BMCR 2010.12.36

Rites funéraires à Lugdunum

, Rites funéraires à Lugdunum. Paris: Éditions Errance, 2009. 253. ISBN 9782877724067. €32.00 (pb).

Ce volume collectif vient en complément de l’exposition « Post Mortem, rites funéraires à Lvgdvnvm » qui s’est tenue du 2 novembre 2009 au 26 septembre 2010 au musée gallo-romain de Lyon-Fourvière,1 un évènement reconnu d’intérêt national en raison de sa qualité scientifique mais aussi des efforts menés en termes de médiation culturelle et d’ouverture à un large public. Il s’agissait, à partir de la trame antique et des travaux récents de l’archéologie préventive, de saisir les différents visages de la mort tout en générant chez le visiteur un questionnement légitime sur le trépas en tant qu’événement inéluctable commun à tout groupe social, et sur la place occupée par les disparus chez les vivants à travers l’appréhension des funérailles, rites périodiques et lieux mémoriels. Cette orientation pédagogique explique le format spécifique du présent livre, sa mise en page accrocheuse ainsi que l’insertion très régulière de magnifiques photos et illustrations. Leur présence est agréable et le charme opère indéniablement au gré de ce voyage au cœur de l’univers des défunts.

La lecture s’ouvre sur un avant-propos de C. Goudineau et J. Lasfargues, dont la démarche se résume ainsi : « montrer les résultats des recherches en faisant comprendre ce qu’elles signifient au plan humain » (p. 10). L’antiquisant sera surpris eu égard à l’introduction qui suit (C. Goudineau, « L’archéologie et la mort », p. 13-23), car l’Antiquité y occupe une place réduite au milieu des stèles mexicaines contemporaines aux dédicaces savoureuses : « Ici repose mon épouse bien-aimée. Seigneur, reçois-la avec la même joie que je te l’envoie » et d’une conclusion énigmatique au sujet des obsèques du chanteur Michael Jackson.

Viennent ensuite six chapitres rédigés de manière individuelle ou collective qui font à l’occasion l’objet de subdivisions et d’encarts internes. Ces « pages bleues » qui coupent la structure narrative se révèlent très instructives mais le choix de ne les intégrer qu’en partie au sommaire (p. 5-6) laisse un peu perplexe. Sur le plan organisationnel, les argumentations relatives à une thématique similaire auraient pu être rassemblées : la dédicace sub ascia est traitée à la fois par H. Savay-Guerraz (« L’énigme de l’ ascia », p. 70-71) et plus loin par N. Aubry (p. 149-150).

Le chapitre 1 (M. Poux-J.-C. Golvin, « De la veillée au tombeau-la procession funéraire », p. 25-62) livre une efficace synthèse axée sur l’enjeu du funus, des traitements appliqués aux corps ou encore du ius imaginum. L’ensemble est parsemé de sous-exposés archéologiques plus pointus, qui insistent sur les découvertes lyonnaises relatives aux procédés mortuaires et funéraires : N. Garnier-T. Silvino, « Quand l’analyse chimique révèle des décoctions de plantes », p. 37-38 ; J. Flück, « Les monnaies découvertes dans les tombes », p. 39 ; J. C. Béal, « Les lits funéraires à décors d’os », p. 40 ; A. Galliègues, « L’éclairage dans le cadre funéraire », p. 44. Cette partie s’achève sur une superbe fresque peinte par J.-C. Golvin, représentation librement inspirée des longues processions de l’ Ara Pacis à Rome et de diverses peintures, reliefs ou sculptures antiques. Ces tableaux donnent une bonne idée du déroulement matériel de la procession funèbre (p. 47-61).

Le chapitre 2 (H. Savay-Guerraz, « Les découvertes funéraires à Lyon, des antiquaires aux fouilles récentes », p. 63-81) retrace le rôle originaire prédominant des inscriptions dans l’étude du culte funéraire, des premiers inventaires épigraphiques dressés par le magistrat Claude Bellière (1487-1557), l’homme de lettres Gabriel Syméoni (1509-1570) et le chanoine Guillaume Paradin (vers 1510-1590) aux premiers commentaires émanant du médecin Jacob Spon (1647-1685) qui livra de précieuses analyses en matière d’archéologie funéraire. Sont ensuite évoquées les fouilles de la nécropole de Trion sous l’égide d’Auguste Allmer (1815-1899) et Paul Dissard (1852-1926), puis les premières études anthropologiques du préhistorien André Leroy Gourhan (1911-1986) et enfin le développement de l’archéologie préventive qui permit d’obtenir des résultats spectaculaires.

Après un bref rappel des interdictions relatives à l’ensevelissement in urbe et une parenthèse thématique mentionnant les rubriques 73 et 74 de la Lex coloniae Genetivae Iuliae,2 le chapitre 3 (L. Tranoy, « A Lvgdvnvm : espaces des vivants, espaces des morts », p. 83-114) s’attarde sur la situation et la forme des nécropoles lyonnaises. On découvre en leur sein la présence récurrente, pourtant assez rare en Gaule, de grands mausolées. Les monuments de Trion, placés à la confluence de voies majeures de circulation tout en étant accolés à la fois au pied d’un plateau et à flanc de pente, offrent un bel exemple d’une scénographie funéraire qui prend appui sur la topographie environnementale. De nombreuses tombes plus modestes ont été mises à jour dans les terrains périurbains, sépultures dont le noyautage remet en cause le modèle habituel des tombeaux agglutinés le long des routes. L’exposé s’achève par une présentation de l’agencement interne des espaces funéraires à travers l’analyse des sites de La Favorite I et de La Favorite II, lieux situés sur l’actuelle colline de Fourvière et réputés appartenir à la nécropole majeure de Lyon. Ces fouilles ont permis d’exhumer certains éléments remarquables comme le coffret d’un oculiste recélant entre autres une vingtaine de collyres sous forme solide, qui fut vraisemblablement déposé à la fin d’une crémation, sur les restes du bûcher en fosse (p. 113-114).

Le chapitre 4 (D. Fellague, « Les mausolées de Lvgdvnvm », p. 116-133) retrace tout d’abord l’historique des recherches menées depuis la fin du XIXème s. sur les mausolées de Trion, pour la plupart des édifices quadrangulaires à édicule sur podium, dont l’érection daterait de l’époque tardo-républicaine voire impériale. Le monument familial des Acceptii est plus ancien, il fut sans doute réalisé au IIIe s. av. J. C. par le décurion et duumvir de la colonie Quintus Acceptius Firminus et sa femme pour leur bénéfice et celui de leur progéniture. Parmi bien d’autres constructions, il faut signaler le célèbre tombeau des Deux-amants, probablement construit sous le haut-empire, un monumentum qui est une véritable « curiosité lyonnaise » (p. 127) dont la destination et les destinataires ont nourri tant de conjectures de la part de ceux qui ont voulu en percer le secret.

Le chapitre 5 (N. Laubry, « Les inscriptions funéraires des monuments lyonnais », p. 135-154) traite des sources épigraphiques. Ces pages très denses abordent toute la substance de cette documentation : relation de l’inscription avec la sépulture, évolution des formulaires, portée juridique des énoncés au regard des servitudes d’accès ou des titulaires de la tombe etc. Un encart (F. Bérard, « Quand les morts dialoguent avec les vivants », p. 145) rappelle que l’épitaphe initie une interaction entre les trépassés et les vivants, qui se retrouve dans la production lyonnaise.

L’ultime chapitre (6 F. Blaizot, « Rites et pratiques funéraires à Lvgdvnvm du Ier au IVe s », p. 155-185) approche les significations et mises en œuvre des rituels. De ce passionnant récit émergent toutes les évolutions de l’archéologie « moderne ». Le déploiement de méthodes de fouilles spécifiques, associées à l’application systématique d’analyses anthropologiques, et surtout l’attention minutieuse accordée au traitement des objets et matières retrouvés dans les tombes (dépôts végétaux ou carnés, préparations alimentaires diverses, vaisselles, vases, mobilier, lampes, etc.) autorisent désormais une approche ethnographique des pratiques funéraires. On retiendra en particulier, mais pas seulement, les lignes consacrées aux inhumations d’enfants en terroir auvergnat (p. 179-182). Confrontés aux témoignages littéraires antiques, toutes ces données restituent d’abord la complexité des rites propres à la religion romaine (traitement du cadavre, offrandes etc.), mais débouchent aussi sur des questions d’ordre sociologique et culturel, tout en mettant en exergue certaines spécificités locales. La grande masse d’informations traitées a généré quelques approximations comme l’affirmation (p. 156) selon laquelle « le tombeau est une propriété privée dans la législation romaine ». Les sépultures désignées loca religiosa ou res religiosae par les juristes de Rome devaient s’ériger au sein de loca privata;3 c’était l’une des conditions juridiques de leur constitution. Mais elles faisaient, dès que leur vocation était scellée par le dépôt d’un corps, l’objet d’une derelictio aux Mânes.4 Ce principe impliquait, pour faire court, leur soustraction à toute forme d’appropriation humaine, qu’elle soit privée ou publique, aussi les sepulchra étaient-elles frappées suivant les cas d’une inaliénabilité relative ou absolue.

Après une sorte de conclusion (« In fine », J.-C. Golvin-C. Goudineau) prenant la forme d’un texte inspiré du livre 6 de l’Énéide virgilienne, le lecteur est invité à parcourir divers annexes. Le premier (F. Blaizot-V. Bel-C. Bonnet-M. Cabanis-P. Caillat-L. Orengo-A. Wittmann, « Les méthodes de l’archéo-anthropologie funéraire », p. 205-226) détaille les procédés d’investigation archéologique les plus récents qui réunissent des spécialistes d’horizons divers (céramologues, archéozoologues, carpologues etc.) autour d’un dessein commun.

Le deuxième (G. Grévin, « Les crémations sur bûchers : de nos jours et dans l’Antiquité », p. 228-235) décrit le phénomène physique complexe de la combustion des corps humains, puis les procédés de destruction des défunts par le feu à Rome, en Inde ou au Népal.

L’annexe 3 (S. Rey, « Recueil de textes antiques », p. 237-253) sera utile à l’historien autant qu’il permettra au néophyte curieux de se confronter directement à quelques sources littéraires et épigraphiques. Le relevé n’est évidemment pas exhaustif comme le précise l’auteur. Certains textes juridiques auraient mérité de figurer dans ce corpus, d’autant plus qu’ils sont aussi peu volumineux que représentatifs. On pense par exemple à un responsum du juriste sévérien Ulpien qui définit la sépulture5 ou à un passage de son contemporain Paul qui résume, à travers l’analyse du cas limite de l’ensevelissement d’une tête coupée, toute l’anthropologie corporelle des Romains en matière funéraire.6 Ceux-ci n’envisageaient d’inhumation ou de crémation que d’une entité indivise représentée par son chef ( caput) qui valait corps en sa totalité. Enfin, la bibliographie (p. 251-253) fait un peu double emploi avec les listes proposées en fin de chaque développement par leurs rédacteurs respectifs (p. 23, 40, 46, 81, 106, 133, 153, 185, 226-227) car des titres se recoupent. L’essentiel ou presque y figure, avec les études classiques de Ph. Ariès, E. Morin, L. V. Thomas, J. J. Hatt, R. Turcan pour la mort en général et l’archéologie, ou encore l’ouvrage du grand romaniste belge F. de Visscher sur le droit des tombeaux. D’autres renvois sont très généraux : la synthèse d’histoire religieuse de J. Scheid, « Religion et piété à Rome » déjà citée p. 45, s’occupe des activités cultuelles collectives et civiques des Romains et ne traite pas précisément du monde des morts. Au moins deux autres ouvrages français auraient mérité référencement : F. Hinard-M.-F. Lambert (dir.), « La mort au quotidien dans le monde romain », Paris, 1995 et surtout l’édition de la loi de Pouzzoles, assortie d’abondants commentaires, parue il y a déjà quelques années à l’initiative de F. Hinard-J.-C. Dumont (dir.), « Libitina. Pompes funèbres et supplices en Campanie à l’époque d’Auguste », Paris 2003, dont certains extraits traduits auraient pu par ailleurs figurer dans l’annexe 3.

Ces défauts mineurs n’entachent en rien la belle qualité de cet ouvrage original et réussi. Le croisement disciplinaire (histoire, historiographie, épigraphie, archéologie…) est appréciable et permettra à chacun d’acquérir ou de compléter ses connaissances. Certes, le spécialiste de la mort antique aura sans doute l’impression d’évoluer en terrain connu, à l’exception peut-être de l’archéologue à la recherche d’informations sur la région lyonnaise voire auvergnate. Il n’en reste pas moins que ce livre constituera un excellent support, à la fois pédagogique, clair et précis, pour aborder les diverses figures du trépas dans le monde gallo-romain. Il remplit ainsi parfaitement son rôle supplétif vis-à-vis de l’exposition qui en a motivé l’écriture.

Notes

1. Se reporter à http://www.musees-gallo-romains.com/fourviere/exposition/index.html.

2. Cf. P.-F. Girard-F. Senn, « Les lois des Romains », tome 2 des « Textes de droit romain », Naples1977, C. IV, n°3, p. 200-222.

3. Cette contingence est suggérée à diverses reprises : Digeste 1.8.6.4 ; 2.14.61 ; Institutes de Justinien 2.1.9 ; Gaius 2.6.

4. Gaius 2.4.

5. Digeste 11.7.2.5.

6. Digeste 11.7.44.