BMCR 2009.11.10

Roman Portraits in Context. Image and Context; v. 2

, Roman Portraits in Context. Image and Context; v. 2. Berlin/New York: Walter de Gruyter, 2008. ix, 592. ISBN 9783110186642. $129.95.

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Rares sont les synthèses sur la sculpture romaine, plus rares encore les bonnes synthèses. Jane Fejfer nous en offre ici une excellente avec Roman Portraits in Context, un ouvrage clair, précis et bien argumenté. Impossible de ne pas mentionner d’emblée l’excellente qualité et la richesse des illustrations. Une grande partie des oeuvres mentionnées par l’auteur sont ici illustrées par nombre d’excellents documents iconographiques. Seules les planches couleur hors textes (“plates”) sont décevantes, non pour leur qualité qui est irréprochable, mais pour leur “éparpillement” dans l’ouvrage ; le lecteur est alors obligé de feuilleter ce dernier à la recherche de l’image qui l’intéresse.

Le titre interpelle immédiatement le spécialiste d’art romain. De quel(s) contexte(s) est-il question ici ? Le choix du titre est-il un artifice éditorial destiné à rattacher l’ouvrage à la collection qui l’accueille (Images et Context, De Gruyter) ? Ou bien répond-il à la problématique envisagée par l’auteur ? Le plan adopté mérite qu’on se pose la question, même si dans l’introduction, Fejfer développe très clairement son projet.

Ainsi, l’ambition première de Fejfer était de “reconstruire” le processus aboutissant à la commande d’un portrait. L’identification des motivations du dédicant en constitue une approche liminaire ; que ces motivations soient d’ordre social, pour l’essentiel, ne surprendra pas le connaisseur du monde romain, mais Fejfer en fait une démonstration très argumentée. C’est d’ailleurs une des grandes qualités de l’ouvrage : Fejfer ne craint pas de rappeler des évidences, de reprendre la définition de termes techniques ou des exégèses bien connues des spécialistes. Car il s’agit d’un ouvrage à vocation scientifique, mais également pédagogique, selon la manière dont on l’aborde. La question de l’articulation du plan et de la problématique traduit très bien ce double objectif. En effet, Fejfer n’a pas opté dans son ouvrage pour une structure qui laisse apparaître de manière éclatante ce que j’appellerais “la problématique des contextes”.

Revenons à la définition des contextes pour Fejfer. L’environnement socio politique -en lien étroit avec les motivations du commanditaire – n’est pas le seul envisagé. En effet, Fejfer s’intéresse également à l’environnement spatial des portraits (public/privé, type de bâtiment, programme iconographique etc…). Contexte socio politique et contexte physico-spatial, qui de toute évidence étaient intimement mêlés, sont donc ici habilement disséqués. Dès lors, la question des contextes est de toute évidence le fil directeur de l’ouvrage. Il s’agit donc d’un ouvrage à clés. Il peut être utilisé comme un manuel, car le plan choisi rend son utilisation très facile à cet égard ; c’est là un premier degré de lecture ; mais pour qui veut approcher au plus près les réponses apportées par l’auteur à la “problématique des contextes”, une lecture continue est nécessaire. D’ailleurs, ce parti pris apparaît clairement dans le choix de l’auteur de ne pas faire de renvoi dans le texte.

L’ouvrage est divisé en quatre parties. La première “Part one : Public Honours and Private Expectations”) fait le point sur les motivations du commanditaire, et celles des “patrons”. L’auteur révèle d’emblée dans cette partie des qualités pédagogiques qui font beaucoup pour la solidité scientifique de l’ouvrage. C’est ainsi que dans les chapitres liminaires — comme dans tout le reste du texte — J. Fejfer se montre soucieuse d’apporter les justes définitions et de faire le point sur les débats et l’actualité de la recherche. Elle a également le souci de présenter un état des lieux distinct pour l’Occident et pour l’Orient romain, consciente que les réalités socio-culturelles divergentes de ces deux parties de l’Empire ne pouvaient que donner naissance à des comportements différents chez les élites. Or, les motivations sociales de ces élites romaines, c’est bien ce qui retient l’auteur ici, les statues honorifiques étant sans doute le principal vecteur de leurs ambitions. En effet, et c’est là un des leitmotives de l’ouvrage : une statue honorifique érigée dans un lieu public de sa cité (de préférence le forum) était de toute évidence le plus grand honneur auquel puisse aspirer un citoyen. Or, l’espace étant restreint (c’est sans doute une des principales raisons), la compétition était féroce, et rares les élus. Et si quelques dignitaires et bienfaiteurs avaient l’immense honneur de se voir offrir une statue de leur vivant, nombre d’entre eux ne se voyaient gratifier qu’à l’heure de leur mort. Un point sur lequel l’auteur insiste particulièrement est celui des motivations des commanditaires. Qu’il s’agisse d’une statue offerte à un membre de la famille, à un ancien patron ou à un empereur, le commanditaire récoltait une part de l’honneur faite au bénéficiaire, ne serait-ce que parce qu’il voyait son nom inscrit dans la pierre, dans un lieu public, à la vue de tous.

C’est également dans cette partie que Feifer aborde les contextes spatiaux dans lesquels sont érigées les statues. Consciente que le portrait ne saurait à lui seul nous renseigner beaucoup sur ce point, l’auteur prend soin de fonder sa réflexion sur l’étude des contextes archéologiques (quand ils sont connus) et surtout des bases épigraphiques (quand elles sont attestées) associés aux portraits.

L’auteur pose, à ce stade, une question sur laquelle elle aura l’occasion de revenir plusieurs fois au long de cet ouvrage. Celui de la place de la statue dans la cité, et de sa perpétuation à son emplacement d’origine. Combien de temps une statue restait-elle en place ? C’est évidemment une question à laquelle il est très difficile de répondre de manière définitive, mais l’auteur y revient souvent et soutient quelques hypothèses intéressantes. C’est ainsi qu’elle montre que si certaines statues étaient de toute évidence déplacées de leur emplacement d’origine, voire réemployées, certaines pouvaient rester in situ durant une longue période. Ces statues pérennes, mais à l’iconographie vite démodée venaient alors former le cortège des ancêtres peuplant la mémoire commune des habitants de la cité.

On peut donc voir dans cette première partie celle de la définition des contextes, qu’ils soient socio- historiques ou spatiaux. Ces bases étant posées, l’auteur peut ensuite analyser de plus près les modes de représentation, qui font l’objet de la deuxième partie “Part two : Modes of Representation”). Le thème fait l’objet d’une analyse très systématique commençant par un tour d’horizon des différents supports et matériaux ayant permis la réalisation de portraits. L’auteur s’intéresse ensuite aux différents types statuaires masculins (les types féminins sont abordés en troisième partie). Elle tente ici un bilan typo-chronologique sur l’utilisation des trois types les plus attestés : la toge, la nudité et la cuirasse. L’argumentation est solide et repose sur de nombreux exemples et étude de cas, c’est d’ailleurs là encore une des grandes qualités de cet ouvrage.

Les “formules abrégées” — hermes, < >, clipeus, buste— tiennent une place importante, et l’auteur tente aussi de replacer leur utilisation dans une perspective chronologique. Fejfer consacre d’ailleurs une part importante de cette partie au buste, qui par son succès croissant en vint à supplanter la statue honorifique comme mode de diffusion du portrait des élites, aussi bien dans la sphère privée que publique. Ses recherches amènent également l’auteur à redonner leur place aux hermès qui furent particulièrement en vogue au Ier siècle ap. J.-C.

La manière dont l’auteur explore la construction des identités masculines l’entraîne à aborder ici l’épineuse question du Zeitgesicht (“Period-face”), de sa définition et de son impact réel au sein de la société. A cet égard, Fejfer a choisi à très juste titre de faire la part des choses entre le portrait masculin et le portrait féminin, le Zeitgesicht n’ayant pas du tout chez l’homme le même poids que dans le portrait féminin. C’est ainsi que l’auteur rejette la vision d’un portrait masculin hyper formaté, totalement dépendant du portrait impérial ; elle préfère l’hypothèse d’un paysage statuaire plus contrasté, dans lequel portrait privé et portrait impérial iraient jusqu’à interagir et à se nourrir mutuellement. Quoi qu’on en pense, il apparaît de manière assez évidente que le Zeitgesicht n’était pas une norme inévitable, mais une alternative, à laquelle le commanditaire (ou le patron ?) pouvait préférer un style différent, plus individualisé, ou même parfois archaïsant.

Le corpus des portraits féminins fait apparaître une situation différente à cet égard, ainsi que le montre clairement l’auteur dans la troisième partie (“Part III : The Empress and her Fellow Elite Women”). En effet, si Fejfer a choisi de traiter simultanément dans cette partie du portrait de l’impératrice et de celui des élites féminines, c’est parce que contrairement à ce qu’elle observe dans le portait masculin, le Zeitgesicht a, chez les femmes, un impact beaucoup plus fort. Elle remarque ainsi que contrairement à ce qui se passe dans le portrait masculin — où l’individualisation persiste, et où le portrait de l’empereur ne peut, dans la plupart des cas, être confondu avec celui d’un citoyen — le portrait de l’impératrice est difficilement différenciable de celui de ses contemporaines. L’auteur explique ce phénomène par une tentative (démagogique) de rapprocher l’impératrice (et donc l’empereur) des élites.

Car l’empereur, dont il est question dans la quatrième partie, (“Part IV— The Emperor”) s’il n’est officiellement que le princeps (et donc le premier des citoyens) apparaît souvent dans l’iconographie comme un être hors du commun. Contrairement à ce que l’on observe dans la statuaire féminine, certains types ( Jupiterkostüm par exemple) et certains attributs ( corona civica, corona radiata) lui sont apparemment réservés. La large diffusion du portrait de l’empereur résulte notamment de l’émulation régnant entre les cités et les dignitaires locaux pour se voir associé au prestige né de la dédicace d’une statue au souverain. L’auteur rappelle à cet égard le rôle quasi surnaturel du portrait, vécu pour les Romains comme une incarnation, un double de la personne. Toutes ces réflexions l’amènent bien entendu à s’interroger sur le processus de commissionnement et de fabrication du portrait impérial. En alternative aux théories communément admises sur les pratiques de réplique d’un prototype du portrait impérial fabriqué sur commande de la cour (qui exactement ?) à un atelier métropolitain pour commémorer un événement du règne, Fejfer envisage un autre processus. Selon l’auteur, il n’est le plus souvent pas possible de mettre en relation l’apparition d’un nouveau prototype du portrait de l’empereur avec un événement précis, en tout cas pas sur la seule base des comparaisons avec la numismatique. Elle propose de reconsidérer le processus de commissionnement du portrait de l’empereur, et d’y voir plutôt le fruit de la compétition entre des ateliers de sculpture qui n’auraient eu de cesse de voir leurs propositions de portraits retenues par la cour comme portrait officiel. Ceci pourrait expliquer selon l’auteur que pour un même empereur, certains prototypes (Ürbild) ne présentent que de légères variations par rapport à un type précédent, tandis que d’autre apparaissent en totale rupture. Mais ainsi que Fejfer le rappelle à plusieurs reprises dans son ouvrage, ce dernier point, et bien d’autres, ne peuvent être résolus tant que nous n’en saurons pas plus sur le fonctionnement des ateliers. Quel était le fonctionnement exact de ces “officines”? En effet, si les artisans romains étaient itinérants comme beaucoup le supposent, cela rend bien hasardeuses toutes les exégèses fondées sur le “style” d’un atelier … C’est d’ailleurs ce qui ressort clairement de plusieurs études de cas – en particulier l’exemple des togati de Mérida ou des portraits du sanctuaire de Diane à Nemi – analysées par l’auteur.

La conclusion est succincte, et ne revient pas que partiellement sur les apports de l’ouvrage qui avaient été exposés plus clairement dans l’introduction, en marge de la méthode de l’auteur. En plus de ses riches illustrations, l’ouvrage est assorti d’une abondante bibliographie et d’un index rendu indispensable par l’absence de renvois dans le texte. Nul doute que Fejfer a rendu un inestimable service à la communauté scientifique, comme à la communauté estudiantine, par un ouvrage qui a la modestie de n’apparaître à première vue que comme un manuel, mais qui offre la profondeur de perspective d’une grande synthèse.