BMCR 2009.11.14

Le cirque romain et son image: [Actes du colloque tenu à l’institut Ausonius, Bordeaux, 2006]. Mémoires, 20

, , Le cirque romain et son image: [Actes du colloque tenu à l'institut Ausonius, Bordeaux, 2006]. Mémoires, 20. Bordeaux: Ausonius, 2008. 584. ISBN 978-2-35613-001-3. €70.00.

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Jean Michel Roddaz, professeur à l’université de Bordeaux et spécialiste des sociétés de l’empire romain occidental, et Jocelyne Nelis-Clément, chercheur CNRS, dont on a déjà pu apprécier les travaux sur le cirque, nous proposent ici l’édition des actes d’un colloque international tenu à Bordeaux du 19 au 21 octobre 2006. Ce colloque est le résultat de neuf années de recherches menées par le groupe Ausonius, débutées en 1997 avec ICONIC, poursuivies par Circus Romanus, puis par une série d’études sur les spectacles du cirque et leur réception qui ont fait l’objet de journées d’échanges à Bordeaux. Les trente textes qui constituent ce volume, dont il faut souligner le caractère international avec cinq langues et dix nationalités, se placent dans la perspective des travaux de J. H. Humprey, Roman Circuses. Arenas for Chariot Racing, Berkeley-Los Angeles, 1986. Il s’agit de mettre en avant l’évolution des connaissances sur ce sujet depuis l’oeuvre majeure de Humphrey et d’ouvrir de nouvelles perspectives. L’effort accompli pour s’engager dans de nouvelles voies permet d’éviter l’écueil d’une étude purement architecturale et archéologique — ce que l’on aurait pu craindre en débutant la lecture — et de proposer une réelle et stimulante approche pluridisciplinaire n’hésitant pas à lancer l’analyse dans des directions innovantes, de la restitution du Cirque Maxime en 3D à l’étude des sons dans et autour de l’édifice. Pourtant, le sujet est vaste et complexe, de sorte que certains aspects sont, par nécessité, laissés en marge ou peu traités, tels que, par exemple, l’étude architecturale des alentours des cirques ou celle des connotations religieuses des spectacles.

Le point de départ et fil directeur de ce colloque est l’imposant travail de restitution en 3D du Cirque Maxime de Rome. L’enjeu majeur est d’en cerner les usages et les limites. Comment partir des données de fouilles pour tenter une restitution? Comment images et textes antiques, médiévaux ou modernes, peuvent-ils contribuer à cette entreprise? Une telle reconstitution est-elle fiable? Est-elle applicable à d’autres édifices? Quelles sont les implications qu’un tel produit de la technologie peut avoir sur notre perception des réalités antiques? Telles sont les questionnements qui traversent le colloque, à côté d’autres enjeux plus attendus.

Les interventions sont classées en trois thèmes majeurs. Le premier est consacré au Modèle archéologique du cirque. La contribution de Paola Ciancio Rosetto dresse tout d’abord un état de la question sur l’étude du Cirque Maxime, monument qui évolue sans cesse depuis l’époque romaine jusqu’aux périodes les plus récentes. La chronologie, envisagée dans cet ouvrage, commence avec la création d’une forme architecturale nouvelle dans le Grand Cirque, à l’èpoque césarienne. De nouveaux savoirs-faire, notamment en ce qui concerne la structure des édifices et leur décoration, permettent de recréer, à partir d’un lieu anciennement occupé, un espace public pourvu de toutes les commodités, dont l’adduction d’eau encore difficile à repérer (cf. M.L. Buonfiglio). Ce premier chapitre rappelle judicieusement les expériences antérieures, en Italie du Sud notamment (cf. G. Pisani-Sartorio). Sur ce point, certaines analyses semblent contestables, en particulier la citation, sans recul critique, de la soi-disant tentative du double édifice de Curion, qui serait le premier amphithéâtre, telle qu’elle est décrite par Pline ( N. H., 36, 116-120.) et qui mériterait un approfondissement ; de même l’utilisation, dans la comparaison avec les autres édifices de spectacle, du terme campi sans définition (pour plus de renseignements à ce sujet, voir la thèse de Aldo Borlhengi, Le Campus dans l’Italie romaine et les provinces occidentales: typologie et fonction d’un complexe public, Université d’Aix en Provence 1, 2006). Tous les auteurs soulignent la difficulté qu’il y a à étudier les vestiges d’un tel monument, en particulier les parties mentionnées par les textes, comme la Spina, le Puluinar ou le Suggestum, et la nécessité de croiser les sources. Les repères méthodologiques sont néanmoins judicieusement posés et G. Pisano-Sartorio propose huit manières d’appréhender le cirque: sa structure, son rapport avec d’autres monuments et le contexte urbanistique, l’interprétation exhaustive des sources, le problème des structures éphèmères, la symbolique cosmique (problématique porteuse qui mériterait de plus amples développements), le rapport avec les palais impériaux tardifs, la possibilité d’une relation avec les mausolées impériaux et les basiliques chrétiennes cimétériales, et enfin la simulation virtuelle.

Le deuxième chapitre de la première partie s’intéresse à l’Afrique et aux provinces orientales. Louis Maurin propose un bilan archéologique complet des connaissances sur les cirques d’Afrique. Il s’interroge sur les structures provisoires et se demande si les mosaïques mettant en valeur des éléments architecturaux en rapport avec des jeux sont l’image idéalisée du cirque en général ou l’image d’un cirque en particulier, et je suis pleinement ses conclusions: l’iconographie du cirque est culturelle et non archéologique. C’est-à-dire que l’image ne renvoie pas nécessairement à la réalité du terrain mais à un système de représentations. On doit aussi souligner les évolutions chronologiques sensibles dans cette région de l’empire et un engouement pour le cirque qui semble perdurer sous la domination vandale (cf. Ridha Ghaddhab). Les particularismes provinciaux sont au coeur de l’analyse, et on les retrouve en Orient. Hazel Dodge montre bien la difficulté de proposer une définition du cirque dans le contexte oriental. Il met en évidence la multiplicité des fonctions des édifices de spectacle dans ces provinces: leurs formes varient et les spectacles qu’ils abritent ne sont pas exclusifs d’un type de bâtiment. Un des rares grands cirques de l’Orient romain, celui de Constantinople, est étudié par Jean-Claude Golvin qui en propose une restitution, et en ébauche l’articulation avec ses abords.

Le troisième chapitre apporte un éclairage sur les provinces occidentales: les douze cirques d’Hispanie (Trinidad Nogales Basarrate), celui d’Arles (Claude Sintès) et celui de Colchester (Philip Grummy). Ces contributions montrent le rôle majeur que jouent les monographies et les études locales dans l’avancée de nos connaissances globales. Ici se pose à nouveau la question, toujours sans réponse, de la raison pour laquelle il y a si peu de cirques en Hispanie, lieu pourtant connu dans l’Antiquité pour ses chevaux. La pratique arlésienne des pilotis de fondation est analysée par Claude Sintès qui estime que près de 200 hectares de forêt ont été utilisés pour la construction du cirque d’Arles. La dendrochronologie nous donne des dates d’abattage en 148/149 p.C. Cette découverte laisse entrevoir la possiblité de nouvelles recherches sur l’organisation d’un tel chantier dans une ville de province.

Le dernier chapitre de la première partie se présente comme une annexe méthodologique, notamment sur l’usage de la réalité virtuelle (cf. Robert Vergnieux) et sur les difficultés que soulève l’interprétation des images antiques. La réflexion terminologique que propose Jean-Claude Golvin, avec la création de néologismes étonnants, met en avant le fait que la reconstitution est la construction mentale d’une réalité qui a simplement toutes les raisons d’être la bonne, c’est-à-dire qui présente plus d’indices de fiabilité que de non fiabilité. Nous raisonnons en terme de probabilitè, de sorte que, à mon sens, une restitution en 3D, aussi utile soit-elle, reste une vue de l’esprit dépendante de nos connaissances et sensibilités à un moment précis. D’ailleurs Robert Vergnieux présente, à juste titre, la maquette 3D comme un outil destiné à évoluer avec la pensée, et non à rester figé.

La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule Les spectacles du cirque et leur reception; elle déborde de l’analyse purement architecturale et archéologique pour examiner, dans un premier chapitre, le déroulement et l’organisation des spectacles. Fabricia Fauquet présente, grâce à la méthode 3D, le déroulement d’une course. On regrettera la relative faiblesse de l’analyse sur les évènements qui précèdent immédiatement la course. De même, si l’auteur pose des questions sur la valeur des sept tours, on aurait souhaité qu’elle aille plus loin dans l’analyse de la terminologie ancienne des faits et espaces qu’elle décrit. Gwénaëlle Marchet s’interroge sur le signal de départ et se livre avec virtuosité à une étude solide sur la mappa. L’article de Christophe Hugoniot sur les banquets accompagnant les jeux du cirque s’inspire en partie des travaux de John Scheid. En effet, des pratiques rituelles publiques et privées gravitaient autour des spectacles. Anne Bajard, en étudiant une série monétaire de SeptimeSévère montrant un navire sur la spina, livre une analyse très convaincante de la vision cosmogonique de Rome encouragée par la propagande impériale et l’extension de l’empire (cf. aussi Wolfgang Decker sur l’Égypte).

Un deuxième chapitre traite de la reception du cirque dans la société romaine ; il s’ouvre par la remise à plat des problématiques liées à la figure du spectateur, puis, dans un second temps, il s’intéresse aux déformations, en partie dues au contexte politique, que l’on retrouve entre la réalité telle qu’on peut la saisir et les images du cirque que produisent les artistes et artisans romains. Bettina Bergmann reprend l’idée d’étudier cirques et amphithéâtres ensemble ; l’exemple pris en considération, celui de la mosaïque de Carthage du Musée du Bardo, ne semble cependant pas convaincant. Même si l’artiste a pu s’inspirer de l’architecture de l’amphithéâtre voisin pour réaliser son oeuvre, ce qui reste une supposition, il s’agit bien d’un cirque, que l’on ne peut confondre avec un amphithéâtre. Dans un deuxième axe de réflexion, l’auteur avance que les images des jeux du cirque ne représentent pas nécessairement un évènement réel mais plutôt des instantanés d’évènements habituels dans le cadre des courses, une sorte de mise en images de topoi des circenses. Pourtant, il n’est pas si aisément démontrable que la victoire des verts sur la mosaïque de la villa Casale est une représentation des ludi circenses en général plutôt que la commémoration d’un spectacle réellement donné par le propriétaire de la villa. En revenche, Bettina Bergmann montre bien que le spectacle touche tous les sens comme le révèle aussi la passionnante étude de Jocelyne Nelis-Clément sur les sons dans le cirque. Cette contribution se place dans le cadre d’une histoire du sensible, dans la lignée des travaux d’Alain Corbin. Elle pose des questions intéressantes sur les lois physiques de l’acoustique et sur la nécessité d’une communication non verbale. La description enthousiasmante qu’elle nous fait d’une journée dans et aux alentours du cirque rend ce monde vivant et coloré, en complément de l’image plutôt froide livrée par la maquette. On mentionnera encore d’intéressantes études sur les représentations de l’aurige (cf. Sinclair Bell), sur les “produits dérivés”, de la lampe à huile au couteau (cf. Christian Landes), et sur la représentation étoilée de l’aurige (cf. Jean-Paul Thuillier).

Enfin, ce cycle d’interventions se clôt par une partie intitulée Cirque et Idéologie. Un premier constat s’impose: on perd ici un peu de la cohérence des autres parties. Leandro Polverini nous présente un état de la question sur le rôle des femmes dans les édifices de spectacle. Gerhard Horsmann revient sur le problème du tabou qui frappe les membres des ordines, le contournement de ce tabou à la fin de la république et la réaction augustéenne. Manuel Royo approche avec nuance le lien entre Domus Impériale et cirque, un lien qui n’existe pas aux origines. Damien P. Nelis étudie les Géorgiques de Virgile et y relève les mentions de courses de chars, comparées à la folie guerrière. Allessandro Barchiesi s’interroge de son côté sur la perception du Cirque Maxime et de son contexte urbain chez les Anciens. Il choisit de chercher chez Ovide des analogies avec le panorama urbain en se basant sur le concept d’ Unheimliche (la fantaisie transgressive se base sur une réalité concrète sous-jacente). L’hypothèse est audacieuse, excentrique selon les termes de l’auteur, mais elle ouvre des développements prenants sur les perceptions du quartier du cirque à l’époque augustéenne. Enfin, Jacques Chamay présente la seule meta encore intacte connue.

En définitive, exception faite des quelques limites signalées (on ne sait toujours pas si le Cirque Maxime contenait 80000, 150000 ou 250000 places), cet ouvrage marque un jalon fondamental, peut-être le plus important depuis Humphrey, dans la recherche sur les spectacles du cirque et révèle combien le sujet reste un terrain d’investigations prometteuses. On saluera la qualité et l’homogénéité de la majorité des interventions, la pluridisciplinarité transfrontalière de ce colloque et les vastes perspectives qu’il ouvre à travers certains aspects nouveaux, comme la reconstitution en 3D. Certains champs, laissés en marge, permettent d’entrevoir de futures et fructueuses recherches sur les aspects symboliques et religieux de l’édifice, son contexte urbain ou encore ses structures éphémères.

Introduction par Jocelyne Nelis-Clément et Jean-Michel Roddaz, p. 11

PREMIÈRE PARTIE. MODÈLE ARCHÉOLOGIQUE DU CIRQUE I. Rome
P. Ciancio Rosseto, La ricostruzione architettonica del Circo Massimo: dagli scavi alla maquette elettronica, p. 17
M. Buonfiglio, Appunti sui sistemi idraulici del Circo Massimo, p. 39
G. Pisani Sartorio, Le cirque de Maxence et les cirques de l’Italie antique, p. 47
J.-Cl. Golvin, Réflexion relative aux questions soulevées par l’étude du puluinar et de la spina du Circus Maximus, p. 79
II. L’Afrique et les provinces orientales
L. Maurin, Les édifices de cirque en Afrique: bilan archéologique, p. 91
R. Ghaddhab, Les édifices de spectacle en Afrique: prospérité et continuité de la cité classique pendant l’Antiquité tardive?, p. 109
H. Dodge, Circuses in the Roman East: a reappraisal, p.133
J.-Cl. Golvin, La restitution architecturale de l’hippodrome de Constantinople. Méthodologie, résultats, état d’avancement de la réflexion, p. 147
III. Les provinces occidentales
Tr. Nogales Basarrate, Circos romanos de Hispania. Novedades y perspectivas arqueológicas, p. 161
Cl. Sintes, Le cirque d’Arles: l’apport des fouilles depuis 1986, p. 203
Ph. Crummy, The Roman Circus at Colchester, England, p. 213
IV. Annexe méthodologique
R. Vergnieux, Origine de l’usage de la Réalité Virtuelle à l’Institut Ausonius et les premiers travaux sur le Circus Maximus, p. 235
J.-Cl. Golvin, L’exploitation des images antiques: problèmes de méthodologie, p. 243

DEUXIÈME PARTIE. LES SPECTACLES DU CIRQUE ET LEUR RÉCEPTION I. Déroulement et organisation des spectacles
F. Fauquet, Le fonctionnement du cirque romain. Déroulement d’une course de chars, p. 261
Gw. Marchet, Mittere mappam , Mart. 12.28.9: du signal de départ à la théologie impériale, Ier a.C.-VIIe p.C., p. 291
Chr. Hugoniot, Les banquets des jeux publics à Rome: banquets et sacrifices, p. 319
A. Bajard, Un décor de navire dans le grand cirque sous Septime Sévère, p. 335
W. Decker, Wagenrennen im römischen Ägypten, p. 347
II. Réception des spectacles
B. Bergmann, Pictorial Narratives of the Roman Circus, p. 361
S. Bell, The Face of Victory? A Misidentified Head in Rome and the ? Problem ? of Charioteer Portraits, p. 393
Chr. Landes, Le Circus Maximus et ses produits dérivés, p. 413
J. Nelli-Clément, Le cirque et son paysage sonore, p. 431
J.-P. Thuillier, Manilius, Astronomica, 5.67 sq.: le cocher et les agitateurs, p. 459

TROISIÈME PARTIE. CIRQUE ET IDÉOLOGIE L. Polverini, Donne al circo, p. 469
G. Horsmann, Public performances by senators and knights and the moral legislation of Augustus, p. 475
M. Royo, De la Domus Gelotiana aux Horti Spei Veteris : retour sur la question de l’association entre cirque et palais à Rome, p. 481
D. P. Nelis, Caesar, the Circus and the charioteer in Vergil’s Georgics, p. 497
A. Barchiesi, Le Cirque du Soleil, p. 521
J. Chamay, La borne d’Olympie, p. 539
Index, p. 543
Résumés, p. 571