BMCR 2009.07.51

Kriegskosten und Kriegsfinanzierung in der Antike

, , Kriegskosten und Kriegsfinanzierung in der Antike. Darmstadt: WBG, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2008. 336. ISBN 9783534209209. €79.90.

[Les auteurs et les titres sont énumérés à la fin du compte rendu.]

“L’argent est le nerf de la guerre !” Cicéron ( Philippiques, V, 3), Tacite ( Histoires, II, 84, 1), Quinte-Curce ( Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6), Plutarque ( Vies d’Agis et Cléomène, LVI) ou Diogène Laërte ( Vies et sentences des philosophes illustres, IV, 7, 48), les écrivains de l’Antiquité ont relayé largement une idée qui semblait relever du lieu commun. Les auteurs postérieurs ont, par ailleurs, confirmé l’intemporalité de cette sentence. Certains comme François Rabelais dans son Gargantua ou Jean le Rond d’Alembert dans sa Lettre au roi de Prusse du 11 octobre 1782, l’ont repris à leur compte. D’autres, comme Machiavel, l’ont récusée, arguant que c’était essentiellement la qualité des troupes qui déterminait l’issue d’une bataille. Il va de soit que de l’argent et des troupes dépendent les actions militaires ; les stratèges et dirigeants actuels ne le nieraient sans doute pas non plus. Ainsi, il nous paraît utile de souligner l’importance du présent ouvrage consacré aux coûts et aux financements de la guerre durant l’Antiquité et les siècles suivants.

Le titre de la publication est d’ailleurs trompeur dans la mesure où il laisse entendre que les contributions ne portent que sur une seule période. Or, le champ d’investigation s’avère bien plus large. En fait, l’ouvrage réunit les interventions des participants aux journées d’études ayant eu lieu à l’Université de Mannheim du 16 au 18 février 2006, autour du thème : Kriegskosten und Kriegsfinanzierung von der Antike bis zur Neuzeit. Ainsi, si de nombreuses pages concernent des questions grecques, plusieurs contributions abordent des cas romains, et la réflexion est poussée jusqu’aux mécanismes de financement des guerres au XVIIIe siècle. D’aucuns y verront probablement une dispersion des efforts sur des thématiques, des périodes et des réalités fort différentes. D’autres examineront avec intérêt l’approche diachronique du rapport entre les mondes économique et militaire.

Comme le précisent Friedrich Burrer et Holger Müller dans l’introduction générale, l’ouvrage tente de répondre à plusieurs questions essentielles. Quelle était l’importance des coûts directs de la guerre ? Quels groupes sociaux devaient supporter ces coûts et à qui profitaient-ils ? Avec quels moyens la guerre était-elle financée ? Quels étaient les coûts relatifs aux conséquences de la guerre comme, par exemple, les coûts de la reconstruction ? Quels avantages économiques, directs ou indirects apportait la guerre ? Pour répondre à ces questions, les articles de cet ouvrage sont articulés autour des quatre grandes thématiques des journées d’études de Mannheim. La première concerne les questions relatives aux coûts de la guerre, avec toutes les difficultés qu’engendre l’éparpillement des sources écrites antiques en la matière. La deuxième s’intéresse à la nature de ces coûts, avec une attention particulière portée aux dépenses engendrées par les guerres maritimes. La troisième consiste à comparer des cas d’espèces de manière diachronique, depuis l’Antiquité jusqu’aux Temps Modernes. La quatrième et dernière thématique s’intéresse, quant à elle, à la nature des financements.

Klaus Meister propose en premier lieu un état de la question sur la situation financière d’Athènes au début de la guerre du Péloponnèse. Les connaissances à ce propos reposent essentiellement, il est vrai, sur les renseignements fournis par Thucydide. C’est ainsi que K. Meister, à partir de plusieurs extraits traduits, présente les ressources dont Athènes disposait et combien elles dépassaient celles de Sparte ; ces richesses ne se limitaient pas aux avoirs militaires et financiers de la cité, mais comprenaient également les revenus annuels versés par les cités alliées. Rebondissant sur ces informations, Jürgen Malitz propose un article portant sur le prix de la guerre et sur les finances d’Athènes selon Thucydide. Ces deux contributions ne se limitent fort heureusement pas à une simple lecture des extraits choisis, mais elles tentent d’apporter un regard critique sur le témoignage de Thucydide, dans lequel les chiffres eux-mêmes doivent être appréhendés avec la plus grande prudence.

La communication de Vincent Gabrielsen sur les coûts de la flotte athénienne à l’époque classique constitue une réflexion des plus intéressantes. Pour ce faire, l’auteur recense deux grandes catégories de coûts qui doivent être pris en compte. Tout d’abord, le prix de la flotte en tant que telle, c’est-à-dire les dépenses relatives à la construction des bateaux et à leur équipement. Ensuite les coûts d’exploitation des navires ; rameurs, matelots et soldats devaient être payés et les bateaux devaient être entretenus. Sur la base de sources littéraires et épigraphiques, l’auteur tente de rassembler toutes les informations permettant d’affiner la reconstitution de ces budgets, en essayant de tenir compte des évolutions inévitable entre le début du Ve siècle et la fin du IVe siècle.

Les soldes et compensations financières attribuées aux militaires grecs aux époques classique et hellénistique font l’objet de l’article de Friedrich Burrer. Le problème de cette question, comme le souligne l’auteur, est que contrairement à ce que nous pouvons observer pour l’époque de l’Empire romain, la Grèce classique et hellénistique n’a laissé que très peu de sources relatives au paiement des soldats. En outre, comme le rappelle Fr. Burrer, la qualité de soldat ne se définit pas forcément par rapport à la solde. En effet, la compensation financière pour les milices de citoyens n’apparaît que relativement tard dans l’Antiquité, et la situation de la fin du Bas-Empire romain ne peut, en aucun cas, être comparée aux réalités hellénistiques. Les quelques sources littéraires et épigraphiques connues permettent toutefois à l’auteur de dresser un tableau reprenant, pour chaque document pertinent retenu, la date à laquelle il renvoie, l’origine des soldats qui bénéficiaient d’une solde, ainsi que la quantité de numéraire qu’ils percevaient.

Holger Müller s’intéresse ensuite aux représentations diplomatiques dans le contexte des conflits armés de l’Antiquité. En effet, depuis que les sources parlent et jusqu’aujourd’hui, les cités ont toujours usé des services de représentants, de légats, de négociateurs, d’ambassadeurs ou autres diplomates, non seulement pour représenter les intérêts de la cité, mais également pour négocier avec les régions voisines. Or, l’envoi ou la réception de représentations diplomatiques pouvaient coûter beaucoup d’argent. C’est ce que s’emploie à expliquer l’auteur, notamment sur base du témoignage de Tite-Live.

Kai Brodersen s’attarde sur un passage de l’Oikonomika du Pseudo-Aristote traitant des économies des poleis. C’est plus particulièrement le deuxième livre qui retient l’attention de l’auteur. Il y étudie 77 exemples pratiques d’organisation financière des poleis ; la plupart des exemples concernent évidemment le IVe siècle. Hans van Wees s’attarde ensuite sur une cité particulière. La conduite et le financement des guerres maritimes de l’Erétrie archaïque constituent le coeur des recherches de l’auteur. Ces dernières furent entreprises sur base de deux fragments de marbre, datant de 525 av. J.-C., comportant toutes deux des inscriptions.

Léopold Migeotte aborde la question du financement de la guerre et de la défense dans les cités hellénistiques. L’auteur rappelle qu’en matière de financement militaire, les ressources sont essentiellement affectées à deux postes principaux : d’une part la défense permanente de la cité envers des ennemis isolés et non clairement identifiés, comme les pirates, d’autre part les guerres menées au niveau de l’état contre une autre puissance militaire. Il convient de constater que les sources antiques rapportent essentiellement les récits portant sur les grands conflits interétatiques, négligeant ou omettant souvent de mentionner les questions relatives à la protection permanente de la cité. Il est donc évident que même en temps de paix, certaines dépenses militaires sont inévitables afin de mieux préparer la guerre, comme l’exprime l’adage latin si vis pacem, para bellum; c’est le cas de la construction de murailles et de forts, de la fabrication d’armes, de navires ou de machines de guerre. Il faut donc considérer qu’en cas de guerre, ces dépenses militaires de base en rencontrent d’autres comme, par exemple, le paiement des soldats.

La numismatique peut également révéler bien des choses sur le financement de la guerre. C’est dans cette optique que Wolfgang Szaivert a analysé ce type de sources. En effet, que ce soit au niveau des préparatifs de la guerre, de son déroulement ou de sa conclusion, ceux qui la mènent doivent toujours disposer de numéraire. La difficulté, pour le numismate, est de définir dans quelle mesure certaines monnaies ont été émises dans le but spécifique de contribuer au financement de la guerre. Pour tenter de repérer ces monnaies, l’auteur dresse une série de critères à étudier comme, par exemple, les légendes militaires ou la typologie de la monnaie. Le cas du denier romain est longuement étudié. Toujours en matière de numismatique, Olivier Picard enchaîne sur l’étude de la tétradrachme de Thasos et son utilisation durant les guerres balkaniques du Ier siècle avant J.-C. L’intérêt de l’étude de la diffusion de cette monnaie est qu’elle permet d’appréhender la guerre que le préfet de Macédoine mena contre les Thraces, épisode de l’histoire pour lequel les sources ne sont justement pas légion.

Effectuant un large bond dans le temps, Uwe Tresp s’intéresse à la manière dont les princes allemands du XVe siècle finançaient la conduite de leurs guerres. Le contexte est ici quelque peu différent des réalités antiques, ne serait-ce que dans la constitution même des troupes. Selon l’auteur, le recours toujours plus important à des mercenaires et le rôle toujours plus important joué par l’attrait de l’argent par les belligérants aurait sensiblement modifié la physionomie de la guerre, qui aurait mis en présence des armées toujours plus importantes, des sommes toujours plus considérables et des durées de conflits toujours plus longues. Il faut toutefois rester attentifs aux points de comparaisons envisagés, et ne pas oublier les réalités antiques dont les sources ont également livré des témoignages de guerres mettant en présence de grandes quantités d’hommes et d’argent, combattant dans des campagnes de longue durée. Le problème est que l’auteur envisage essentiellement une comparaison entre le début et la fin du Moyen Âge, alors que l’ouvrage ne présente précisément pas d’articles relatifs à la situation au début du Moyen Âge. À la lecture de cet article, le lecteur ne devra donc pas perdre de vue que l’auteur envisage ici des comparaisons strictement internes à l’époque médiévale et non pas avec l’Antiquité. Dans le sillage de cette communication, Niklot Klüssendorf continue quelque peu le voyage dans le temps pour arriver au XVIIIe siècle, en abordant les mécanismes du financement de la guerre durant l’époque moderne. Ceux-ci reposent sur trois piliers : l’utilisation des biens de l’exécutif de la guerre, c’est-à-dire du Trésor, l’obtention de fonds par le biais de la fiscalité en ce compris les prélèvements sur les populations conquises, et enfin l’emprunt.

Reinhard Wolters dresse, dans son article sur le triomphe et le butin durant la république romaine, le portrait d’une des pratiques symbolisant la victoire les plus marquées dans les imaginaires collectifs. En effet, combien de films hollywoodiens, combien d’ouvrages de toutes natures n’ont pas mis un point d’honneur à présenter, dans toute sa splendeur, cet exercice de démonstration de force qu’est la présentation en défilé du butin obtenu, à l’occasion des cérémonies de triomphe ? Essentiellement sur base des témoignages de Tite-Live, l’auteur tente de recadrer au mieux l’importance réelle du butin, non seulement d’un point de vue symbolique, mais surtout dans le contexte des recettes générales de l’État.

À l’issue d’une guerre, l’intemporelle notion de réparation des dommages est connue de tous, aussi bien des vainqueurs que des vaincus. Burkhard Meissner a choisi de l’aborder plus particulièrement dans la Grèce classique et hellénistique, dans le monde romain du début de l’époque hellénistique ainsi que dans le monde romain du IIIe siècle av. J.-C. Pour accentuer encore l’approche diachronique, l’auteur choisi de prendre comme point de comparaison la situation imposée à l’Allemagne au sortir de la première guerre mondiale, avec le Traité de Versailles. L’article suivant de Peter Kehne, vient compléter le sujet en abordant la question des réparations à l’époque de la Rome républicaine. L’auteur se pose plus spécifiquement la question de savoir si Rome imposait réellement un tribut à ses vaincus en guise de dédommagements de guerre, ou si d’autres critères entraient en ligne de compte. Pour P. Kehne, les chiffres des tributs reflètent moins les coûts engendrés par la guerre pour Rome, que la santé et la vigueur économique du vaincu. Enfin, pour clôturer la liste des communications, Jutta Nowosadtko porte un regard sur les poids qu’engendraient l’entretien et l’administration des occupations militaires pour les populations civiles locales, aux XVIIe et XVIII siècles.

Il convient de mettre l’accent sur l’abondance, pour chaque communication, de références et de notes, ce qui n’est pas toujours le cas dans les publications d’actes de colloque. En outre, un important index, commun à tous les articles, est disponible en fin de volume. Force est également de constater que bon nombre d’articles concernent plus spécifiquement le rôle et le coût de la flotte dans l’Antiquité. Pour mieux se rendre compte de ce que pouvait représenter la constitution de ces flottes, il nous a semblé intéressant d’établir un lien supplémentaire avec le Museum für Antike Schiffahrt, situé à Mayence.1 Il présente, de manière très savante et très pédagogique, des reconstitutions de navires de la flotte de Germanie à l’époque romaine impériale. Ces reconstitutions grandeur nature, peuvent également contribuer à comprendre les coûts engendrés par les flottes de la Rome impériale, ce qui va totalement dans le sens de l’esprit original du colloque de Mannheim.

Table des matières : Préface, p. 7
Introduction, p. 9-18.
MEISTER Klaus, Die finanzielle Ausgangssituation Athens zu Beginn des Peloponnesischen Krieges, p. 19-27.
MALITZ Jürgen, Der Preis des Krieges. Thukydides und die Finanzen Athens, p. 28-45.
GABRIELSEN Vincent, Die Kosten der athenischen Flotte in klassischer Zeit, p. 46-73.
BURRER Friedrich, Sold und Verpflegungsgeld in klassischer und hellenistischer Zeit, p. 74-90.
MÜLLER Holger, Gesandtschaftsgeschenke im Kontext kriegerischer Auseinandersetzungen im Altertum, p. 91-105.
BRODERSEN Kai, Nützliche Forschung: Ps-Aristoteles’ Oikonomika II und die Haushalte griechischer Poleis, p. 106-127.
VAN WEES Hans, “Diejenigen, die segeln, sollen Sold erhalten”. Seekriegführung und -finanzierung im archaischen Eretria, p. 128-150.
MIGEOTTE Léopold, Kriegs- und Verteidigungsfinanzierung in den hellenistischen Städten, p. 151-160.
SZAIVERT Wolfgang, Kriegskosten — eine Spurensuche in der antiken Numismatik, p. 161-174.
PICARD Olivier, Thasische Tetradrachmen und die Balkankriege im ersten Jahrhundert v. Chr., p. 175-192.
TRESP Uwe, Kostenbewusstsein im Krieg? Zur Verwaltung und Finanzierung der Kriegführung deutscher Fürsten im 15. Jahrhundert, p. 193-209.
KLÜSSENDORF Niklot, “Kleine” Mechanismen der Kriegsfinanzierung in der frühen Neuzeit, besonders im 18. Jahrhundert, p. 210-227.
WOLTERS Reinhard, Triumph und Beute in der römischen Republik, p. 228-245.
MEISSNER Burkhard, Reparationen in der klassischen griechischen Welt und in hellenistischer Zeit, p. 246-259.
KEHNE Peter, Im republikanischen Staats- und Kriegsverträgen festgesetzte Kontributionen und Sachleistungen an den römischen Staat: Kriegsaufwandskosten, Logistikbeiträge, Kriegsentschädigungen, Tribute oder Strafen?, p. 260-280.
NOWOSADTKO Jutta, Realeinquartierung als bürgerliche und bäuerliche Last. Unterhalt und Verwaltung von Militärbesatzungen im 17. und 18. Jahrhundert, p. 281-288.
Index des noms, p. 289-295.
Index des objets, p. 296-306.
Index des termes grecs, p. 307.

Notes

1. PFERDEHIRT Barbara, Das Museum für Antike Schiffahrt. Ein Forschungsbereich des Römisch-Germanischen Zentralmuseums I, Mainz, 1995.