BMCR 2010.03.23

Le médecin initié par l’animal: animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine

, , Le médecin initié par l'animal: animaux et médecine dans l'Antiquité grecque et latine. Actes du colloque international tenu à la Maison de l'Orient de la Méditerranée-Jean Pouilloux les 26 et 27 octobre 2006. Collection de la maison de l'orient et de la Méditerranée 39. Série littéraire et philosophique 12. Lyon: Maison de l'Orient de la Méditerranée-Jean Pouilloux, 2008. Pp. 260. ISBN 9782356680020. €29.00 (pb).

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Ce volume constitue les actes d’une rencontre tout à fait intéressante organisée à Lyon (Maison de l’Orient et de la Méditerranée) les 26 et 27 octobre 2006. Elle comprend les contributions d’une dizaine d’auteurs qui sont tous rattachés à une université française.

Dans un court avant-propos, les deux éditeurs de ces actes posent le cadre de cette publication dans la continuité d’autres interrogations sur l’histoire de la médecine, notamment sous l’impulsion du Centre Jean Palerne (Saint-Etienne). Souhaitant mêler, comme le faisaient praticiens et médecins antiques, connaissances anatomiques, thérapeutiques et zoologiques, Boehm et Luccioni ont véritablement réussi leur pari. Ces contributions sont remarquablement riches et variées, d’un haut niveau universitaire tout en restant accessibles au profane. Chaque article de ces actes est précédé d’un résumé en français et en anglais, et suivi par une bibliographie circonstanciée.

Danielle Gourevitch propose en guise d’introduction une sorte de voyage initiatique dans le bestiaire de Galien, parfois fabuleux, dont on peut se demander s’il ne sert pas plutôt de faire-valoir au maître de Pergame que de véritable catalogue à but pratique.

Véronique Boudon-Millot s’intéresse à la définition et à la position de l’homme au sein de l’ordre animal, fondant son discours sur le De usu partium I,2 de Galien.

Armelle Debru reste dans l’oeuvre de Galien en analysant l’usage fait par ce médecin de la torpille notamment dans le cadre de la prise en charge des céphalées, mais aussi d’un point de vue toxicologique.

Jean-Marie Jacques reste dans le domaine de la toxicologie en poussant assez loin (mais jamais trop) une relecture de l’oeuvre de Nicandre de Colophon montrant l’implication des animaux dans l’apprentissage aux hommes des fonctions toxiques de son environnement direct. La position des serpents y est prépondérante, de même que le cadre de vie souvent vécu comme malsain de ces êtres vivants aux vertus empoisonnantes (un thème qui sera repris plus loin par Jean Trinquier).

Arnaud Zucker change d’angle d’attaque en choisissant de décrire les maladies communes à l’homme et à l’animal. Dans ce discours, il est dommage que la paléopathologie (et notamment la paléoparasitologie, l’animal étant un important pourvoyeur de parasites pour l’homme) soit tenue hors de course, l’auteur ne se cantonnant qu’à un point de vue philologique… Néanmoins, sa démonstration de l’auto-médication de certains animaux (par la diète, par le régime, voire par l’ingestion volontaire et dirigée de plantes avec principes actifs), source d’inspiration pour la thérapeutique humaine, est impeccable.

Jean Bouffergue reprend ce même thème d’enseignement médico-thérapeutique des animaux à l’homme (qui n’est rien de moins qu’un réel talent d’observation de l’esprit humain) en fondant son discours sur le livre IX de l’ Histoire des animaux d’Aristote.

Suzanne Amigues s’intéresse, elle, à la contamination des humains par l’ingestion de viande d’animaux contaminés par des toxiques: les effets délétères sont-ils réels? Quel apport la médecine moderne peut-elle porter sur ces phénomènes a priori observés et décrits par les praticiens antiques? Comme exemple principal, elle a choisi le coturnisme, intoxication bien particulière consécutive à la consommation de caille ( cortunix).

Florence Bourbon et Sébastien Barbara explorent un autre aspect de cette co-existence homme-animaux avec l’utilisation d’espèces à fort potentiel symbolique dans des recettes médicinales et principalement gynécologiques (crabe de rivière, poulpe de mer). Plus qu’une véritable efficacité de ces espèces, ne faut-il pas plutôt y voir une préfiguration de la théorie des “signatures” propre à Paracelse, l’animal se muant par sa forme à l’organe malade?

Sébastien Barbara (seul, cette fois-ci) s’intéresse ensuite à deux entités particulièrement rares et recherchées dans la pharmacopée antique: castoréum et basilic. D’où vient leur réputation? Comment expliquer leur fréquence dans les recettes et prescriptions malgré une cherté et un coût prodigieux?

L’article de Jean Trinquier est probablement l’un des plus intéressants et des mieux fournis de ces actes. En une cinquantaine de pages, l’auteur décrit de façon complète les conditions d’apparition, de développement, d’expansion, de dangerosité, de contagion, de pestilence des faunes des marais. Le caractère exhaustif de cette présentation, de même que l’aisance avec laquelle on navigue d’une source à une autre sont autant de preuve que l’auteur domine son sujet. La lecture n’en est que plus facile et l’information plus aisément transmise.

Marie-Claude Charpentier et Jordi Pàmias centrent leur approche sur l’animal comme révélateur d’une catastrophe imminente.

Enfin, clôturant cette suite de regards croisés médico-zoologiques, Valérie Gitton-Ripoll remonte le plus loin possible dans l’origine de cet être fabuleux qu’est Chiron? (et, à travers lui les centaures): ces êtres hybrides ne préfigurent-ils pas l’apprentissage de l’art médical par l’intimité unissant espèces humaines et animales?

Remarquablement utiles, une suite d’index (noms d’animaux, lieux, plantes, noms divins, noms propres, notion et passages cités) et les coordonnées des différents auteurs sont enfin délivrés à la fin de l’ouvrage.

En conclusion, on ne saurait trop recommander la lecture de ce passionnant ouvrage qui amène de multiples regards et de nombreux échanges de compétences sur ces rapports parfois intimes entre animaux et humains dans le domaine de l’anatomie et de l’art médical.

Isabelle Boehm et Pascal Luccioni, Avant-propos

Danièle Gourevitch (EPHE, Paris), Le bestiaire de Galien

Véronique Boudon-Millot (UMR 8062, CNRS, Paris), L’homme, cet animal doué de sagesse et seul être divin parmi ceux qui vivent sur la terre (Galien, De usu partium I,2)

Armelle deBru (Université René Descartes-Paris 5), Les enseignements de la torpille dans la médecine antique

Jean-Marie Jacques (Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, émérite), L’animal et la médecine iologique: à propos de Nicandre de Colophon

Arnaud Zucker (Cépam UMR 6130, Université de Nice Sophia-Antipolis), Homme et animal: pathologies communes et thérapies partagées?

Jean Bouffartigue (Université Paris 10 Nanterre, émérite), L’automédication des animaux chez les auteurs antiques

Suzanne Amigues (Université Paul Valéry-Montpellier 3), Remèdes et poisons végétaux transmis à l’homme par l’animal

Florence Bourbon (IUFM de Paris / Université Paris Sorbonne-Paris 4), Poulpe de mer et crabe de rivière dans la Collection hippocratique

Sébastien Barbara (Halma-Ipel, UMR 8164, Université Charles de Gaulle-Lille 3), Castoréum et basilic, deux substances animales de la pharmacopée ancienne

Jean Trinquier (Halma-Ipel, UMR 8164, Université Charles de Gaulle-Lille 3), La hantise de l’invasion pestilentielle: le rôle de la faune des marais dans l’étiologie des maladies épidémiques d’après les sources latines

Marie-Claude Charpentier et Jordi Pàmias (Université de Franche-Comté, Université Autonome de Barcelone), Les animaux et la crise de panique en Grèce antique

Valérie Gitton-Ripoll (Université Toulouse 2-Le Mirail), Chiron, le cheval-médecin ou pourquoi Hippocrate s’appelle Hippocrate

Isabelle Boehm et Pascal Luccioni, Index (noms d’animaux, de lieux, de plantes ; noms divins, noms propres ; notions ; passages cités)

Coordonnées des contributeurs (décembre 2008)