BMCR 2010.05.30

Das hellenistische Königspaar in der medialen Repräsentation: Ptolemaios II. und Arsinoe II. Beiträge zur Altertumskunde Bd. 263

, Das hellenistische Königspaar in der medialen Repräsentation: Ptolemaios II. und Arsinoe II. Beiträge zur Altertumskunde Bd. 263. Berlin/New York: Walter de Gruyter, 2009. ix, 454. ISBN 9783110209174. $140.00.

Cet ouvrage allie heureusement l’étude des sources littéraires et des documents figurés pour éclairer les stratégies matrimoniales des premiers Ptolémées et mieux comprendre les phénomènes de mise en scène du couple royal ou de son amour conjugal que l’on peut observer à la cour d’Alexandrie. Alors que les oeuvres où les poètes alexandrins expriment une idéologie aulique sont parfois perçues comme coupées de la réalité des cultes dynastiques, S. Müller s’attache à mettre en évidence les logiques politiques qui se situent à l’origine d’une imagerie développée dans des documents variés, tout en posant avec acuité la question des publics auxquels s’adressent ces différentes productions littéraires ou figurées. Cet ouvrage va dans le sens d’une reconnaissance, voire d’une réhabilitation du génie politique et dynastique de Ptolémée II: loin d’être laissés au hasard, les choix de ce dernier en matière de stratégie matrimoniale auraient été guidés par la volonté d’asseoir et de garantir une continuité dynastique (ce serait par exemple le cas pour son attitude à l’égard de Philotéra, soeur non mariée de Ptolémée II et d’Arsinoé II, qui aurait été volontairement laissée sans époux de manière à éviter la formation d’une autre branche issue de la maison d’Alexandrie: voir p. 104 sqq.).

Le chapitre I présente un état de la bibliographie sur Arsinoé et sur ses portraits et fait notamment le point sur la réception de la figure d’Arsinoé II. Or, dans une partie de la bibliographie, la figure d’Arsinoé a été associée à la question de la place des femmes en politique et a pu faire l’objet de récupérations variées ou de supputations mal fondées (Arsinoé a ainsi pu être prise comme une image de l’émancipation féminine ou au contraire condamnée pour sa supposée position d’intrigante dépourvue de scrupules).

Le chapitre II (Heiratspolitik und Dynastiebildung) met en évidence les retentissements que les choix en matière matrimoniale pouvaient avoir sur la possibilité de constituer ou non une dynastie et sur les solutions variées envisagées par la première génération de monarques hellénistiques — génération qui servira à la fois de modèle et de repoussoir pour définir les stratégies des générations ultérieures. Müller s’attache aux exemples contrastés de Ptolémée I et de Lysimaque. Le premier eut plusieurs épouses successives mais fut aussi polygame, ce qui posait le problème de la pluralité des successeurs possibles. Si Ptolémée I associa Ptolémée II au trône en 285 avant J.-C., ce fut avant tout, d’après Müller, pour verrouiller la question de la succession (d’autres exemples où l’héritier pressenti fut associé au trône sont en effet attestés, à la cour de Séleucos et à celle d’Antigone I); Müller souligne aussi la manière dont les poètes contribuèrent à relayer auprès d’un public aulique le choix qui consistait à désigner pour héritier Ptolémée II plutôt que Ptolémée Kéraunos.

Face à ce modèle alexandrin, Müller s’attache à préciser les raisons de l’échec de la formation d’une dynastie par Lysimaque, roi de Thrace. Ce dernier eut lui aussi plusieurs épouses et aurait été polygame, au moins dans un premier temps, avant d’avoir peut-être privilégié la monogamie dans le cadre de son union avec Arsinoé II (Müller souligne que les données sont toutefois difficiles à analyser). Le problème de la succession dynastique se posait aussi à la cour de Lysimaque avec la rivalité entre Agathocle fils de Nikaia et les trois fils nés d’Arsinoé II. Contrairement aux autres monarques hellénistiques, Lysimaque n’associa pas l’un ou l’autre de ses fils à l’exercice du pouvoir royal et ne s’attacha pas à orchestrer la moindre mise en scène d’une bonne entente entre père et fils, contrairement à ce que l’on peut observer pour Antigone I et Démétrios. Le conflit entre Lysimaque et Agathocle fut au contraire si criant qu’il put constituer un signe d’appel pour les royaumes rivaux qui y perçurent la possibilité d’une intervention. Dans la représentation qu’en donnent les auteurs anciens, le devenir du royaume de Lysimaque était bel et bien lié à sa pratique du mariage: Müller nous invite ainsi à donner tout son sens à l’image qui nous est transmise, dans les sources littéraires, du mariage de Lysimaque avec la jeune Arsinoé. Cette union y est en effet condamnée parce qu’elle ne serait pas la résultante d’un système d’alliances, mais comme l’acte d’un vieux roi sous l’emprise de ses passions (la réalité historique diffère sans doute de l’image que nous livrent les auteurs anciens, puisque Lysimaque recherchait vraisemblablement une alliance avec Ptolémée I).

La suite du chapitre II et le chapitre III (Endogame Heiratspolitik) s’attachent à la deuxième génération des rois d’Alexandrie: celle d’Arsinoé II et de Ptolémée II. Il s’agit d’expliquer les raisons politiques et la stratégie qui amena Ptolémée II à faire le choix d’une endogamie on ne peut plus radicale en s’unissant à sa propre soeur. La question posée par l’auteur est celle des liens étroits que ce choix entretenait avec la volonté de garantir une continuité dynastique et d’assurer la transmission du royaume au futur Ptolémée III, fils d’Arsinoé I qui fut écartée de la cour. Ptolémée II semble avoir refusé la polygamie. Arsinoé II fut de ce fait placée, à la place d’Arsinoé I, dans la position de “mère” de Ptolémée III. Cette construction dynastique eut des conséquences très nettes pour la troisième génération (celle de Ptolémée III et de Bérénice II) qui allait se présenter comme un couple formé par une soeur et un frère nés de l’amour d’un père et d’une mère qui étaient eux-mêmes frère et soeur (en réalité, Bérénice II, qui était la fille de Magas, le demi-frère de Ptolémée II, n’était que la cousine de Ptolémée III). Müller analyse la stratégie matrimoniale de Ptolémée II comme constituant le choix le plus logique dans la perspective qui était celle du roi: avec Arsinoé II, il s’adjoignait en effet une épouse entièrement loyale, qui était auréolée du prestige que lui avait conféré son union avec Lysimaque et qui allait lui permettre de dépasser la condition humaine (Müller insiste à juste titre sur l’effet de “sakrale überhöhung” souvent associé à l’endogamie royale, p. 103). Elle n’était plus en âge d’enfanter, ce qui éliminait tout risque de concurrence pouvant nuire au futur Ptolémée III. Ce choix, joint à la stratégie consistant à ne pas rechercher d’époux pour Philotéra, témoignerait ainsi de la volonté de Ptolémée II de garantir la succession dynastique.

Müller s’attache ensuite à retracer les stratégies de justification du mariage incestueux, en montrant notamment comment l’idéologie aulique allait conférer un rôle central au modèle de la hiérogamie de Zeus et d’Héra (p. 128 sqq.). Autre élément clé de l’idéologie aulique: la mise en scène de l’amour conjugal et de l’intimité du couple royal, dont la chambre nuptiale est par exemple représentée par les poètes sous la forme d’ “ideologisch codierte ‘tableaux vivants'” (p. 137).

Le chapitre IV (“Die mediale Inszenierung des Ptolemäerspaars”) propose une série d’études de cas très suggestives. Après s’être intéressée à l’utilisation des thèmes dionysiaques dans l’idéologie aulique, Müller se penche sur la description par Callixène de la pompé de Ptolémée II et analyse les symboles qui, dans cette procession, étaient probablement associés à la figure d’Arsinoé Philadelphe (corne double, statue d’Héra, étoile du matin). Suit une étude particulièrement convaincante des anathematika de Posidippe (voir notamment l’analyse de l’épigramme 40 A.-B., tronc d’offrande pour une Léto-Bérénice, ou celle de l’épigramme 41 A.-B. avec sa double référence à Zeus et à Aphrodite). Une section retrace ensuite les étapes de la mise en place du culte dynastique dans ses expressions hellénophones, avant de céder la place à une étude de quelques documents égyptiens montrant l’autre facette du culte des Ptolémées (stèle de Pithom, stèle de Mendès — le problème des représentations des funérailles d’Arsinoé et celui de leur rapport au déroulement réel de la cérémonie sont par exemple posés à travers la confrontation entre la stèle de Mendès, destinée à un public égyptien et qui évoque la momification d’Arsinoé II, et le fragment 228 Pf de Callimaque, qui s’adresse à un public hellénophone et qui suppose plutôt une incinération). La dernière étude de cas porte sur la représentation des reines égyptiennes dans le monnayage.

Il est impossible de rendre ici justice à la richesse de cet ouvrage qui mérite de recevoir une large audience auprès de tous les chercheurs qui s’intéressent aux premiers Ptolémées. On ne peut citer tous les exemples où l’auteur propose un état de la question à la fois complet et utile: ainsi, par exemple, pour le point sur les interprétations du lien entre Arsinoé II et Locres dans l’élégie de Callimaque sur la coma Berenices (p. 278 sqq.). Dans le détail, on pourra discuter de la présentation qui est donnée des modèles divins utilisés dans la constitution d’une représentation d’Arsinoé comme nouvelle déesse au yeux d’un public hellénophone: Müller insiste avec raison sur les cas d’Héra et d’Aphrodite. Que penser, toutefois, de la place de Déméter? Faut-il en particulier détacher, avec Müller, le titre canéphore, porté par la prêtresse de la thea Philadelphos, de toute référence à Déméter? Que penser des comparaisons que les poètes établissent entre Arsinoé et Hélène, une figure qui n’est guère présente dans l’ouvrage, mais qui paraît de plus en plus importante, à la lumière, notamment, des travaux de G. Basta-Donzelli ou de J. Foster?

Un autre point qui fera probablement débat auprès d’une partie du lectorat tient à la question du bilinguisme éventuel de certaines de ces productions culturelles, car la position adoptée par Müller n’emporte pas nécessairement la conviction. Peu favorable aux tentatives de lecture égyptienne des poèmes de Callimaque, Müller admet que ces poèmes contiennent des éléments égyptiens, mais souligne que ces éléments ne convaincraient pas de véritables égyptiens. Des analyses comme celle de D. Selden (“Alibis”, ClAnt, 17-2, 1998, p. 289-412 – non cité par Müller) incitent au contraire à penser que Callimaque avait une connaissance approfondie des thèmes de la culture égyptienne qui pouvaient intéresser le pouvoir. La question posée par l’analyse de ces textes et de leurs références culturelles est bien sûr celle du “Wirkungskreis” de Callimaque et Müller insiste sur l’idée selon laquelle le poète s’adressait aux élites macédoniennes de l’entourage immédiat du prince, inférence qui pourrait à première vue décourager une lecture égyptienne trop fouillée. On peut toutefois objecter l’idée formulée par L. Koenen que les élites grecques et macédoniennes de la cour ont, à travers les responsabilités qu’elles exercent en Égypte, acquis une connaissance de la culture égyptienne et de représentations issues de la religion égyptienne qu’elles tentent de s’approprier (voir “The Ptolemaic King as a Religious Figure”, dans A. Bulloch, E.S. Gruen, A.A. Long, A. Stewart (dir.), Images and Ideologies. Self-definition in the Hellenistic World, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1993, p. 25-115): “The poets were not Egyptianizing Greek thought, but Hellenizing those Egyptian ideas that had become common in the thinking of the court. Thus the influence of Egyptian ideas on Greek poetry stems paradoxically from the Greek efforts to Hellenize these Egyptian ideas.”

On peut regretter l’absence d’index des passages cités qui rend difficile une consultation ponctuelle. Pour ce qui est de l’analyse des images, l’ouvrage se concentre sur des images connues par les seules sources littéraires (Arsinoé flottant dans les airs dans l’Arsinoeion d’Alexandrie, Arsinoé chevauchant une autruche sur l’Hélicon) et sur les monnaies. Même s’il s’agit de documents où l’identification des figures demeure très incertaine, le lecteur s’attendrait à croiser le célèbre Camée des Ptolémées ou la statue féminine en basalte noir (Aphrodite-Arsinoé ?) actuellement conservée dans la Bibliotheca Alexandrina.

Aux p. 224-225, Müller dit résumer une argumentation présentée par L. Koenen, mais on ne retrouve pas de trace de cette analyse dans le seul article de Koenen cité dans les notes de ces deux pages (“The Ptolemaic King…”, op. cit.). Par ailleurs, les n. 263 et 261 ont été inversées.

Ces quelques réserves n’ôtent rien à la grande qualité de cet ouvrage qui constitue une synthèse importante sur les stratégies dynastiques des premiers Ptolémées, la constitution de leur culte et leurs représentations tant littéraires que figurées.