L’ouvrage regroupe 28 contributions précédées par un « Vorwort » signé des deux éditeurs qui rappelle les circonstances dans lesquelles l’Université de Stuttgart a accueilli le 9e Colloque International de Géographie historique de l’Antiquité, durant cinq jours. On y souligne le fait que le thème, qui associe « paysage » et « religion », est susceptible de fédérer historiens, géographes, archéologues, historiens de l’art et quelques pistes d’enquête sont juste mentionnées en moins d’une demi-page. Par delà la qualité intrinsèque des contributions individuelles, riches et nombreuses, ce qui me paraît très gênant dans ce volume c’est l’absence totale de Fragestellung au début et d’ Ergebnisse à la fin. Le lecteur est donc projeté dans une thématique, sans aucun doute stimulante, mais complexe, sans le moindre outil conceptuel, sans le moindre questionnement préalable. Or, à bien y regarder, les deux termes du binôme qui constitue le titre du volume, à savoir « paysage » et « religion », ne vont pas de soi. Que faut-il entendre par « paysage », comment s’y articule la place de la nature et celle de l’homme ? Quels sont les éléments significatifs qui composent, marquent, identifient un paysage ? Y insère-t-on la notion métaphorique de « paysage culturel » ? Y prend-on en compte la dimension mémorielle, avec les « lieux de mémoire » ? On trouvera heureusement quelques précieux éléments de réflexion dans la brève contribution de John Bintliff initutlée « The Implications of a Phenomenology of Landscape » (p. 27-32 pour le texte, illustrations p. 33-45, qui se réfère surtout aux théories de Chris Tilley). De même F.G. Naerebout propose-t-il une intéressante communication où la conceptualisation des notions de « territorialité » ou d’« espace sacré » est heureusement abordée, de même que l’historiographie de cette question (p. 181-213) ; sa contribution me semble une des plus intéressantes du volume, d’autant qu’elle inclut, au départ du matériel grec, une dimension comparatiste, très discrète dans le reste du volume.
Quant au terme de « religion », au singulier, il aurait aussi mérité qu’on s’y attarde. Le paysage est-il sollicité dans les rituels ? dans les mythes ? L’est-il différemment ? Quel rôle peut-il jouer dans la configuration des actes du culte ? Etc. Je ne doute pas que les éditeurs aient réalisé un gros travail d’édition sur les textes, mais ce travail reste à mon sens gravement incomplet tant qu’il n’est pas assorti d’une introduction déclinant les enjeux du thème retenu1 et d’une conclusion tirant les fils des contributions proposées. Sans ce travail, un livre est un empilement de données éparses, manquant de fil conducteur, dont les lecteurs sont amenés à faire un usage ponctuel.
Je vois se dégager dans les contributions – qui touchent à un espace-temps extrêmement vaste et éclaté, ce qui renforce l’impression de fragmentation extrême de la thématique – divers axes de réflexion :
•La divinisation des éléments du paysage : dieux des sources, des fleuves, des montagnes, etc. ; leur intégration dans la représentation que donnent les communautés d’elles-mêmes ;
•L’ancrage territorial des divinités : sanctuaires, dispositifs cultuels spécifiques, épiclèses, épisodes mythologiques, etc. ;
•La gestion et la transformation de l’espace en rapport avec les besoins cultuels et leurs variations dans le temps : selon les diverses époques, d’une part, mais aussi selon les moments/ spécificités de la vie cultuelle avec une attention particulière pour les sacrifices, les processions, les fêtes, les rituels funéraires, les oracles, les pratiques thérapeutiques… ;
•La viabilité, l’accès aux sanctuaires, la circulation dans et autour des sanctuaires, mais aussi la délimitation des espaces sacrés et leur protection ;
•La configuration du paysage entre espaces politiques, économiques et rituels : centre et périphérie, sanctuaires urbains, péri-urbains et extra-urbains, insularité ;
•Paysages pensés, paysages imaginaires (mythiques, fictionnels), paysages vécus : l’écart entre les conceptions du paysage et leur pratique empirique.
Cette liste n’a aucune prétention d’exhaustivité ; elle vise seulement à aider les lecteurs de la BMCR à s’orienter dans le contenu d’un gros volume foisonnant.
Au final, rares sont les auteurs qui ne se contentent pas de présenter un dossier topique ou régional où apparaissent des dieux, ce qui me semble être une interprétation minimale du thème. Quelques-uns consentent vraiment l’effort, au-delà de la rhétorique scientifique, de réfléchir sur le thème, à savoir l’articulation entre « paysage » et « religion », comme, le fait par exemple, Andreas Mehl au départ du cas des Götter- und Totenkult. Pourtant la thématique est passionnante. On l’approfondira entre autres avec Patrimoine et paysages culturels. Actes du colloque international de Saint-Émilion (30 mai-1er juin 2001), Paris 2001, ou A. Dierkens – A. Morelli (éd.), Topographie du sacré : l’emprise religieuse sur l’espace, Bruxelles 2008 ; ou encore M.C. Cardete del Olmo, Paisajes mentales y religiosos: la frontera suroeste arcadia en épocas arcaica y clásica, Oxford 2005 ; Paisaje, identidad y religión. Imágenes de la Sicilia antigua, Barcelone 2010.
On regrettera enfin qu’un volume de cette ampleur et de cette diversité, très majoritairement en allemand, ne contienne ni bibliographie ni index, ce qui n’en facilite vraiment pas la consultation. Au final, un ouvrage qui recèle beaucoup d’informations, mais qui ne tient pas ses promesses ni sur le plan éditorial ni sur le plan scientifique.
Notes
1. Pour preuve du manque de clarté dans le paramétrage du thème, je signalerai la contribution, au demeurant intéressante, de J. M. Madsen sur le culte de l’empereur divinisé, où l’Auteur examine la question des différences entre régions occidentales et orientales, ce qui ne me semble avoir aucun rapport avec la notion de « paysage » qui n’est du reste jamais envisagée dans l’article. À l’inverse, sur le même sujet, C. Mileta cerne bien la question du paysage cultuel en rapport avec la vénération des empereurs en Asie et Bithynie.