BMCR 2009.05.61

“Vectigalia nervos esse rei publicae”: die indirekten Steuern in der Römischen Kaiserzeit von Augustus bis Diokletian. Philippika. Marburger alterumskundliche Abhandlungen 26

, "Vectigalia nervos esse rei publicae": die indirekten Steuern in der Römischen Kaiserzeit von Augustus bis Diokletian. Philippika. Marburger alterumskundliche Abhandlungen 26. Wiesbaden: Harrassowitz, 2008. viii, 197. ISBN 9783447058452. €48.00.

La recherche sur la fiscalité romaine a une longue tradition. Depuis l’Humanisme, le domaine des impôts a été un thème de recherche privilégié pour l’étude des structures de l’État romain, de ses dimensions et de son éventuelle modernité (ou archaïsme). En fait, une grande partie de la capacité du monde romain à devenir un modèle pour l’Occident réside dans la valeur exemplaire de son système fiscal. Sven Günther (G par la suite) a produit un important ouvrage dans cette tradition. Il s’agit d’un travail économique du point de vue de sa longueur (168 pages, plus la bibliographie et les index), mais d’une érudition exhaustive et pertinente.1

Le travail aborde fondamentalement les quatre impôts qui, dans le sens antique du terme, peuvent s’appeler indirects: celui de la vicesima hereditatium (5% sur les successions), celui de la vicesima libertatis vel manumissionum (5% sur les affranchissements), celui de la centesima rerum venalium (1% soit sur les ventes, soit sur les adjudications aux enchères) et celui de la quinta et vicesima venalium mancipiorum (4% sur la vente des esclaves). Je trouve fondamental, du point de vue méthodologique, l’effort que G a produite pour proposer une définition commune de ces quatre taxes sous le label d’ impôt indirect (indirekt Steuer) —aussi tarif (Tarifsteuer)— en opposition à d’autres ressources indirectes (indirekte Abgaben). Pour les Romains, un impôt indirect n’est pas une taxe appliquée à la consommation, mais un revenu public dont la perception ne dépend plus d’une liste personnelle ou d’un recensement étatique, mais d’une procédure établie ad hoc (p.17). Ce mécanisme de prélèvement fiscal rend impossible le calcul de la recette finale dérivée de la taxe, et il met les vectigalia en nette opposition avec les constributions directes ( tributa) et le reste des rentrées publiques.

Après une première partie introductive (pp. 1-21), le livre est structuré en chapitres monographiques sur ces quatre impôts. Le deuxième est consacré à la vicesima hereditatium (pp. 23-94). G parcourt exhaustivement les sources littéraires et la bibliographie secondaire pour établir les origines de l’impôt pendant les guerres civiles du Ieer siècle av. J.-C. Il étudie aussi les circonstances de son introduction définitive dans le contexte de la création de l’ aerarium militare (la caisse de retraite des légionnaires qui depuis 5 apr. J.-C. substitua les assignations polémiques de terres aux vétérans), aussi bien que les conséquences de la politique fiscale et militaire d’Auguste (p. 33: [die] inflationäre Politik), dont cette vicesima serait un important vestige. Malgré le soupçon d’anticipation anachronique (p. 48), le témoignage de Dion Cassius (DC 55.25.5; 56.28.4-6), du IIIesiècle apr. J.-C., reste fondamental dans tout l’exposé de ce processus. Tacite (Tac. ann. 13.50: sur la réaction de Néron face à l’activité abusive des publicains dans les prélèvements: 58 apr. J.-C.) permet de fonder l’hypothèse d’une progressive augmentation de l’intervention de l’État et du contrôle public sur la vicesima hereditatium, notamment par le moyen des procuratores XX hereditatium. Les réformes de Nerva et Trajan illustrées par les textes de Pline le Jeune (Plin. pan. 37-40), sont décrites dans le même sens. À côté de cette documentation traditionnelle, G a employé avec maîtrise enviable les sources légales sans cacher les problèmes de datation de ces données juridiques. Par exemple, tout le procédé public d’inspection et perception décrit aux pp. 69-70 a été établi dans un moment indéterminé entre Néron et Antonin le Pieux. Des sources papyrologiques sont aussi citées pour décrire le système d’affermage de la vicesima.

Le troisième chapitre étudie la vicesima libertatis (pp. 95-126). L’impôt sur l’affranchissement fût établi par le consul Manlius Capitolinus l’année 357 av. J.-C. (Liv. 7.16.7) et son existence peut être supposée jusqu’à l’Empire et les réformes fiscales de Dioclétien. G étudie divers aspects de l’administration impériale ayant rapport avec cette vicesima : l’organisation de la caisse où on la versait —l’ aerarium Saturni dont l’ aerarium sanctius était une section—, les modalités d’affermage de l’impôt, le fonctionnement des sociétés de publicains gestionnaires, le sens du fiscus libertatis et peculiorum du temps de Claude et les contenus des réformes de Néron et d’Hadrien. Ensuite, G présente les types d’affranchissement selon le droit romain et essaie d’en déduire les procédés de prélèvement de l’impôt associés.

Dans le quatrième chapitre on analyse la centesima rerum venalium (pp.127-147). C’est, à mon avis, le plus intéressant des impôts étudiés dans ce livre, car sa compréhension complète permettrait de répondre à une vieille crux sur l’administration des Romains: ont-ils eu une taxe sur la valeur ajoutée (Mehrwertssteuer)? Il est possible de suivre seulement une partie de l’histoire de la centesima : ni la date ni les circonstances précises de son introduction ne sont attestées par les sources, mais on sait que sous Tibère elle était destinée à l’ aerarium militaire (Tac. ann. 1.78.2: 15 apr. J.-C.), qu’entre le 17 apr. J.-C. et le 31 apr. J.-C. Tibère le réduisit de moitié (Tac. ann. 2.42; DC 58.16.2), et que Caligula en exempta l’Italie en 38 apr. J.-C (Suet. Cal. 16.3 —ce texte, cependant, parle de la ducentesima —; DC 59.9.6). Il n’y a aucune source postérieure sur cette centesima. G a su se limiter à exposer les débats par lesquels d’autres chercheurs ont essayé de remplir ce vide. Par exemple, sagement il a traité dans deux sections individuelles les rapports supposés avec la centesima de deux sources épigraphiques: les tablettes pompéiennes de Caecilius Iucundus et la lex metalli Vipascensis. G présente aussi avec prudence les différents impôts qui, glissés dans la définition d’impôt sur la vente, ont été associés avec la centesima : le [ vectigal ] venalium rerum d’Ulp. dig. 50.16.17.1 —vraisemblablement, une interpolation—, le pro edulibus (Suet. Cal. 40; DC 59.28.8) aboli par Claude (voir le quadrans de Claude, reproduit à la p.145) et le vectigal foricularii et ansarii promercalium (CIL 6.1016 a,b,c) —des droits de marché (Zölle auf Marktwaren)—. Une question intéressante est celle de l’objet de la taxe: s’agissait-il d’un impôt sur les ventes tout court ou sur les ventes aux enchères? G paraît choisir la seconde option (en s’appuyant sur Suet. Cal. 16.3: ducentesima auctionum). Sur ce point il serait donc souhaitable d’établir l’importance de la vente à la criée dans le monde romain.2

Le cinquième chapitre étudie la quinta et vicesima venalium mancipiorum (pp.149-154). On sait que’elle fut créée pour financer l’effort militaire des années 6-9 apr. J.-C et la création des cohortes vigilum, mais le problème fondamental de cette taxe, le taux, reste sans solution. Les deux témoins littéraires qui fournissent cette donnée offrent des chiffres différents: Tac. ann.13.31.2 (4%: 57 apr. J.-C.) et DC 55.31.4 (2%: 7 apr. J.-C.). Pour les arranger, soit on accepte la correction du texte de Dion Cassius, soit on postule une montée, non documentée par les sources, du taux depuis son introduction. G fait toute la lumière possible sur ce point et continue avec l’exposé de l’évolution de l’impôt. La réforme de Néron (Tac. ann. 13.31.2: 57 apr. J.-C.: Néron fit payer la taxe au marchand et non plus à l’acheteur) essaya de transformer la quinta et vicesima d’impôt sur l’achat d’esclaves, dont la perception devait être assez compliquée, en une taxe sur le chiffre d’affaires des enterprises de vente d’esclaves. Tacite lui-même montre l’échec d’une réforme specie magis quam vi, quia, cum venditor pendere iuberetur, in partem pretii emptoribus adcrescebat.

Il y a un dernier chapitre sur d’autres petits —par leur courte durée— impôts indirects, notamment ceux introduits par Caligula et Vespasien (pp.155-161). Les vectigalia nova atque inaudita de Caligula sont exposés dans des textes très connus de Suétone et Dion Cassius (Suet. Cal. 40-41; DC 59.28.8). Ils furent vraisemblablement abolis par Claude (DC 60.4.1; Suet. Claud. 11.3). À côté du pro edulibus sur les aliments, traité dans le chapitre antérieur, il s’agit de la pro litibus ac iudiciis quadragesima sumae de qua litigaretur (2.5% sur les procès judiciaires), la ex gerulorum diurnis…pars octava (12.5% sur les transports en ville), le ex capturis prostitutarum quantum quaeque uno concubitu mereret (le prix d’un service comme la taxe sur la prostitution), l’impôt sur les manufactures ou l’impôt sur les tavernes. Tous ces éléments ont eu une large répercussion historiographique. À l’exception peut-être de la quadragesima, ce furent des taxes imposées sur des activités commerciales et, avec la possible exception de l’impôt sur les prostituées —pour lesquelles l’existence d’un registre public et d’une éventuelle continuité à l’époque tardive restent discutées—, doivent être classés parmi les impôts indirects. Un des vectigalia…nova et gravia de Vespasien (Suet. Vesp. 16.1), qui frappait aussi une activité économique —celle des tanneurs—, apparaît dans le texte fameux de Suétone sur le urinae vectigal (Suet. Vesp. 23.3; DC 66.14.5). Sans continuité dans la période étudié par G, pourrait-on trouver des échos de cet impôt dans le khrysargyron, attesté au Bas-Empire (Cedrenus, Hist. Compend. 1.626-7; Manasses, Breviarium historiae metricum, vv. 3085-3099; Zos. 2.38.2; Evag. 3.39 sont des sources déjà rassamblées par Juste Lipse au XVIème siècle)?

La question fondamentale que l’auteur se pose tout au long de son ouvrage est celle des rapports entre les différents organes publics créés pendant l’Empire pour gérer les impôts indirects —procuratèles du prince, sections administratives gerées par des affranchis impériaux, caisses étatiques centrales et provinciales— et les sociétés vectigaliennes fermières d’impôts et héritières de l’époque républicaine, dont l’origine privée ne cachait pas une fonction quasi publique. G, suivant le travail fondamental de Werner Eck, essaie de nuancer le point de vue traditionnel, c’est-à-dire l’accroissement des structures administrives centralisées de l’État depuis Auguste, et la disparition conséquente des sociétés gestionnaires des publicains, en postulant la coexistence, voire la collaboration, de ces deux instances de gestion (p.168: das Zusammenspiel von privaten Pächtern und staatlichem Personal). Il montre aussi que, depuis Néron, il est possible de définir une fonction de contrôle de la part de l’autorité publique sur les mesures des socii. Le manque de sources ou la nature lacunaire de la plupart d’entre elles êmpeche, néanmoins, de préciser cette évolution, et laisse le lecteur face à un travail de reconstruction historique dense et très technique mais, parfois, peu fluide du point de vue de l’exposé, où les données disponibles et les débats académiques sont très clairs, mais le discours proprement historique,un peu diffus. G a voulu trouver ce qu’il reste de l’État romain impérial dans les impôts romains dits indirects levés soit en Italie soit dans les provinces. Bref, la reconstruction des procédures administratives centrales, les moyens de contrôle des enterprises de prélèvement privées, les procédures de décentralisation, les dimensions des structures administratives proprement publiques, ou la base juridique des rapports entre les institutions privées et publiques, occupent la partie plus importante du livre. L’intérêt de son travail réside aussi dans ce qu’il présente de la sociéte romaine frappée par ces impôts. De ce point de vue, l’analyse de la réaction senatoriale contre la vicesima hereditatium décrite par Dion Cassius (DC 56.28.4-6, pp.1-2), la recherche sur les effets de la Constitutio Antoniniana (pp. 88-94), ou l’étude des mesures de Caligula touchant la remissio de la centesima (pp.130-132), soulignent les résistences, voire le refus, des Romains vis-à-vis des nouveaux sacrifices associés à la paix établie par l’Empire. L’introduction des vectigalia nova à l’époque d’Auguste supposa une définition complètement nouvelle de la politique fiscale et administrative romaine. La substitution de la fiscalité républicaine —d’une “brutale simplicité” selon Claude Nicolet ( Rendre à César, p.259)— dont les impôts, même indirects, avaient un rapport immédiat avec l’expansion territoriale (cf. App. B.C. 1.7) et la guerre, demandait du citoyen romain un dévouement fiscal qu’il n’a pas toujours octroyé sans résistance. De ce point de vue, peut-être, les bornes chronologiques que G a données à son étude sont-elles trop limitées pour comprendre les mesures qu’il décrit dans une perspective plus large.

Dans le livre de G, en conclusion, on ne trouvera pas un long discours sur l’ensemble du système fiscal romain, mais une étude approfondie des procédures de gestion des impôts dits indirects. C’est seulement de ce point de vue que l’ouvrage, à mon avis, se montre un peu décevant. Le livre ne touche pas le système douanier, ni la fiscalité indirecte républicaine. Dans son introduction (pp.10-14), l’auteur a choisi pour chacun des impôt qu’il s’apprête à étudier quelques précédents bibliographiques pour exposer le fondement de sa recherche. Par ce choix, il est possible d’apprécier la ligne que G a voulu suivre. Il cite, par exemple, les ouvrages de Schragius (1672), Slevogt (1709) ou Bachofen (1843 et 1848) sur la vicesima hereditatium, mais il ne mentionne pas d’autres auteurs de divulgation, qui étudièrent la fiscalité indirecte romaine dans un contexte plus large, à savoir en considérant l’ensemble du budget impérial. Par exemple, la recherche pionière de Juste Lipse dans le deuxième livre de ces Admiranda sive de magnitudine romana libri IV (3ème ed. 1605) sur les opes romaines, le De vectigalibus populi romani (1734) de Pieter Burmann ou le très influent De tributis ac vectigalibus populi romani de Jules César Bulengerus (1618), qui auraient pu aussi paraître dans ce chapitre introductif, si la recherche qui suit avait été d’une portée plus synthétique.

Cela dit, le livre de G est destiné à devenir, dans les prochaines années, un ouvrage de référence dans le domaine de la fiscalité romaine et un instrument de recherche pour n’importe quel travail touchant les finances et l’administration impériales romaines. Le texte épuise les materiaux primaires aujourd’hui disponibles, il offre aussi des chapitres prosopographiques très utiles (comme celui sur le personnel connu pour les services provinciaux de la vicesima hereditatium, pp. 74-81; ou ceux sur le personnel de la vicesima libertatis, pp.106-107 et pp.113-117), et il propose un état de la question complet avec la bibliographie secondaire la plus récente. Il pourra être consulté avec profit à côté d’une bibliographie large mais qui commence à devenir démodée et peu stimulante, vues les nouvelles questions que notre époque a besoin de poser à Rome et à sa fiscalité.3 Son auteur a su garder les formes académiques d’une publication universitaire —je n’ai trouvé que deux coquilles dans les nombreux textes classiques transcrits: Locuplebant au lieu de Locupletabant (p.23) et contrasciptor au lieu de contrascriptor (p.69)—. Pour terminer, j’estime qu’il aurait été judicieux de recourir à un système de notation de la bibliographie en bas de page plus léger, d’autant que le titre complet des ouvrages apparait aussi dans la bibliographie finale (pp. 169-183).

Notes

1. L’index général et l’introduction sont disponibles on line.

2. Voir là-dessus García Morillo, M., Las ventas por subasta en el mundo romano. La esfera privada (2005).

3. Par exemple, les livres de Cagnat, R., Étude historique sur les impôts indirects chez les romains (1882), Marquardt, J., De l’organisation financière chez les romains (1888), De Laet, S. J., Portorium. Étude sur l’organisation douanière chez les Romains, surtout à l’époque du Haut-Empire (1949), Goffart, W., Caput and Colonate. Towards a History of Late Roman Taxation (1974), Nicolet, Cl., Tributum (1976), Neesen, L., Untersuchungen zu den direkten Staatsabgaben in der römischen Kaiserzeit (27 v.Chr.-284 n.Chr.) (1980), parmi d’autres, continuent à être essentiels et indispensables.