[La table des matières se trouve en fin de compte-rendu.]
L’année 2009 aura connu un nombre particulièrement important de publications concernant la bataille de la forêt du Teutoburg, à l’occasion des deux mille ans de l’événement. La parution d’ouvrages tantôt scientifiques, tantôt destinés au grand public, ont côtoyé la mise sur pied de manifestations en tous genres en Allemagne : expositions, reconstitutions historiques, conférences, et même émission d’un timbre-poste à l’effigie d’Arminius. Les commémorations étaient à la mesure de la bataille elle-même, qui eut déjà un profond retentissement dans l’Antiquité, aussi bien parce qu’elle mit un frein à la poursuite de l’expansion romaine en Germanie, que parce qu’elle contribua à la construction d’un sentiment identitaire (pan-)germanique. Des auteurs comme Y. Le Bohec n’hésitent pas à comparer la bataille du Teutoburg à la guerre des Gaules, comme point de départ de la formation d’une identité. C’est dire l’importance du sujet et le nombre de traitements dont il a fait l’objet, au fil des époques.
Au milieu de cette tradition cependant, cet ouvrage se démarque à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il ne s’agit pas d’un énièeme livre sur le déroulement des événements, sur la localisation exacte de la bataille ou sur les causes et conséquences. Pour bien comprendre l’intérêt et la portée de cet ouvrage, il convient de ne pas perdre de vue le but pour lequel il a été rédigé : il va de pair avec la mise sur pied de l’exposition homonyme, réalisée grâce à l’action conjointe du Römermuseum im Archäologischen Park Xanten et du LandesMuseum Bonn. L’exposition débuta d’abord à Xanten (23/04/2009-30/08/2009) avant de prendre la direction de Bonn (24/09/2009-24/01/2010). Et c’est Marcus Caelius qui constitue la pierre angulaire autour de laquelle toute l’exposition—et donc aussi le livre—gravite. Le cénotaphe y est radiographié de a à z, tant du point de vue de sa composition matérielle qu’au niveau des informations qu’il recèle. Rien n’est négligé, et le moindre détail permettant de retracer ce que furent la vie et la mort du centurion est exploité. Il en résulte une analyse exceptionnelle, que peu de monuments funéraires romains peuvent se vanter d’avoir subie. Et le fait que cette analyse soit rendue accessible au grand public est véritablement remarquable.
Après une courte fiche descriptive du relief (p. 9-10) comportant les informations relatives, entre autres, au lieu de découverte, à la datation, à l’édition ainsi qu’à la traduction du texte, les trois premières contributions se rassemblent autour de la thématique Politique et Société. La premìere contribution de Hans-Joachim Schalles (p. 12-15) se penche sur la notion de rang social et sur les différences entre hommes libres, affranchis et esclaves. En effet, le monument de Marcus Caelius stipule que ses deux affranchis doivent être enterrés à ses côtés; ils sont d’ailleurs représentés en buste de part et d’autre de Marcus. Dirk Schmitz explique ensuite ce qu’est la tribu, à partir de la mention de la tribu Lemonia, présente dans l’épitaphe (p. 16-20). L’article de Konrad Vössing (p. 21-26) parle ensuite de la mention cecidit bello Variano — tombé à la guerre de Varus et propose une réflexion sur la notion de propagande. En effet, les Romains avaient souvent l’habitude de désigner les guerres ou batailles du nom des adversaires ( bellum Gallicum, bellum Jugurthinum, bellum Mithridaticum, etc.); or ici, c’est le nom du général romain vaincu qui sert de référence.
Les six contributions suivantes s’agencent autour d’une thématique que l’on pourrait traduire par L’environnement de la vie quotidienne. Ulrike Theisen propose un article sur la ville de Bologne (p. 28-32), d’où Marcus est originaire. Hans-Joachim Schalles (p. 33-37) met ensuite en regard les sources antiques parlant de la clades Variana c’est-à-dire du désastre de Varus, avec les écrits des humanistes allemands qui, au XVIe siècle, érigent Arminius au rang de gloire nationale de l’identité allemande. Jennifer Komp propose ensuite une présentation du concept de cénotaphe (p. 38-43) et compare le monument de Marcus avec quelques autres, connus ou non. Marcus Reuter s’intéresse quant à lui à l’âge du décès indiqué sur la pierre tombale (p. 44-48). Le centurion de Bologne dit avoir vécu 53 ans et demi. Cette approche permet une réflexion sur l’espérance de vie d’un soldat durant la période impériale. Sous le titre Tombés pour Rome : pierres tombales des soldats romains (p. 49-53), le même auteur précise que si le cénotaphe de Marcus Caelius est le plus ancien connu en Allemagne, il annonce la multiplication de reliefs du même genre durant les siècles qui suivirent. Hans-Ulrich Nuber s’attarde sur la figure de Varus (p. 54-58).
Les cinq articles suivants traitent des aspects militaires. Marcus Caelius ayant fait partie d’une des trois légions décimées lors du désastre, Martin Müller propose d’abord quelques rappels concernant l’organisation de la légion romaine (p. 60-62). Alexander Reise (p. 63-68) présente ensuite plus en détails les trois légions (XVII, XVIII et XIX) qui ont été anéanties en 9. Marcus ayant été centurion, Marion Nickel analyse donc cette fonction, de même que les carrières et possibilités de carrière qui s’offraient aux recrues (p. 69-72). L’article de Peter Noelke porte ensuite sur la représentation figurée des centurions sur les monuments funéraires (p. 73-79), ce qui est est très intéressant dans la mesure où l’on découvre toute une série d’attributs parmi les plus utilisés pour représenter ce type d’officier. Marcus Caelius est richement décoré de torques, couronnes et phalères; Hans-Hoyer von Prittwitz und Graffon explique la raison d’être de ces différents dona militaria (p. 80-84).
Les onze contributions suivantes portent sur des aspects de présentation purement matérielle du monument funéraire. Il y est essentiellement question des motifs iconographiques, des techniques, des décors et des typologies. Hans G. Frenz replace ce type de monument dans le contexte des reliefs rhénans du Ier s. ap. J.-C. (p. 86-92). Anke Seifert présente ensuite quelques exemples de monuments funéraires aussi bien romains que grecs, ou égyptiens, parfois même contemporains, en mettant en avant le rôle que ces reliefs jouent dans la formation d’une mémoire(p. 93-97). Sur base de l’analyse des bustes de Marcus Caelius et de ses affranchis Privatus et Thiaminus, Susanne Willer explique l’importance du portrait dans l’iconographie funéraire romaine et son intérêt en raison des renseignements qu’il révèle sur la physionomie, les vêtements et les attributs des défunts (p. 98-103). Le même auteur poursuit avec une présentation typologique de l’édicule funéraire (p. 104-109); cette pratique dérive de ce que l’on pouvait trouver déjà dans l’art grec. Précisant davantage les arguments présents dans l’article de Susanne Willer, Anke Seifert s’attarde sur les représentations privées des “piliers aux bustes” (p. 110-113). Stefan Schepp s’attèle, quant à lui, à expliquer la forme du cadre de l’inscription du monument, qui représente une tabula ansata, forme très courante dans l’épigraphie romaine, spécialement militaire, mais qui trouve son origine dans la culture grecque (p. 114-117). Hans-Joachim Schalles fait ensuite preuve de pédagogie, à destination d’un public non averti, en exposant une des principales difficultés inhérentes au travail de l’épigraphiste : la résolution des nombreuses abréviations qui composent toute inscription (p. 118-121). Pour ce faire, il évoque des exemples dans des textes officiels, mais également dans desécritures cursives, montrant que, comme c’est encore le cas aujourd’hui, les abréviations sont omniprésentes dans le monde romain. La stèle de Marcus Caelius, comme c’est souvent le cas, comportait également un décor floral dans lequel les feuilles d’acanthe occupaient une place de choix : Marianne Hilke étudie cette tradition iconographique (p. 122-125). Romina Schiavone présente ensuite une contribution sur les étoffes décoratives, en partant des ornements du haut du monument de Marcus Caelius (p. 126-129). Gerhard Bauchlen
Les trois derniers articles de l’ouvrage, les plus importants quantitativement, retracent l’histoire du cénotaphe, depuis sa découverte jusqu’à la réalisation de l’exposition de 2009. Ainsi, Wilhelm Diedenhofen présente-t-il des copies de dessins de chroniques et annales ayant évoqué ou étudié peu ou prou la pierre, tout en revenant sur les heurs et malheurs qui l’ont conduit jusqu’au musée de Bonn (p. 142-153). Reiner Sörries propose ensuite un court article dans lequel il compare les inscriptions funéraires antiques et modernes, sur le territoire de l’actuelle Allemagne (p. 154-157). Enfin Heidi Gansohr-Meinel explique la place de la pierre de Caelius dans les collections du musée de Bonn (p. 158-164).
Nous ne pourrons pas passer sous silence la manière tout à fait originale dont la bibliographie est présentée. Une première partie bibliographique renvoie vers les ouvrages utilisés pour chaque chapitre, une seconde renvoie vers la littérature générale concernant Marcus Caelius. C’est dans la première partie que réside toute l’originalité. Pour chacun des chapitres présentés ci-dessus, le monument funéraire de Marcus Caelius est reproduit en grisé avec à chaque fois un halo de clarté sur la partie de la pierre évoquée dans le chapitre. Ainsi, pour le chapitre relatif aux tribus, les deux abréviations LEM apparaissant dans l’inscription sont mises en évidence. De même, le chapitre sur les dona militaria permet de faire ressortir la couronne, les phalères, torques et autres médailles du défunt représenté. Et ainsi de suite. Si cette première partie bibliographique se limite en moyenne à une demi-douzaine de titres par chapitre, la seconde partie est plus nourrie.
En présentant un ouvrage richement illustré, facilement maniable, adoptant un langage didactique et visant l’exhaustivité des angles d’approches, les éditeurs ont certainement rempli leur objectif de rendre accessible un savoir scientifique au citoyen lambda. Ce livre recèle fort heureusement la mémoire d’une exposition réussie autour de la bataille du Teutoburg et d’un de ses protagonistes.
Table des matières :
Milena Karabaic, Ein Leben : Marcus Caelius, p. 5
Table des matières, p. 6-7
Ulrike Theisen, Steckbrief: Der Grabstein des Marcus Caelius, p. 9-10
Hans-Joachim Schalles, Soziale Schranken: Freie, Freigelassene, Sklaven, p. 12-15
Dirk Schmitz, Die Tribus: Politische Pflichten, politische Rechte, p. 16-20
Konrad Vössing, Propaganda: der “Varuskrieg”, p. 21-26
Ulrike Theisen, Heimat Bononia: Bologna um die Zeitenwende, p. 28-32
Hans-Joachim Schalles, Fremde: Die Schlacht im Teutoburger Wald, p. 33-37
Jennifer Komp, Leere Gräber: Das Kenotaph, p. 38-43
Marcus Reuter, Wie alt man wurde: Die Angaben auf Grabsteinen, p. 44-48
Marcus Reuter, Gefallen für Rom: Grabsteine römischer Soldaten, p. 49-53
Hans-Ulrich Nuber, Die Tragische Figur: Publius Quinctilius Varus, p. 54-58
Martin Müller, Die Legionen: Roms militärisches Rückgrat, p. 60-62
Alexander Reis, Wege in den Untergang: die Varuslegionen, p. 63-68
Marion Nickel, Der Centurio : Karrieren und Aufstiegschancen, p. 69-72
Peter Noelke, Habitus und memoria : Centurionendarstellungen auf Grabsteinen, p. 73-79
Hans-Hoyer von Prittwitz und Graffon, Dona militaria: Gekrönt und hoch dekoriert, p. 80-84
Hans G. Frenz, Kunstlandschaften: Herkunft und Werkstatt, p. 86-92
Anke Seifert, Ein Erinnerungsbild: Das Grabrelief, p. 93-97
Susanne Willer, Menschenbilder: das Porträt, p. 98-103
Susanne Willer, Die Ädikula: Das Tempelchen als Grabdenkmal, p. 104-109
Anke Seifert, Private Repräsentation: Die Büstenpfeiler, p. 110-113
Stefan Schepp, Gehenkelte Schrift: Die Tabula Ansata, p. 114-117
Hans-Joachim Schalles, TF LEM BON: Die Abkürzungen, p. 118-121
Marianne Hilke, Pflanzen in Stein: Der Akanthus, p. 122-125
Romina Schiavone, Versteinerter Stoff: Die Tänie, p. 126-129
Gerhard Bauchlen
Gerhard Bauchlen
Wilhelm Diedenhofen, Von Xanten nach Bonn, p. 142-153
Reiner Sörries, Ruhe in Frieden: Grabinschriften gestern und heute, p.154-157
Heidi Gansohr-Meinel, Standorte: Der Caeliusstein im Museum, p. 158-164
Bibliographie par chapitre, p. 166-179
Bibliographie sur la Pierre de Caelius, p. 180-185
Les prêteurs, p. 186
Les auteurs, p. 187
Crédits photographiques, p. 188