BMCR 2010.12.33

Gemme dei civici musei d’arte di Verona. Collezioni e Musei Archeologici del Veneto 45

, Gemme dei civici musei d'arte di Verona. Collezioni e Musei Archeologici del Veneto 45. Roma: Giorgio Bretschneider editore, 2009. ix, 249; lxvi p. of plates. ISBN 9788876892592. €188.00 (pb).

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Les Civici Musei d’Arte di Castelvecchio de Vérone abritent l’une des plus importantes collections de gemmes d’Italie septentrionale, riche de quelque 2300 documents, jusqu’ici en grande partie inédits. Son étude avait été confiée il y a plusieurs années à l’Université de Milan, sous la direction de Gemma Sena Chiesa, la grande spécialiste de la glyptique aquiléenne,1 qui a pu s’assurer les compétences d’Alessandra Magni (pour les gemmes antiques) et de Gabriella Tassinari (pour les gemmes modernes).2 Regroupant 1025 numéros, soit un peu moins de la moitié du corpus, ce bel ouvrage se concentre sur les figures masculines et féminines, à l’exception des portraits qui, avec les symboles, feront l’objet d’un prochain volume.

Gemma Sena Chiesa signe un chapitre introductif qui relate l’histoire de la collection et met en exergue ses particularités. Quelque 1700 gemmes appartenaient au comte Jacopo Verità (1744-1827) avant d’être cédées en 1842 à la ville de Vérone. Conformément à l’anticomanie de son temps, où se forment les grandes dactyliothèques,3 le comte Verità vise à reconstituer “una organica storia dell’arte antica in miniatura”4 en s’alimentant essentiellement sur le marché des antiquités de Vénétie. Si cet ensemble frappe par son abondance, dépassant la plupart des collections contemporaines, il comprend essentiellement des gemmes de qualité modeste. Ainsi que l’écrit Sena Chiesa, “il Conte Verità fu un collezionista generoso e curioso, interessato alla varietà e alla quantità dei pezzi raccolti più che alla ricerca del capolavoro”.5 Nombre de documents, environ 30 % du total qui comprend, outre le fond Verità, quelque 500 gemmes dont on ignore l’origine et diverses acquisitions mineures, sont en effet abîmés ou inachevés, pouvant ainsi provenir de dépôts d’ateliers, tels ceux d’Aquilée.

Près de la moitié de la collection glyptique véronaise est constituée d’objets réalisés entre le XVI e et le XIX e siècle qui heureusement ont ici été séparés des classiques. Une telle distinction n’est toutefois pas évidente, puisque la plupart de ces gemmes modernes sont des imitations, parfois excellentes, de l’antique. L’entreprise est donc louable, les auteurs s’étant même attaqués aux verres (encore plus difficiles à expertiser car réalisés de tout temps avec la même technique), parmi lesquels ils ont tenté de distinguer les gemmes en verre d’époque romaine et les pâtes de verre d’époque moderne reproduisant des pierres antiques ou “à l’antique”. Les témoignages antiques et modernes de la collection véronaise, dont Gemma Sena Chiesa souligne l’intérêt pour l’histoire de la glyptique à la fin de son chapitre introductif, ne sont pas organisés avec le même classement. Alessandra Magni présente les gemmes de l’époque classique par types iconographiques, tandis que Gabriella Tassinari utilise un système mixte en identifiant des groupes stylistiques modernes, disposés dans l’ordre chronologique, à l’intérieur desquels les documents sont réunis selon leurs motifs.

Les 660 gemmes antiques, étudiées par Alessandra Magni, forment un ensemble hétérogène, appartenant essentiellement à la production courante. On épinglera, parmi les exemplaires plus raffinés, la réplique en onyx (n° 534) de la tête de Méduse créée par Sosoklès. Les pierres, le plus souvent en cornaline ou jaspe rouge, ont généralement servi de sceaux, mais certaines ont pu être utilisées comme des amulettes.6 Leur état de conservation peut refléter leur contexte de découverte, comme une surface craquelée sous l’effet de l’incinération d’un défunt. Les verres, soit environ 25 % des documents classiques, sont translucides ou opaques, imitant souvent le nicolo, et mieux conservés que les pierres, notamment parce qu’ils sont aisément recyclables.

En ce qui concerne leur chronologie, les gemmes antiques s’étalent du II e siècle av. J.-C. au début du III e siècle apr. J.-C., épousant des styles variés, susceptibles de se chevaucher à travers le temps. À l’époque républicaine, aux gemmes de tradition hellénistique (Victoire n° 369) ou étrusque (Prométhée n° 588), succèdent celles qui présentent un style perlé (Dionysos n° 186), puis calligraphique (Satyres n° 217-221) et classique (Hercule et Mercure n° 110). À l’époque impériale, la tendance classique (Jupiter n° 12) se développe et coexiste avec un courant plus décousu, créant des images schématiques (Mercure n° 87) ou incohérentes (Diane n° 63). Chaque document est décrit avec son style, et parfois des détails techniques qui s’y rapportent, une attribution généralement éclairée par des parallèles, lesquels peuvent permettre de reconnaître l’atelier, voire la main du graveur. Nombre de gemmes ont pu ainsi être rattachées aux ateliers d’Aquilée, dont les produits ont parfois été retrouvés très loin, en Bretagne notamment. Ces parentés auraient mérité d’être indexées dans l’ouvrage (par exemple, pour l’Officina dei Dioscuri, les n° 14-15, 87-90, 151, 284, 381, 406, 428, 444, 455, 620).

Ce n’est toutefois pas le style, mais l’iconographie qui sert de critère de classement pour les gemmes antiques. Ce choix paraît effectivement plus objectif, même s’il n’est pas sans comporter aussi une part d’arbitraire dû aux problèmes d’identification que suscitent certains types. On sera toutefois souvent convaincu par les descriptions et les parallèles proposés par Alessandra Magni qui a examiné ses documents avec une rare acribie, mais on regrettera de ne pas toujours bien en apprécier les détails sur les illustrations en noir et blanc de la fin du volume. Chaque thème iconographique bénéficie de paragraphes introductifs qui présentent les différents types et s’interrogent sur leur fréquence, leur modèle, leur signification, voire leur public. Ce sont, comme toujours, les gemmes à sujet divin (n° 1-336) qui sont les plus nombreuses. Se suivent ainsi, dans un ordre un peu aléatoire, les représentations de Jupiter, Apollon, les Muses, Diane, Sol, Mercure, Mars, Minerve, Neptune et les siens, Bacchus et son thiase, Vénus, les Amours, Cérès, Esculape et Hygie, Silvain, Saturne, ainsi que les divinités “orientales”. Viennent ensuite les personnifications (n° 337-491), Victoria, Fortuna, Némésis, Spes, Bonus Eventus, Fides Publica, Aequitas, Annona, Méthé, Roma, la Tychè d’Antioche, et Africa. Moins représentés sont les “héros” (n° 492-538), Hercule, les Dioscures, Ganymède, Thésée, Diomède, Achille, Philoctète, Œdipe, Europe, Dircé, Méduse, Scylla, et d’autres d’identification plus délicate, dont certains méditant ou consultant un oracle. Enfin, un plus grand nombre figurent des scènes de genre (n° 539-660), c’est-à-dire des guerriers, cavaliers, jeux du cirque et de l’arène, athlètes, artisans (notamment Prométhée qui aurait pu rejoindre les “héros”), rituels champêtres, travaux ruraux, chasseurs, acteurs, et philosophes. Les documents rangés parmi les “iconografie isolate o non identificate con certezza” à la fin des “scene di genre” auraient dû être traités différemment car, si on y trouve par exemple un pêcheur (n° 649), il y a là aussi des héros et/ou divinités (n° 660 avec Fortuna et Némésis serrant non un serpent, mais une bride).

Ayant consacré ma thèse de doctorat au sujet,7 je m’autorise quelques petites remarques sur les gemmes relatives aux divinités égyptiennes. Le jaspe n° 133 associant Mars, Dionysos et Harpocrate fait partie des quelques images exceptionnelles, car uniques, que contient la collection véronaise. À propos de la calcédoine n° 301 rangée parmi les Déméter, il n’y a aucune raison d’hésiter avec un Sérapis. Sur la sarde n° 320, rien ne permet d’identifier à Isis la Déméter, dotée du calathos, de la torche et des épis, qui fait face à Sérapis, et à Fortuna l’Isis, avec sceptre et corne d’abondance, qui se tient derrière lui. Les intailles n° 321-325 montrent Harpocrate coiffé du pschent et non du basileion. Malgré leur style, les verres n° 330-331 à l’effigie d’un buste panthée juvénile me paraissent difficilement antérieurs au II e siècle apr. J.-C. Sur les pierres n° 332-333, mieux vaut reconnaître en la divinité masculine d’Ascalon coiffée du hem-hem l’Harpocrate du Mont Casion qui devait posséder localement un temple.8 Quant à Fortuna sur les intailles n° 400, 402-404 et 406, elle ne présente aucun trait strictement isiaque, au contraire de la cornaline n° 410 qui la montre avec le basileion. Enfin, la pâte de verre n° 932 porte un buste de Sérapis en tout point identique à celui d’une gemme en verre datée de la seconde moitié du I er siècle av. J.-C., ayant autrefois appartenu à la collection John Casey.9

Dans la seconde partie consacrée aux 365 gemmes postclassiques, Gabriella Tassinari commence par étudier les pierres qui relèvent d’une production “altra”, différente de celle habituellement rencontrée, dans laquelle elle identifie plusieurs groupes stylistiques. Le premier, dit “des lapis-lazulis” (n° 661-700), même si on y trouve d’autres minéraux, se confond avec les gemmes de la fin de l’Antiquité10 et se divise en divers courants, notamment iconographiques, probablement élaborés en Italie septentrionale au cours des XVI e et XVII e siècles. Le deuxième reprend les documents présentant “des caractéristiques assurément non antiques” (n° 701-724), comme une cornaline de la première moitié du XVIII e siècle relevant de la série des “anneaux d’amour et de fidélité” avec inscription galante en français. Vient ensuite le groupe très schématique “des grenats” (n° 725-728), identifié pour la première fois comme moderne, le groupe “classique” (n° 729-742), très proche des modèles antiques, et le groupe “des têtes” (n° 743-751), avec trois subdivisions, dont une particulièrement originale montrant Hercule de profil coiffé de la léonté. Les “intailles non facilement identifiables comme modernes” (n° 752-788) – et de fait on ne comprend pas toujours ce qui a pu conduire à douter de leur authenticité – ont été réunies dans un dernier groupe.

En ce qui concerne les pâtes de verre réalisées principalement au cours du XVIII e siècle dans des ateliers peut-être vénitiens, Gabriella Tassinari a tenté d’identifier les pierres originales dont elles sont issues et d’en mesurer l’antiquité ou la modernité. Les originaux de certaines pâtes de verre ont ainsi été repérés dans la collection du baron Philipp von Stosch (n° 789-793), dans l’atelier romain Dehn-Dolce (n° 794-796), dans la dactyliothèque de Tommaso Cadès (n° 797-799), dans les réalisations du graveur Giovanni Pichler (n° 800-801) et dans des collections publiques (n° 802-803). La pièce la plus extraordinaire est sans nul doute la réplique (n° 796) de la fameuse gemme de Solon, dite la “Méduse Strozzi”. Seules quelques pâtes de verre reproduisent des originaux non identifiés de facture assurément (n° 804-811) ou probablement (n° 812-822) moderne, ce qui indique le caractère conservateur de la collection véronaise. D’autres verres ont été réalisés à partir d’originaux qui, étant donné leur iconographie (Diomède, les Amours, Minerve, Hercule, Omphale, Méduse, notamment), pourraient être soit antiques, soit modernes (n° 823-865). D’autres encore viennent d’originaux clairement antiques (n° 866-1025, bien que le n° 875, incertain, aurait dû figurer dans l’ensemble précédent).

Exemplaire à maints égards, cet ouvrage, qui se termine par une série d’”apparati” (des analyses gemmologiques faites sur 30 pièces de la collection, une très riche bibliographie, des index des sujets et matériaux, ainsi qu’un recueil de planches où l’on regrette l’absence de couleurs), ne manquera pas de susciter des études complémentaires. On attend déjà avec impatience la publication des autres documents de cette exceptionnelle collection.

Notes

1. G. Sena Chiesa, Gemme del Museo di Aquileia, Padova 1966.

2. Ce travail s’est nourri de deux mémoires soutenus en 1991-1992 à l’Università degli Studi di Milano (E. Birondi, La collezione glittica Verità a Verona. Gemme con raffigurazioni femminili; A. Magni, La collezione glittica Verità a Verona. Gemme con figurazioni maschili).

3. Les Civici Musei d’Arte di Castelvecchio possèdent d’ailleurs une précieuse collection d’empreintes qui vient d’être remarquablement publiée (G. M. Facchini, Le impronte di gemme dei Civici Musei d’Arte di Verona. Verona e il collezionismo di antichità nel Settecento e Ottocento, Milano 2009).

4. Cf. p. 2.

5. Cf. p. 13.

6. Certaines pierres (n° 274, 276, 317, 332 et 437-440) sont reprises dans A. Mastrocinque (éd.), Sylloge Gemmarum Gnosticarum. Part II, Bollettino di Numismatica. Monografia 8.2.II, Roma 2008, p. 186-198 (= respectivement les doc. Vr 21, 22, 5, 28 et 15-18, dont le caractère magique n’est toutefois pas toujours assuré – cf. à ce propos BMCR 2010.02.41).

7. R. Veymiers, Ἵλεως τῷ φοροῦντι. Sérapis sur les gemmes et les bijoux antiques, Mémoire de la Classe des Lettres de l’Académie royale de Belgique. Collection in-4°, 3e série. Tome I, n° 2061, Bruxelles 2009.

8. Cette effigie, bien connue des émissions ascalonites (L. Bricault, Sylloge Nummorum Religionis Isiacae Sarapiacae (SNRIS), Paris 2008, p. 164-165), se retrouve sur d’autres gemmes (L. Y. Rahmani, “Copies of Ancient Coins on Jewellery Ancient and Modern”, INJ 5 [1981], p. 46-48, pl. 11.1-3).

9. Veymiers, op. cit., p. 255, pl. 19, n° I.AB 232.

10. Les n° 685 et 688 sont ainsi considérés comme antiques dans la SGG II, doc. Vr 13 et 24.