !

Jan Felix Gaertner (‟The style of the Bellum Hispaniense and the evolution of Roman historiography”, p. 243- 254) La laxité du style le situe à mi-chemin du style coloré et personnel des annalistes républicains et de l’équilibre plus dépouillé de Tite-Live, de Quinte-Curce et même de Tacite. On ajoutera que ce mouvement était en cours au moment où Tite-Livre rédigeait une première décade encore pleine d’effets absents des parties plus tardives de ce qui subsiste de son œuvre.

Richard F. Thomas (“Grist to the mill : the literary use of the quotidian in Horace, Satire 1,5″, p. 255-265) montre que le sermo cottidianus peut fonctionner comme un langage littéraire. On ajoutera que le sermo cottidianus utilisé en contraste (Apulée, Pétrone) ne vaut que comme ornatus et non comme elocutio globale.

Stephen J. Harrison (” Sermones deorum : divine discourse in Virgil’s Aeneid“, p. 266-278) détecte des traces d’oralité dans les quatre entretiens divins qui ponctuent l’Enéide. L’auteur peine parfois à séparer l’oralisme du poétisme. On ajoutera que l’oratio uincta de la poésie, par sa proximité avec l’oralité, permettait des tours d’un expressionnisme propre à celle-ci, parfois interprétés à tort comme des archaïsmes, tels les pluriels dits « poétiques ».

Martti Leivo (“Petronius’ linguistic ressources”, p. 281-291). Se limite au tour curabo + subjonctif et aux usages du présent en fonction de futur. On signalera que le français oral ne connaît presque pas le futur auquel il substitue régulièrement un présent marqué par un circonstant : « Tu fais quoi demain ? ».

Kathleen M. Coleman (“Parenthetical remarks in the Silvae“, p. 292-317). Les parenthèses donnent au poème le tour d’une conversation orale ; les exemples ovidien et cicéronien sont sollicités. On ajoutera que la pratique de la parenthèse doit beaucoup à l’instabilité argumentative propre à une oralité qui cède volontiers au discours tangentiel ; l’effusif Ovide est un émotionnel qui résiste mal à la tentation de la tangence argumentative.

Nigel M. Kay (“Colloquial Latin in Martial’s epigrams”, p. 318-330) examine quelques passages où Martial expose sa conception du jeu diastratique. Son attention se porte sur son usage de la parenthèse, des sens obscènes de negare, dare, facere, posse et uelle et enfin sur l’emploi des suffixes en –arius.

Leofranc Holford-Strevens (“Current and ancient colloquial in Gellius”, p. 331-338). Aulu-Gelle emprunte volontiers ses oralismes au fonds des poètes archaïques ; ce qui n’a rien pour surprendre. On ajoutera qu’il faut sans doute les voir également investis d’une fonction phatique assez fortement dénotée qui en fait les marqueurs non seulement d’une attitude stylistique plus générale, mais aussi d’une adhésion à un mouvement esthétique qui fédère également Fronton et, mais dans un moindre mesure, un Apulée qui s’en amuse.

Brigitte L. M. Bauer (“Forerunners of Romance – ment in Latin prose and poetry”, p. 339-353) considère les constructions ablatives du type adjectif + substantif psycho-corporel du type aequo animo. C’est par la poésie que ces tournures passent dans l’usage courant où elles vont se lexématiser et se remotiver. La poésie possède une capacité d’expérimentation qui permettait ce genre de construction ; on peut aussi penser que c’est par sa plus grande oralité que la poésie rendait la frontière diastratique plus poreuse. Ces lexies ablatives se sont vraisemblablement comportées comme les figements d’ablatifs absolus, sur le modèle français « maintenant » < « main » + « tenant ».

Giovannibattista Galdi (“Late sparsa collegimus : the influence of sources on the language of Jordanes”, p. 357-375) montre que le style des sources de Jordanès déteint sur le sien propre. L’auteur s’étonne des variations stylistiques d’un texte dans lequel il décèle d’assez abondants hyperurbanismes. On les créditera à un désir de style chez un auteur qui en a oublié la recette exacte, comme Grégoire de Tours ; à moins que, comme Commodien, il tente de proposer à un public faiblement cultivé une qualité de langue plus littéraire, tout en se gardant de complications qui la rendraient inintelligible.

Danuta Shanzer (“The tale of Frodebert’s tail”, p. 376-405) fournit une introduction générale aux lettres de Frodebert et d’Importunus (fin 7e s.). Le texte de prose paraît rimé. On avancera que sa très forte colométrie reflète une vieille pratique attestée par Jérôme dans ses prologues de la Vulgate ( Is.; Ez.; Paralip.) et prouve que ce n’est pas par l’architecture textuelle que les anciens différencient la prose de la poésie. La colométrie rimée signale entre autre l’équivalence phonétique de ad donum et de annon(a)e (1,3), de palato et de (1,7) adoratus.

Michael Lapidge (“Colloquial Latin in the Insular Latin scholastic colloquia ? “, p. 406-418) Le De aliquibus raris fabulis est un texte britannique de la fin du Ve s. ou du début du VIe s., vraisemblablement rédigé par les derniers locuteurs natifs du latin. Des traces de latin classique ( acc. c. inf.) laissent à penser qu’ils sont inspirés de modèles plus anciens – à moins que ces traces ne soient que le reflet d’une langue partiellement conservatrice, ou en incertitude de fixation, tel le français qui a conservé la possibilité d’un infinitif en complémentation d’un verbe de communication entrante (« je vois les enfants jouer // que les enfants jouent »), voire sortante lorsque les verbes ont un même sujet (« Il prétend lire // il prétend qu’il lit »). Les observations phonologiques sont douteuses, car le manuscrit n’est que du IXe s. et une bonne part de ses écarts graphiques doivent refléter la langue du copiste.

Michael Winterbottom (“Conversation in Bede’s Historia Ecclesiastica“, p. 419-430). Les segments rapportés au style direct témoignent d’un oralisme de bon aloi qui ne doit rien à ce qui s’entendait au début du VIIIe siècle, mais à ce que ses auteurs favoris – le Jérôme des Vitae en tête – se permettaient dans leur propre pratique du style direct.