BMCR 2010.09.03

Der apokryphe Briefwechsel zwischen Seneca und Paulus: zusammen mit dem Brief des Mordechai an Alexander und dem Brief des Annaeus Seneca über Hochmut und Götterbilder. Sapere Bd. 11

, , , , Der apokryphe Briefwechsel zwischen Seneca und Paulus: zusammen mit dem Brief des Mordechai an Alexander und dem Brief des Annaeus Seneca über Hochmut und Götterbilder. Sapere Bd. 11. Tübingen: Mohr Siebeck, 2006. x, 215. ISBN 9783161491306. €24.00 (pb).

Preview

La très mince correspondance croisée de Sénèque et de l’apôtre Paul (12 lettres/ 142 lignes) appartient moins à la littérature apocryphe qu’à l’histoire la plus violemment contrefactuelle. Que serait-il en effet advenu si l’apôtre du stoïcisme avait réellement échangé de la correspondance avec le créateur du christianisme ? Telle est la question que se pose d’emblée Alfons Fürst dans le Vorwort (p. VII) qu’il place en exergue de ce volume de structure étrange mais parfaitement justifiée. On le trouvera en effet composé d’objets inhabituellement associés : une édition—non critique—des lettres, introduites, traduites et commentées cum testimoniis par Alfons Fürst (p. 3-82) ; trois Essays (p. 85-146), l’un intitulé Seneca—Ein Monotheist ? Ein neuer Blick auf eine alte Debatte dû à Alfons Fürst, un autre intitulé Stoa und Christentum, dû à Therese Fuhrer, et un troisième, intitulé Senecabild und Senecarezeption vom späteren Mittelalter bis in die frühe Neuzeit, dû à Peter Walter ; une édition traduite et commentée de la Lettre de Mordechaï à Alexandre, par Folker Siegert, que l’on trouvera à son tour suivie d’un essai du même (p. 147-175) ; une édition elle aussi non critique mais commentée de la lettre de superbia et idolis, l’apocryphe d’un pseudo-Sénèque, par Alfons Fürst, également suivie d’un essai du même (p. 176-197). De la bibliographie et des index closent ce volume et le ramènent à un classicisme de forme attendu (p. 201-215). On aura compris que l’ambition commune aux auteurs est d’investiguer cette correspondance dans sa totalité synchronique et diachronique, d’en dégager les éléments constitutifs et de la replacer tant dans son histoire propre que dans son contexte. Il s’agira donc moins de Philologie que de Kultur- und Rezeptionsgeschichte, en application d’une doctrina typiquement germanique où nos collègues allemands excellent. Il reste que ce livre aurait mérité le titre un peu plus généreusement explicite qui aurait mis en meilleure valeur une entreprise collective qui n’a certes pas la cohérence que confère une signature unique, mais qu’une forte unité de propositum sauve de l’hétéroclite qu’auraient eu des actes de colloque.

Dans son Einführung (p. 3-22), Alphons Fürst expose en détail tout ce qui peut être dit sur la vraisemblance d’une rencontre romaine de l’apôtre et du philosophe. Il procède à l’examen des raisons de croire à l’homogénéité d’un recueil que tout prouve comme un exercice rhétorique publié antérieurement à sa citation, en 392/392, dans la notice 12 du De uiris illustribus de Jérôme. L’absence complète de contenu informatif qui dénote cet échange épistolaire a beaucoup dérouté—certains y ont vu même le résultat d’un caviardage opéré par je ne sais quel censeur qui en aurait retiré les sujets de fâcherie théologique. En réalité, une lecture honnête de cet ensemble de lettres le montre bien clairement comme un simple lieu d’exercice de la topique de l’amitié épistolaire, et les arguments avancés en ce sens par Alphons Fürst sont convaincants. On peut ajouter que le vide informatif est en soi-même constitutif du genre épistolaire. Il suffit de jeter un coup d’œil à la correspondance de Symmaque pour constater que l’épître de l’aristocrate du temps vaut d’abord pour sa fonction phatique, et très secondairement pour sa fonction référentielle. Alphons Fürst justifie l’existence de ce recueil par une proximité du christianisme toujours reconnue à Sénèque. Ce qu’il omet d’examiner est la cause de la célébrité de ce recueil qui, malgré sa médiocrité, mérite d’être cité, vers 423/424, par Augustin ( epist. 153,14) et surtout d’être incorporé dans sa notice par Jérôme. Car, après tout, si ces bons Pères avaient cru un seul instant à l’authenticité de ce recueil, ils en auraient assurément fait bien du bruit. Comme le fait d’ailleurs valoir Alphons Fürst : imagine-t-on la réaction d’un Père de l’Eglise découvrant des épîtres de Paul inédites !!! Or, il se trouve que le De uiris illustribus, dans lequel Jérôme incorpore si benoîtement Sénèque en s’appuyant sur cette correspondance qu’il sait apocryphe, date de ces mêmes années 391/394 qui voient la promulgation des lois théodosiennes interdisant le paganisme. Il n’est dès lors pas interdit de penser que, de glisser Sénèque parmi les auteurs chrétiens, procède d’une volonté d’annuler le paganisme en allant jusqu’à lui retirer son moraliste le plus éminent. Ainsi, tandis que Théodose dépouille les païens de leur existence sociale et politique, Jérôme les dépouille de leur existence intellectuelle. Il faut en effet se souvenir que le De uiris illustribus est tout entier revendiqué comme un moyen de supplanter et le Cicéron du Brutus et le Suétone du De uiris illustribus, tous deux auteurs d’un Who’s who du meilleur de la culture intellectuelle païenne. Ainsi, lorsque Jérôme tente de prouver la supériorité de la littérature ecclésiastique, il lui rattache en douce le meilleur de l’équivalent païen, à savoir l’œuvre philosophique de Sénèque. Cette tentation de l’accaparement n’a certainement pas dû animer que le seul Jérôme ; l’existence même de ce recueil de lettres apocryphes témoigne de la popularité de ce rattachement. On peut enfin se demander si, lorsque Jérôme évoque ces lettres ( uir. ill. 12,1), il ne délivre pas indirectement quelque information sur leur date de rédaction. En effet, il leur prête une popularité ( epistulae … quae leguntur a plurimis) qui devrait amener à les croire d’une actualité brûlante et à les dater des temps immédiatement antérieurs à la constitution par Jérôme de sa notice sur Sénèque. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’admirer l’extraordinaire mauvaise foi de Jérôme qui, pour réussir son hold-up intellectuel, n’hésite pas un instant à mentir par omission et à feindre de croire à l’authenticité de lettres dont personne, et lui moins que tout autre, n’avait jamais été la dupe.

En 234 notes, Alfons Fürst porte au texte un commentaire qui omet des problèmes de langue et de texte qu’il considère comme réglés par les études de C. W Barlow et de L. Bocciolini Palagi, ses prédécesseurs. Il en résulte une explication bien documentée portant sur l’élucidation de l’immédiatement indispensable à la compréhension du texte. Considérant, à juste titre, celui-ci comme un exercice d’école, Alfons Fürst s’attache à en faire ressortir tout ce qui, dans sa phraséologie, renvoie aux traités de rhétorique existants. Ses résultats sont convaincants, mais amènent à se poser la question de la métricité du texte. On ne peut en effet qu’être surpris de se trouver devant un exercice d’école dépourvu et de clausules et de cursus. Or, et les déclamateurs le montrent à l’envi, la pratique scolaire de la rythmique colométrique reste une obligation absolument impérieuse. Il est en outre difficile de trouver de la correspondance contemporaine, ecclésiastique ou profane, qui soit dépourvue de cursus accentuels qui, bien souvent, fonctionnent également comme clausules métriques.

Alfons Fürst ( Seneca –Ein Monotheist ? Ein neuer Blick auf eine alte Debatte, p. 85-107) retrace l’historique des tentatives qui ont été faites depuis l’antiquité jusqu’au XIXe siècle de trouver une influence chrétienne sur l’œuvre du stoïcien. Une étude de la conception que Sénèque se faisait de la personne divine, comparée à celle que s’en sont faite les philosophes païens antérieurs à lui-même, montre que la conception unitariste non-personnelle du paganisme antérieur au néo-platonisme n’a que peu à voir avec le monothéisme du dieu personnel tel que l’ont conçu le judaïsme puis le christianisme. Il s’agit dans ce cas plus d’une concomitance relevant du parallélisme que d’une convergence.

Therese Fuhrer ( Stoa und Christentum, p. 108-125) dresse la liste de ce que la théologie chrétienne doit au stoïcisme. Il y a certes une communauté de pensée dans la conception d’un monde conduit par une prouidentia, mais, au delà d’une éthique et d’une théorie de la connaissance, c’est sans doute par sa vision immanentiste de la divinité que le stoïcisme a le plus profondément influencé la théologie chrétienne, en lui fournissant un moyen de penser l’incarnation selon des voies que le platonisme n’offrait pas.

Peter Walter ( Senecabild und Seneca Rezeption vom späten Mittelalter bis in die frühe Neuzeit, p. 126-146) fait valoir le rôle de la redécouverte des Annales de Tacite dans l’importance qui a été accordée à Sénèque dès le XIVe s. et les débats qui ont aussitôt surgi à propos de sa prétendue appartenance au christianisme. Le fil du temps a toutefois rapidement rendu Sénèque à son image de toujours qui n’a cessé d’être celle d’un moraliste de haute portée. Son rôle de philosophe politique prendra cependant une place de plus en plus importante, ainsi qu’en témoigne le commentaire encore assez scolaire que Calvin apportera en 1532 au De clementia.

Folker Siegert ( Der Brief des Mordechai an Alexander, Zur jüdischen Öffentlichkeitsarbeit in der Antike, p. 147-175) propose le texte commenté d’un apocryphe mettant en relation des individus qui ne sont pas des contemporains. Produit par un juriste d’expression grecque et sans doute juif, le texte se trouve en annexe d’une des filières du Roman d’Alexandre et dans une traduction latine effectuée par un lettré de l’antiquité tardive. Le contenu en est incomparablement plus relevé que celui des lettres croisées de Paul et de Sénèque puisqu’il s’y traite du stoïcisme à une hauteur véritablement philosophique. L’absence de références au gnosticisme et au néo-platonisme laisse toutefois penser que l’original doit dater du haut empire et peut-être même de ses débuts.

Alfons Fürst ( Der Brief des Annaeus Seneca über Hochmut und Götterbilder, Ein angeblicher Brief des Hohenpriesters Annas an Seneca, p. 176-197) lui ajoute le texte commenté d’un autre document d’origine judaïque que l’on trouvera plus nettement dénoté comme apologétique. Découvert et publié par Bernhard Bischoff en 1984, son origine juive a très rapidement été contestée pour être créditée au christianisme. La présence de clausules quantitatives concomitantes à des cursus rythmiques devrait amener à dater ce texte antérieurement au milieu du Ve s. Par son contenu, il évoque toutefois des polémiques que l’on trouve bien vives dans les débuts du IVe s, chez un Lactance ou un Arnobe. Sa lecture donne une impression de déclamation que conforte le tour scolairement léché d’une inuentio, d’une dispositio et surtout d’une elocutio qui sentent le bon élève. En revanche, l’hétéroclite d’un contenu doctrinal qui sollicite durement nos modernes catégories, devrait sans doute nous amener à accepter le fait qu’hors des nettetés chrétiennes, judaïques et païennes ont dûexister des zones de contacts et de mélanges dont les témoignages ont disparu du fait même d’une hétérogénéité qui n’était plus dans l’air des temps postérieurs.

On quitte ce livre riche d’informations inattendues et surtout porteur de textes quasiment inconnus avec le sentiment d’avoir pénétré dans l’ underground d’une culture tardive qui ne nous a laissé en héritage que les traces de ses dominances. Le plus étonnant sans doute est de constater que ces textes, où se mêlent le judaïsme, le christianisme et de la philosophie païenne, proviennent très vraisemblablement du monde de l’école. En effet, par leur forme et la structure de leur argumentation, ces textes, pour variés qu’ils soient, s’avèrent bien plus proches de l’univers des déclamateurs, voire des romanciers, que de celui de la philosophie ou de la théologie. Ils sont le lieu d’exercice de la topique plus que de l’idée et l’on doit se demander s’ils ne témoignent pas tout simplement de l’existence d’une autre source d’ inuentio offerte à l’exercice de l’argumentation rhétorique. La philosophie prendrait alors place aux côtés du roman dont Danielle van Mal-Maeder a récemment montré la place prépondérante dans l’imaginaire déclamatoire (BMCR 2009.02.31.)

On verra enfin dans ces textes le certificat de décès du paganisme. Les Pères de l’Eglise du IVe s., à l’instar des statuaires, poètes et iconographes chrétiens, s’étaient déjà emparés de l’héritage littéraire classique pour en tirer de la matière décorative. Doit-on dès lors s’étonner de constater qu’aux yeux d’un Jérôme, le paganisme de Sénèque et le stoïcisme en général sont désormais suffisamment dévitalisés pour fournir bénignement de la matière à penser et servir sans dommage ad maiorem Dei gloriam ?