Editées par Frédéric Hurlet, les études rassemblées dans ce manuel abordent certains aspects illustrant les relations nouées entre Rome et l’Occident, à l’exclusion de l’Afrique, et ce, dès avant la conquête par les légions. Pour ce faire, l’ouvrage a été scindé en deux parties contenant au total 18 articles (sans compter l’introduction de Frédéric Hurlet, p. 7-22). La première partie est consacrée à l’étude des structures qui permirent à Rome de dominer les régions occidentales, telles que l’armée, les impôts, le cens, etc. La seconde partie, subdivisée en quatre sections, adopte une perspective géographique et présente des exposés sur les territoires provinciaux dans leur relation avec Rome. Tout d’abord figurent deux synthèses régionales qui précèdent des développements sur les statuts juridiques des cités et de leurs habitants, sur leur rôle comme appui du pouvoir romain et sur la religion telle qu’elle était pratiquée en Occident.
La première contribution, rédigée par François Kirbihler (p. 25-34), propose un état de la question sur les lois provinciales. Par cette appellation, on désigne les dispositions réglementaires prises par un magistrat avec imperium, assisté d’une commission de dix sénateurs, en général lors du passage d’un territoire au rang de province. Si pour l’Occident le dossier relatif à ces lois est fort mince, il est certain qu’on doit distinguer ce texte de la formula et de l’édit provincial. En revanche, on ne possède aucune certitude relative à la structure interne de la loi provinciale.
Nathalie Barrandon et Frédéric Hurlet (p. 35-75) s’intéressent ensuite aux gouverneurs provinciaux. En tant que principal interlocuteur du Sénat puis de l’empereur, le gouverneur assisté, sous l’Empire, d’un procurateur et d’affranchis impériaux, a pour tâche principale de maintenir l’ordre. En plus, il commande l’armée, il rend la justice, il veille à la bonne gestion ainsi qu’aux rentrées fiscales, sans renoncer à ses devoirs religieux. Enfin, les auteurs clôturent leur contribution en explicitant les concepts de provincia et d’ imperium et en abordant la question des instruments au moyen desquels s’établissait le contact entre Rome et le gouverneur ( mandata –
L’armée est au cœur de l’article de Benoît Rossignol (p. 77-106). Incarnation du pouvoir de Rome et, par son recrutement, représentative du corps civique, l’armée joue un rôle essentiel dans les territoires soumis. Par sa présence, elle veille à la pacification des contrées et à leur protection. Sous l’Empire, l’armée encadre la loyauté des sujets et, dans le même temps, elle participe à l’administration par l’envoi de soldats dans l’ officium des gouverneurs (bénéficiaires, centurions, frumentaires, etc.). Leur tâche va parfois bien au-delà de la protection rapprochée des autorités puisqu’ils ont également fourni ingénieurs et main d’œuvre pour les grands travaux. Enfin, la question du ravitaillement et du recrutement des socii ou des auxilia sert de conclusion à cette contribution.
Comme le décrivent Sylvie Crogiez-Pétrequin et Jocelyne Nelis-Clément (p. 107-139), c’est Auguste qui le premier conçoit un service de transport d’Etat, la vehiculatio ou cursus publicus, système de relais sur routes réservé aux seuls titulaires d’un diploma. L’objectif est de faciliter et de sécuriser le transfert d’informations non seulement entre Rome et les provinces mais aussi à l’intérieur des ensembles provinciaux. Pour la diffusion des nouvelles envoyées depuis Rome pour être gravées sur marbre ou sur bronze, les gouverneurs peuvent compter sur les procurateurs et affranchis impériaux, mais aussi sur les autorités locales.
L’article de Jérôme France, pour sa part, offre une synthèse sur l’impôt provincial (qui ne prend en compte que le tributum soli et le tributum capitis) à partir de l’exemple de l’Aquitaine et l’Hispanie septentrionale (p. 141-187). La paternité de cet impôt est à attribuer à Auguste qui veilla à l’établir sur des bases juridiques et administratives précises sans mener au rejet par les autochtones. Son instauration n’a été rendue possible que par le biais de la fiscalisation du sol provincial, grâce la théorie très discutée du dominium (Gaius, Institutes II, 7) qui offrait aussi une définition juridique du sol. A cela s’ajoutent recensements et arpentage qui complètent les opérations en vue d’une collecte qui suscitait tantôt le rejet, tantôt l’adhésion des populations locales.
Parmi les marques concrètes de l’emprise de Rome sur les provinces, nous conte Agnès Béranger (p. 189-205), il convient de mentionner les opérations de recensement. Elles ont pour objectif d’établir l’inventaire des richesses de l’Empire du point de vue humain mais aussi des biens fonciers. Le cens a pour fonction d’enregistrer les déclarations mais sa finalité, sous l’Empire, est avant tout fiscale puisqu’il permet de chiffrer le montant du tributum soli et du tributum capitis. Les premiers recensements, réalisés par des sénateurs ou des chevaliers prestigieux, étaient effectués lors de la conversion des territoires conquis en provinces. Ensuite, ceux-ci prenaient place à intervalles réguliers, en vue d’une mise à jour, non sans parfois provoquer du mécontentement de la part des populations locales.
Ainsi que nous le rappelle Julien Fournier (p. 207-227), l’une des tâches confiées au gouverneur était celle de rendre la justice, pour garantir la protection fournie par le droit romain aux citoyens romains dans leurs litiges avec leurs compatriotes ou avec les pérégrins. Toutefois, la mission qui leur incombe évoluera puisque les gouverneurs, appuyés par leurs subordonnés (légats prétoriens ou iuridici), poursuivront systématiquement le moindre délit en province et se feront aider par les communautés locales. Pour conclure, deux exemples concrets tirés des provinces de Sicile et d’Hispanie appuient la démonstration de l’auteur.
Pour clôturer la première partie, Arnaud Suspène pose la question du monnayage qui avait cours dans les territoires conquis par Rome (p. 229-247). En effet, alors que la période envisagée par le livre correspond en fait au système du denier, monnaie d’argent, force est de constater qu’en Orient, principalement mais pas uniquement, les frappes locales se maintiennent parfois jusqu’à l’époque des Sévères, voire au-delà. Toutefois, peu à peu, Rome tendra, par pragmatisme, à centraliser les frappes à son profit.
La seconde partie du volume s’ouvre avec deux synthèses régionales consacrées aux provinces de Lusitanie et aux Trois Gaules. Le premier article est l’œuvre de Jonathan Edmondson (p. 253-286) qui décrit l’histoire de la Lusitanie, créée en l’an 16 avant notre ère, date de sa transformation en province séparée de la Bétique, jusqu’à la fin du IIe siècle. Durant toute cette période, elle fut administrée depuis Augusta Emerita par un légat de rang prétorien. Néanmoins, des disparités régionales demeurent entre le Sud plus romanisé (où sont établis les colonies et les municipes pré-flaviens) et la zone sise au Nord du Tage, où il fallut créer un réseau de cités qui se monumentalisèrent dès l’époque d’Auguste, phénomène qui s’accéla après l’époque flavienne.
Xavier Lafon, quant à lui, s’interroge sur la valeur de la célèbre tripartition de la Gaule, telle qu’elle est décrite par César ( Guerre des Gaules I, 1, 1) et confirmée par Auguste (p. 287-311). Pour ce faire, il commence par dresser un portrait des Gaules d’avant la conquête. Il souligne ensuite que l’intégration économique mais aussi culturelle de ces territoires au monde romain a été facilitée par le rôle joué par les élites locales, aptes à affronter les changements (tels que le passage du statut de tribu à celui de civitas). En dépit des modifications de frontières et de l’arrivée d’immigrants venus d’Italie, les trois provinces ont gardé conscience de leur passé commun, comme le certifie l’existence d’un sanctuaire confédéral à Lugdunum. Toutefois, du point de vue administratif, en ce qui concerne le « quarantième des Gaules », les Trois Gaules sont gérées avec la Narbonnaise, qui partage avec l’Aquitaine un procurateur financier. Pour ce qui est des questions militaires, toutes ont pour point commun d’être inermes.
La deuxième section a pour objet les statuts juridiques des cités et des personnes originaires des Gaules. Michel Christol, pour commencer, entreprend un exposé sur les cités de droit latin de Narbonnaise (p. 315-358). Cette province dans son ensemble jouissait effectivement de ce statut privilégié dès la fin du Ier siècle avant notre ère, grâce aux interventions de Pompée mais surtout de César. Toutefois, l’auteur insiste fortement sur les différences, du point de vue conceptuel, entre la notion d’ oppidum latinum (qui désigne tout aussi bien une colonie latine qu’une communauté pérégrine) et l’élévation au rang de colonie latine, qui n’est pas automatique. De plus, les conséquences d’un tel octroi, qui contribue certes à l’intégration des élites locales comme le démontre l’exemple nîmois, ont aussi une influence sur l’onomastique des indigènes et sur leur accès à la citoyenneté grâce aux effets du conubium.
Pour sa part, Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier centre sa réflexion sur la nomenclature et le statut juridique des individus originaires de Gaule Belgique et de Germanie inférieure (p. 359-382). En effet, le principe de dénomination, qui lie forme de nomenclature et statut, fournit un éclairage sur les processus d’acquisition de la citoyenneté puisque la diffusion et l’évolution des noms dépendent du degré d’intégration au monde romain. Après un rappel des règles fondamentales de dénomination des citoyens, des pérégrins ainsi que des esclaves et des affranchis, la chercheuse belge s’intéresse plus particulièrement à l’accès à la citoyenneté par le biais du droit latin. Dans ce dernier cas de figure, le pérégrin porte les tria nomina avec un gentilice souvent constitué à partir du nom unique qu’il détenait avant sa promotion juridique. Ces nouveaux gentilices peuvent conserver une trace des identités culturelles et linguistiques locales : on peut alors parler de noms d’assonance ( Decknamen) ou noms de traduction, en fonction du choix effectué par l’individu qui pouvait mêler des éléments celtiques et germaniques, ou bien latiniser complètement son onomastique, sans que cela ne modifiât ni ne refléta^t son statut.
La cité comme cellule de base de l’Empire est le thème de la troisième section. Celle-ci s’ouvre avec une courte présentation de la province de Bretagne par Monique Dondin-Payre et Xavier Loriot (p. 385-386 et p. 413-420) qui encadre le texte de John Cecil Mann sur les cités sous l’Empire (p. 387-411). Cet article mentionne les diverses formes d’organisation politique des populations avant la conquête qui imposa la réorganisation de ces territoires sur la base des cités parfois créées pour l’occasion, selon un procédé précis. Il souligne aussi que toutes les cités possèdent des caractéristiques communes, y compris en Bretagne romaine, en dépit d’un discours historiographique tenace qui s’oppose à cette vision.
Quant à Rudolf Haensch, c’est aux capitales des deux provinces germaniques et de la Rhétie qu’il dédie son exposé, en mettant l’accent sur leurs différences et sur leurs points communs (p. 421-447). Si Colonia Claudia Ara Agrippinensium (Cologne), en Germanie inférieure, fut une colonie de droit romain honorée du ius Italicum, Augusta Vindelicum (Augsbourg), en Rhétie, ville nouvelle du IIe siècle et Mogontiacum (Mayence), en Germanie inférieure, qui ne jouissait même pas du statut de cité, ne peuvent en dire autant, alors que toutes les trois avaient été fondées dans un contexte militaire. Enfin, il subsiste des questions auxquelles l’archéologie ne permet pas de répondre. Par exemple, nous ignorons toujours où résidait le procurateur impérial, attesté épigraphiquement à Augsbourg et quel fut l’emplacement du praetorium des gouverneurs qui a seulement été identifié à Mayence.
Dans la dernière section, la religion est mise à l’honneur. Wolfgang Spickermann s’intéresse ainsi au culte provincial germano-romain (p. 451-490). Il nous rappelle combien l’étude de la religion est étroitement liée aux faits sociaux, politiques et culturels de l’époque puisque la frontière entre le sacré et le profane était fluctuante. Après un rappel sur l’histoire et sur la géographie administrative et religieuse de deux provinces germaniques, il conclut en soulignant le fort brassage des populations (celtiques, germaniques et italiques) installées sur ces territoires. De plus, il tient compte des structures administratives romaines, et non des territoires tribaux, pour détailler les pratiques religieuses au niveau provincial, mais aussi, principalement, au niveau de la cité et de ses subdivisions ( vici et pagi), sans oublier les domaines ruraux et les curiae.
Le thème de la religion en Bretagne, présenté par Ralf Häussler, clôture le volume (p. 491-523). Malgré sa situation géographique aux marges de l’Empire, la Bretagne n’en a pas moins subi une influence venue de Gaule ou apportée par les soldats provenant de contrées plus éloignées encore. Il en résulte de nouveaux cultes qui ne sont en fin de compte ni complètement romains ni complètement indigènes. L’auteur, qui s’appuie sur la documentation archéologique mais aussi épigraphique, étaye son point de vue par la description de sanctuaires qui ne remontent pas tous à l’époque antérieure à la conquête.
En guise de conclusion, le lecteur pourra se faire une idée de la multiplicité des approches et des problématiques permettant une meilleure connaissance des provinces dans leurs rapports avec Rome. Si, pour des raisons qu’il est facile à comprendre, les éditeurs ont dû se résoudre à sélectionner des thématiques où la question de la romanisation apparaît toujours en filigrane, il n’en demeure pas moins que ce livre offre des synthèses fort utiles et de haut vol, avec une bibliographie récente et rédigée par des spécialistes reconnus. Tout cela contribue à en faire un ouvrage de référence.