BMCR 2011.09.28

Die Elegien des Properz: eine Interpretation

, Die Elegien des Properz: eine Interpretation. Darmstadt: WBG Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2010. 373. ISBN 9783534232130. €49.90.

Cet ouvrage est un commentaire systématique des quatre livres des Elégies de Properce sans texte latin ni traduction, précédé par un bref avant-propos et une introduction générale de 19 pages et suivi par une bibliographie divisée en deux sections traditionnelles (principales éditions de l’œuvre, commentées ou non, puis ouvrages critiques généraux sur le recueil et sur des thèmes utiles à sa compréhension et à son explication, telle la question très débattue des genres en poésie antique).1 L’ensemble comporte quelques fautes d’impression aisées à rectifier à la lecture et présente l’avantage de réunir en un volume unique le commentaire d’une œuvre très dense, ce qui facilitera les recherches des spécialistes.

Le commentaire est placé sous le signe d’un double avertissement exprimé dans l’avant-propos.

D’abord, Hans Peter Syndikus dit vouloir expliquer Properce comme naguère Horace et Catulle,2 en insistant sur les aspects littéraires de l’œuvre plus que sur ses aspects historiques, sociologiques et politiques (ce qui ne signifie pas que ceux-ci soient passés sous silence). Sont donc abordées en priorité les questions de structure interne et de thématique ; l’histoire littéraire n’est naturellement pas absente de l’étude mais le propos est d’abord de mettre en évidence ce qui fait l’originalité du poète. L’utilisation incessante de topoi littéraires et les allusions intertextuelles ne l’empêchent nullement de produire sur presque tous les sujets quelque chose de radicalement nouveau : le travail du commentateur sera de dire quoi. Cette précision sur sa posture scientifique lui permet également de rendre hommage à son principal modèle en la matière : Paolo Fedeli, auteur d’un commentaire en quatre volumes sur les Elégies qui fait toujours autorité.3

Ensuite, Syndikus refuse délibérément de trancher sur la question de l’état du texte de Properce et de ses conditions de transmission. Les lecteurs du poète savent que son œuvre est sujette à de nombreuses interrogations ; des passages obscurs voire incompréhensibles, des successions thématiques apparemment peu logiques ont encouragé certains éditeurs à remettre en question la tradition manuscrite et à proposer parfois une refonte radicale de telle élégie, voire du recueil lui-même, à la faveur de déplacements de distiques et de divisions de poèmes là où ils supposaient des lacunes ou interpolations. Syndikus reconnaît l’aspect salutaire du questionnement de cette lignée de rénovateurs4 mais professe pour sa part une certaine confiance dans la transmission ; sans ignorer pour autant ces problèmes, il rejoint donc la lignée des conservateurs et choisit de suivre pour l’essentiel l’édition de Fedeli chez Teubner (1984) en ne mentionnant que des difficultés ponctuelles de compréhension.

Cette posture conservatrice s’étend à l’approche et à la présentation de l’œuvre. Comme ses prédécesseurs, Syndikus en est réduit à des conjectures en ce qui concerne la biographie très lacunaire du poète et la date de composition des Elégies, avec pour principale source d’informations Properce lui-même : ce qu’il veut bien nous dire de lui dans ses poèmes (il se présente comme un jeune homme de la bonne société d’Assises dépossédé de ses terres et menant à Rome une vie oisive) est confirmé par peu de sources extérieures. C’est également le recueil qui fournit les dates de publication des livres par des allusions aux événements historiques bien référencés ; là encore, le commentateur rejoint les déductions les plus répandues dans la littérature critique.5 Enfin, la question de l’insertion de Properce dans une lignée littéraire, celle d’un genre (l’élégie romaine) et de ses modèles et représentants, est capitale. A la suite de ses inspirateurs grecs, l’élégie latine inscrit volontiers le récit de légendes et de mythes dans un cadre personnel, dont l’énonciation marque l’inflexion vers l’émotion et le sentiment. Pour Syndikus, l’élégie propertienne se caractérise quant à elle par l’omniprésence de cette énonciation et par une extrême concentration autour d’un unique objet d’amour : Cynthia.

Cependant, Syndikus va plus loin que beaucoup de commentateurs récents dans la tentative de recomposition, sinon de reconstitution, de la vérité biographique cachée sous les poèmes. Cette tendance, abandonnée au moins depuis les écrits de Paul Veyne,6 est assurément très nuancée par le spécialiste ; ainsi, il insiste sur le fait que le recueil n’est pas le récit chronologique d’un amour vécu, mais bien plutôt une représentation artistique des divers états de l’amour (avec une préférence pour son versant malheureux), ce qui est amplement étayé par le détail du commentaire. Il lui semble tout de même que le personnage de Cynthia repose sur des éléments biographiques conformes à la réalité historique et qui l’apparenteraient à une hétaïre grecque : elle est cultivée, non mariée mais aisée puisqu’elle a des serviteurs et une maison où, sur la base de certains vers, Syndikus affirme qu’elle vit… avec sa mère. Il ne semble pas envisager la possibilité que cette figure soit une construction artistique très librement inspirée de la réalité. Dans la même perspective, le commentateur met le lecteur en garde contre ce qu’il nomme la mode de la persona, du locuteur ou encore du « je » lyrique : selon lui, c’est bien la voix de Properce qu’il faut entendre derrière chaque inflexion de celle d’ ego et il n’y a pas lieu de croire que cette énonciation relève d’une fiction où « je » ne serait qu’un personnage à ne pas confondre avec le poète lui-même. Là encore, il s’agit d’une prise de recul très nette par rapport aux tendances récentes de la critique et d’un avertissement contre certains de ses excès, auxquels il convient cependant de se demander si Syndikus n’en opposerait pas d’autres en accordant une importance peut-être trop grande à la soi-disant véracité des émotions exprimées dans les Elégies, qui sont, selon lui, une marque de l’écriture propertienne.

Caractéristique de l’élégie latine et déjà observée chez Catulle et Gallus, la place centrale de l’être aimé est renforcée par Properce dans son livre 1 : à cet égard, le premier vers de 1.1, où figure le nom de Cynthia (également titre du livre à sa première publication), est éminemment programmatique. Les hauts et les bas de la relation amoureuse sont donc les thèmes principaux d’un livre où les sujets politiques sont tenus à distance, ce qui changera au livre 2 suite à l’entrée dans le cercle de Mécène. Ce deuxième livre, selon Syndikus, a une structure plus complexe que les premier et troisième :7 devenu célèbre et évoluant dans l’entourage de Mécène, Properce est invité à pratiquer une poésie plus politique, ce qu’il refuse dans ses diverses recusationes.8 Corrélativement, la prédominance des thèmes amoureux et la position centrale de Cynthia sont réaffirmées, de même que l’inscription dans une tradition née de la poésie hellénistique (notamment Callimaque et Philétas de Cos) et que reprirent les Latins Catulle, Gallus et Calvus. Le livre 3 s’ouvre sur des préoccupations métapoétiques : ses cinq premiers poèmes sont marqués par une certaine hauteur de style et par l’hommage toujours répété aux prédécesseurs élégiaques grecs.9 Le thème amoureux y reste central mais connaît, sous l’influence du livre 1 des Odes d’Horace, une variation nouvelle : il y est traité plus légèrement, voire ironiquement, jusqu’à la rupture définitive en 3.24-25. Enfin, l’hétérogénéité thématique du livre 4 témoigne de la difficulté du poète à renouveler son inspiration ; l’évocation des origines de Rome, sur laquelle il s’ouvre, est à la mode après les guerres civiles et c’est donc l’étiologie qui séduira le poète sans qu’il abandonne pour autant le thème amoureux si étroitement lié à la forme élégiaque qui a fait son succès. A cet égard, Syndikus formule une hypothèse nouvelle : Properce aurait eu l’ambition, après la publication de l’ Enéide, de suivre les pas de Virgile en composant un grand poème à la gloire d’Auguste mais la réussite de son camarade fut telle qu’il y renonça et s’en tint à l’élégie étiologique.

Le détail du commentaire est par ailleurs d’une très grande richesse, nourri par la connaissance de l’imposante bibliographie critique et appuyé sur une lecture précise du texte. Conformément aux objectifs fixés dans l’avant- propos, la méthode consiste à présenter le thème principal du poème, à le replacer si nécessaire dans son contexte historique,10 à en dégager les enjeux littéraires en mettant en évidence ses échos grecs et romains11 et à en expliciter le sens par groupes de vers thématiquement unis. A la faveur de cette explication, les liens entre exempla mythologiques et situation particulière du poète, les éléments de composition interne (étayés par l’étude du lexique et de l’enchaînement des thèmes), les éventuels problèmes textuels font l’objet de clarifications utiles au lecteur parfois gêné par le caractère allusif de l’écriture propertienne. Les choix textuels sont toujours liés au commentaire : les divisions ou réunions de poèmes sont commandées par l’observation de la répartition des thèmes dans des groupes de vers successifs12 et les propositions de corrections ponctuelles s’appuient sur la quête d’un sens satisfaisant. L’ensemble accompagnera de manière assurément très bénéfique la lecture du recueil, problématique par bien des aspects mais dont la richesse continue d’être révélée commentaire après commentaire.

Notes

1. Cette bibliographie n’est d’ailleurs pas exhaustive : nombre de références critiques citées dans les notes n’y sont pas reportées. Syndikus prévient lui-même tout reproche sur ce point en affirmant n’y avoir inclus que les études sur lesquelles il s’est principalement appuyé, non celles portant sur des points de détail et qui surchargeraient la bibliographie car la littérature scientifique sur les Elégies est très abondante. Manquent également toutes les autres sources antiques, pourtant fréquemment utilisées en notes, en particulier pour éclairer les allusions aux intertextes grecs ou latins : Catulle, Horace, Ovide, Tibulle, Virgile mais aussi l’ Anthologie Palatine, Callimaque, Théocrite ou Théognis.

2. Die Lyrik des Horaz. Eine Interpretation der Oden, Darmstadt, 2 volumes, 1972-1973 ; Catull. Eine Interpretation, Darmstadt, 3 volumes, 1984, 1987 et 1990.

3. Publiés en 1965 (livre 4), 1980 (livre 1), 1985 (livre 3) et 2005 (livre 2).

4. Voir notamment Goold (1999), Hutchinson (2006), Giardina (2005) et Heyworth (2007). L’auteur n’a pas eu le temps d’y ajouter la nouvelle édition de Giardina (2010) dont le compte rendu pour la BMCR fut récemment rédigé par Donncha O’Rourke (BMCR 2011.06.48).

5. Livre 1 : 30 ou 29 av. J.-C., livre 2 : 26 ou 25, livre 3 : 23 ou 22 et livre 4 : 16.

6. L’élégie érotique romaine : l’amour, la poésie et l’Occident, Paris, 1983.

7. Syndikus semble globalement peu intéressé par les tentatives d’analyse de la structure générale du recueil : voir les deux brefs états de cette question, qui ne prétendent d’ailleurs nullement à l’exhaustivité, p. 17 et 106 (n. 2). Il reconnaît des procédés récurrents de composition (prologues et épilogues, groupes d’élégies thématiquement unies ou au contraire opposées selon le principe de variatio) et signale ponctuellement des éléments allant dans ce sens (les interlocuteurs récurrents Tullus et Gallus ou encore l’organisation thématique des livres, ainsi la réunion en 4.4 des thèmes amoureux et étiologique séparés dans le reste de la section) mais n’en fait pas à proprement parler un axe de commentaire.

8. Parmi les poèmes programmatiques du livre 2, voir notamment 2.1, 2.7, 2.13, 2.25, 2.34 et, au livre 3, 3.1-5, 3.9, 3.17, 3.24-25.

9. A l’exception des poèmes explicitement métalittéraires (voir note précédente mais aussi 1.1, 1.7 ou 4.1), Syndikus accorde une part peu importante au métapoétique dans la lecture de Properce. Ainsi, il ne considère pas que le Gallus mentionné en 1.13 et 1.20 soit le poète élégiaque évoqué en 2.34 et fait de ces deux textes une lecture strictement amoureuse et mythologique sans envisager qu’ils puissent représenter une conversation entre poètes sur les lois de l’écriture érotique.

10. Voir le début du commentaire de 3.4 sur la guerre contre les Parthes ou celui de 4.11 sur la mort de Cornélie.

11. Voir le commentaire de 3.3 et l’étude du motif métalittéraire de la source qui détermine l’inspiration des poètes qui s’y abreuvent ; Syndikus renvoie naturellement sur ce point au prologue des Aitia de Callimaque et s’interroge sur d’autres origines possibles de l’image.

12. Ainsi, 2.18, qui fut divisée jusqu’à quatre fois—Viarre (2005)—, n’est ici séparée qu’en deux (1-22 et 23-38) parce qu’aux yeux du commentateur, elle ne comporte que deux thèmes distincts ; de même 2.24 (les vers 1-16 sont réunis à 2.23), 2.29 (1-22 et 23-42) et 2.30 (1-12 et 13-40). Inversement, Syndikus considère de manière pertinente que 2.28 et 4.1 présentent une unité thématique claire et n’ont pas lieu d’être divisés.