BMCR 2010.03.10

Sylloge nummorum religionis isiacae et sarapiacae (SNRIS). Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 38

, Sylloge nummorum religionis isiacae et sarapiacae (SNRIS). Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 38. Paris: Diffusion de Boccard, 2008. 347; CD-ROM. ISBN 9782877542135. €90.00 (pb).

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C’est un lourd défi que les auteurs de la Sylloge Nummorum religionis Isiacae et Sarapiacae (SNRIS) ont voulu relever. Proposer un corpus d’environ 5500 émissions monétaires qui réponde aux exigences des numismates, et en même temps balayer thématiquement toute l’iconographie monétaire d’Isis et d’Osiris, de manière à mettre en évidence les pistes de recherche que l’on peut y découvrir, tout en proposant déjà des éléments de synthèse. L’entreprise, commencée voilà dix ans, s’inscrit dans la continuité des travaux de Laurent Bricault visant à réunir la documentation relative à Isis, et qui comportait déjà notamment l’ Atlas de la diffusion des cultes isiaques (2001) et le Recueil des inscriptions concernant les cultes isiaques (2005). Et dans cette perspective, la publication du présent ouvrage partait de la constatation d’une insuffisante ou d’une mauvaise utilisation des sources numismatiques, largement due à l’absence de corpus monétaire exhaustif. D’où l’originalité de cette sylloge thématique, formule nouvelle et réussie, due, sous la direction de L. Bricault, à une équipe de numismates associés à des spécialistes de l’histoire des religions: Richard Ashton, Fabrice Delrieux, Wolfgang Leschhorn Carla Sfameni et Giulia Sfameni Gasparro. L’ouvrage, paru en 2008 chez De Boccard, s’inscrit dans la série des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dont il constitue le tome XXXVII, et s’ouvre, à ce titre, sur une préface de Jean Leclant.

Cet ouvrage se présente sous une forme double, imposée par l’ampleur de la tâche. D’abord un beau volume de 290 pages d’analyses et de synthèses, suivies de 51 cartes couleur. Ces cartes situent les ateliers émetteurs, d’abord globalement en Méditerranée, puis en les détaillant par région d’abord, puis par thème iconographique. Ce volume, qui s’achève sur une bibliographie exhaustive et des indices nourris, s’accompagne d’une base de données sur cédérom réunissant près de 30000 monnaies avec 1500 photographies, comportant les fiches et les illustrations des émissions monétaires, ainsi qu’un moteur de recherche très commode, permettant d’interroger la base de données selon des critères très variés. Il est clair que cette formule du cédérom était la seule qui permettait de proposer un si vaste corpus sous une forme à la fois publiable et exhaustive.

L’utilisation des illustrations de ce catalogue est simple à défaut d’avoir la maniabilité d’un corpus sur papier. L’habitude d’autres sylloge fait sans doute que l’on peut être, au départ, étonné par l’hétérogénéité des reproductions, reprises de sources photographiques diverses. Indépendamment de la qualité de conservation des documents d’origine, celle des supports auxquels les reproductions ont été empruntées amène une certaine inégalité du présent corpus. Il est cependant évident que la recherche des reproductions originales toutes les fois que cela est possible, aurait rendu l’entreprise infiniment plus longue et difficile. Et il faut surtout y voir le reflet du difficile et remarquable travail de recherche documentaire effectué par les auteurs au cours des longues éde préparation de l’ouvrage. Les fiches descriptives des monnaies, d’une grande clarté, donnent tous les éléments attendus d’une sylloge par le numismate. La difficulté principale résidait dans le choix du degré adéquat de précision pour la description des motifs iconographiques: suffisamment précis pour être opératoires sans aller jusqu’aux différences de coins et aux liaisons entre ces derniers. Les options retenues ont pu varier en fonction de la finesse des classifications déjà existantes ou de la nécessité d’en préciser de nouvelles.

Le volume d’analyse et de synthèse se répartit en trois parties d’inégale longueur. La première présente sur 80 pages, en guise de préalable, une mise au point sur l’iconographie des diverses divinités en question, Isis, Osiris, Sérapis, Horus, Apis, Harpocrate et Anubis, ainsi que sur les éléments constitutifs de cette iconographie et éventuellement ses évolutions. Abondamment illustrée dans le texte et pourvue de tableaux précisant les lieux et dates des émissions monétaires reprenant ces différentes iconographies, cette partie constitue un utile et commode répertoire introductif.

Une deuxième partie, intitulée “Présence et signification des types isiaques dans les monnayages antiques” se subdivise en 15 chapitres de longueur inégale, consacrés à autant d’études régionales: Egypte lagide; Grèce; Troade-Mysie-Bithynie-Paphlagonie-Pont; Cappadoce-Galatie-Lycaonie, Eolide-Ionie-Carie-; Lydie-Phrygie, Lycie-Pisidie-Pamphylie, Cilicie; Proche-Orient; Cossura et Melita; Sicile ; Rome; Mésie et Thrace; Périphéries septentrionales et orientales; Afrique du Nord.

Ces chapitres se présentent comme un véritable cheminement à travers les émissions régionales, cité par cité, au cours duquel les auteurs décrivent les thèmes figurés, pointent leurs particularités, effectuant de nombreux rapprochements féconds avec les autres sources documentaires, indiquant les résultats acquis et les questions pendantes. La difficulté était alors de trouver une voie adéquate entre la concision d’un ouvrage qui devait être au plein sens du terme une sylloge, et la tentative pour procurer des synthèses régionales achevées. Et on pourra toujours chercher à reprocher aux auteurs, comme toujours dans ces circonstances, d’en avoir fait trop ou pas assez, en mêlant les genres. Mais de fait, en présentant conjointement des états de la question nécessairement concis et des premières synthèses tout aussi nécessairement ouvertes, ces divers chapitres, en lien avec le cédérom, réussissent à mettre à la disposition des spécialistes les données fournies par les sources monétaires, tout en indiquant avec la prudence méthodologique nécessaire les rapprochements possibles avec d’autres sources. Ainsi les auteurs s’arrêtent-ils parfois pour laisser à d’autres le soin de poursuivre, parfois au contraire, lorsque la documentation le permet, présentent-ils déjà une première synthèse. De nombreux tableaux, récapitulant la diffusion des différents themes par citéés et par règnes ou autorités émettrices étayent et clarifient l’exposé, éclairé constamment par de tres bonnes illustrations au fil du texte. Ils constituent aussi, évidemment, de précieux instruments d’analyses ultérieures.

Et c’est là, bien évidemment, que les disparités entre les diverses documentations régionales se font jour. Certaines régions comme la Grèce continentale ou le Proche-Orient ont fourni de beaux témoignages. Les émissions sévériennes de Pagae dans le Péloponnèse constituent une source particulièrement abondante et précieuse. A Ptolemais, un très riche ensemble iconographique permet de suivre la reconnaissance publique d’Isis, Harpocrate et surtout Sérapis dès avant l’époque des Sévères. De même, les Balkans permettent d’intéressantes analyses. Le Théos Mégas Sarapis y est particulièrement bien mis en évidence; à Istros on peut suivre l’évolution du dieu cavalier dont l’image se modifie, se “sérapise” entre l’époque de Commode et celle de Gordien. D’autres régions, en revanche, sont moins favorisées. L’Asie Mineure représente, pour la question, un vaste domaine dans lequel les émissions restent discontinues dans l’espace et le temps. Le caractère de ces frappes, parfois connues à quelques exemplaires seulement, rend difficile toute analyse d’évolution. On pense par exemple aux émissions de Sinope dont nous n’avons sans doute pas encore toutes les composantes dans nos médailliers. De même, l’Afrique reste une région d’interprétation difficile. Les représentations isiaques sont rares mais relativement bien réparties, celles de Sérapis plus nombreuses, mais regroupées dans la zone sud-est de la région. Quels sont les liens de Sérapis avec le Baal Hammon punique et ceux d’Isis avec la carthaginoise Tanit ? L’iconographie est ici d’interprétation délicate et l’enquête reste à pousser.

De nombreux apports jalonnent cette reconnaissance àtravers les émissions isiaques. On ne peut en signaler ici que quelques uns. D’abord les nouveaux éléments fournis aux spécialistes d’histoire religieuse pour suivre l’évolution de l’iconographique de Sérapis, très “osirianisée” au début, puis qui s’individualise, notamment par le calathos. Le témoignage des monnaies est ici confirmé par une autre source, elle-aussi longtemps délaissée, les gemmes et les intailles auxquels sont consacrés des travaux de Richard Veymiers. Les sources numismatiques permettent aussi de remettre en cause l’idée que les cultes d’Isis et de Sérapis tendaient à s’affaiblir après l’époque de Caracalla. On peut aussi constater, par la répartition des émissions monétaires, qu’Isis et Sérapis suivent des voies de diffusion distinctes. Ainsi Isis est quasiment absente des émissions des colonies romaines du Proche-Orient, où Sérapis est extrêmement présent, tandis qu’elle-même semble se spécialiser dans son rôle de protection de la navigation, comme le montre sa présence sur les émissions des cités portuaires. Enfin, on peut suivre, de l’Asie Mineure à Alexandrie, l’association ou même l’identification progressive de Sérapis à Hélios ou Zeus dont il récupère certaines des prérogatives. Sérapis prend ainsi les dimensions d’un dieu cosmocrator par excellence, comme en témoigne le Zeus Hélios Mégas Sérapis des camps militaires d’Egypte.

L’ouvrage se clôt sur une troisième et courte partie de 16 pages, intitulée “Essai d’analyse chronologique”, qui pose les grandes lignes d’une évolution générale sous la forme de courtes synthèses reprenant en écharpe, de manière chronologique, la matière évoquée dans les chapitres régionaux de la deuxième partie. On y examine successivement l’époque hellénistique et julio-claudienne, les périodes antonine puis sévérienne, pour terminer par les années 235-284 et celles qui vont de la Tétrarchie à 395 ap. J.C. Il s’agit de montrer, en dépassant le cadre des 239 cités qui ont usé de thèmes isiaques, les facteurs extérieurs généraux qui ont généré cette iconographie. Les dieux égyptiens ont essaimé à l’époque hellénistique tout au long des routes maritimes, puis ont gagnéles arrière-pays à partir des ports, selon des modalités variées. Et cela tout autant pour des raisons politiques liées au début à la puissance des Lagides que pour des causes directement religieuses. C’est sous les Julio-Claudiens et les Flaviens que l’on perçoit véritablement l’éclosion du répertoire monétaire isiaque. Ces types isiaques continuent à fleurir toujours davantage à l’époque antonine malgré le désintérêt des empereurs, et c’est surtout sous les Sévères que l’on trouve l’apogée de ces frappes favorisées par l’engouement de Caracalla. La disparition, à partir d’Aurélien, des émissions locales fait qu’ensuite la trace des divinités égyptiennes se perd sur le monnayage.

Ce livre entendait montrer toute l’importance des sources numismatiques pour l’étude des cultes isiaques. C’est chose faite et il aura, au bout du compte, bien tenu le pari d’une sylloge thématique, à la fois recueil exhaustif de documents très bien décrits et présentés, et synthèse ouverte, qui invite à poursuivre la recherche, ne prétend pas donner de réponse globale, mais suggère de multiples réponses àdes situations complexes. On ne peut que souhaiter que l’exemple de cette belle sylloge suscite d’autres vocations.

TABLE OF CONTENTS PREFACE, par Jean Leclant
INTRODUCTION (L. B.)

I.TYPES MONETAIRES ISIAQUES (L.B.)

Á Coiffes: 1/ Atef; 2/ Basileion; 3/ Calathos; 4/ Couronne radiée; 5/ Hem-Hem; 6/ Fleur de lotus; B/ Divinités isiaques: 1/ Isis; 2/ Osiris; 3/ Sarapis; 4/ Apis; 5/ Horus; 6/ Harpocrate; 7/ Anubis; C/ Varia: 1/ Cerbère; 2/ Sistre; 3/ Situle

II. PRESENCE ET SIGNIFICATION DES TYPES ISIAQUES DANS LES MONNAYAGES ANTIQUES

Egypte lagide (LB); Grèce (LB); Troade, Mysie, Bithynie, Paphlagonie, Pont (LB, FD, WL); Cappadoce, Galatie, Lycaonie (FD); Eolide, Ionie, Carie (RA, LB, FD); Lydie, Phrygie (WL); Lycie, Pisidie, Pamphylie (FD); Cilicie (FD); Proche-Orient (LB); Cossura et Melitta (CS); Sicile (GSG);Rome (LB);Mésie et Thrace (UP); Périphéries septentrionales et orientales (LB); Afrique du Nord (LB)

III. ESSAI D’ANALYSE CHRONOLOGIQUE

Les monnaies à types ou marques isiaques: à l’époque hellénistique (FD); aux époques julio-claudienne et flavienne (LB); à l’époque antonine (LB); a`l’époque sévérienne (LB); de la mort d’Alexandre séve`re à la prise du pouvoir par Dioclétien (LB); de l’avènement de Dioclétien à la fin du IV e s. (LB) CONCLUSION (LB)
ABREVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
ABREVIATIONS UTILISEES DANS LES TABLEAUX
INDEX
LISTE DES ILLUSTRATIONS
LA BASE DE DONNEES INFORMATISEE
ATLAS CARTOGRAPHIQUE (FD)