Ce volume est une ré impression de la publication initiale de David Soren (Université de l’Arizona) consacrée aux fouilles archéologiques d’un complexe de thermes ruraux situés à Mezzomiglio (près de Sienne, Toscane). Le texte est bilingue (anglais, italien).
Les fouilles ont principalement porté sur le complexe thermal groupé autour d’une source d’eau froide; fréquenté bien avant l’époque impériale, le site connu son apogée sous Trajan avec la création d’une importante colonnade cernant la piscine (la vasca), de structures de distribution d’eau, de petits bains et de quelques bâtiments administratifs. Le site tombe dans l’oubli et l’abandon à partir du 3e siècle ap. J.-C., servant de trou d’eau aux animaux puis ne subsistant plus que sous la forme d’un puits vers le 11e siècle.
Outre l’intérêt archéologique intrinsèque du site, celui-ci permet aussi d’opposer directement connaissances médicales et applications pratiques thérapeutiques; un des patients les plus prestigieux fut d’ailleurs l’empereur Auguste.
L’ouvrage se répartit ainsi:
Janick Artiola (pp. 1-4) décrit de façon très synthétique le système des sources de Chianciano Terme: propriétés physico-chimiques, climatologie locale, principes thérapeutiques théoriques. L’eau, impropre à une consommation courante quotidienne, se révèle d’un côté laxative (effet secondaire de son fort taux de sulfates) et favorise d’un autre côté la formation d’un certain type de lithiases urinaires (en raison de sa trop grande richesse en carbonates et calcium).
Frank Romer et David Soren (pp. 5-8) s’interrogent ensuite sur un point que l’on pourrait qualifier de pathographique: Horace est-il venu prendre les eaux à Chianciano ? Il raconte en effet que le médecin d’Auguste, Antonius Musa, lui a conseillé, vers 23 av. J.-C., d’abandonner les eaux chaudes de Baïes et de fréquenter l’établissement d’eau froide des territoires de Chiusi ( fontes Clusini) ou de Gabii, meilleur pour les maux de tête et d’estomac. Ces eaux auraient-elles également été bénéfiques à l’empereur Auguste ? L’immersion complète d’un individu dans des eaux froides provoque une augmentation de pression sur les parties déclives du corps favorisant le retour veineux, diminuant la pression vasculaire, favorisant l’élimination urinaire de sodium, augmentant la diurèse et diminuant les oedèmes; autant d’effets bénéfiques aux patients sujets à une hépatopathie, à commencer par Auguste.
Frank Romer (pp. 9-10) propose ensuite que la phase de monumentalisation des thermes de Chianciano s’inscrive dans le programme architectural de restauration et de mise en valeur de l’Etrurie développé par l’empereur Trajan.
Annalisa Marzano (pp. 11-13) décrit ensuite succinctement l’histoire de la prospection et des fouilles archéologiques menées dans la région depuis Luigi Antonio Paolozzi au 18e siècle. Il apparaît que ce sont principalement les nécropoles étrusques qui ont retenu l’attention des chercheurs, avec la mise au jour d’objets restés fameux, comme la Mater Matuta, actuellement au Musée Archéologique de Florence. La proximité de Chianciano avec Chiusi (à une dizaine de kilomètres seulement) explique l’intensité des découvertes locales et la richesse du sol.
Geoffrey Jones, David Maki et David Soren (pp. 15-18) résument ensuite les résultats des prospections géophysiques ayant précédé la fouille archéologique dans le secteur de Mezzomiglio, visant à mieux comprendre l’insertion des thermes de Chianciano dans le territoire urbain et suburbain. Après un court rappel méthodologique, les auteurs expliquent que la grande majorité des structures mises au jour sont compatibles avec des routes construites.
David Soren (pp. 20-22) donne ensuite les principales phases historiques et archéologiques du site: —Construction initiale de la vasca (vers 150 av. J.-C.);
—Développement du site (1er siècle av. J.-C. – 1er siècle ap. J.-C.);
—Apex de fréquentation et d’importance architecturale du site (vers 114 ap. J.-C.);
—Lent déclin (période post-trajane jusqu’au 4e siècle ap. J.-C.);
—Destruction de la piscine à immersion et incendie des structures A et D (vers 360 ap. J.-C.);
—Re-développement du site (vers 380 ap. J.-C.);
—Destruction finale de la piscine à immersion (5e siècle ap. J.-C.);
—Utilisation tardive du site (Moyen Age);
—Période moderne.
David Soren, Claudio Bizzarri, Annalisa Marzano et José Olivas (pp. 23-57) décrivent ensuite les différents temps et découvertes des diverses campagnes de fouilles archéologiques menées sur le site de Chianciano.
Plusieurs appendices, souvent très courts (mais jamais trop), apportent des informations pertinentes:
—Dans un très court texte (p. 58), Oscar Magallanez apporte quelques éclaircissements sur la reconstruction de la structure A proposeé dans cette publication (l’état correspondant à celui de l’époque impériale tardive).
—Une étude complémentaire sur les fragments crémés retrouvés dans les structures A et D (p. 59, par M.S. Tite) propose comme température de combustion du bâtiment un minimum de 850° pour l’un et 1000° pour l’autre.
—Une étude portant sur les empreintes de 36 briques (p. 60, par Frank Romer) au nom de Vopisco et Hasta consulibus montre l’implantation de ces marques (datées du début du 2e siècle ap. J.-C.) dans le territoire de Chianciano et Mezzomiglio.
—Enfin, Annalisa Marzano (pp. 61-64) s’intéresse à la répartition géographique et historique des murs en opus poligonalis, un exemple de telles structures ayant été mis en évidence sur le site.
Archer Martin (pp. 65-98) livre ensuite une analyse détaillée de l’ensemble du matériel céramique mis au jour, mais aussi du petit matériel: fragments de briques et de tuiles (certaines inscrites: voir plus haut), clous en fer, esquilles de vitres et de vaisselle en verre, segment de canalisation en plomb, éléments architecturaux en marbre, mortiers, meules à grains, lame de faucille, poids, monnaies, etc.
Karen Adams (pp. 99-105) étudie les macro-restes végétaux conservés soit par imbibition aqueuse, soit au décours d’une carbonisation (phase de destruction des bâtiments). On découvre que le chêne participait aux matériaux de construction, tandis que des fragments de cyprès, de cèdre, de pins et de ficus ont été associés accidentellement. La datation des structure a été confirmée par dosage du radiocarbone, tandis que la dendrochronologie s’est révélée infaisable en raison du faible nombre d’anneaux de croissance.
Michael MacKinnon (pp. 107-110) s’est penché sur les restes fauniques associés aux structures thermales: ovi-capridés (brebis, chèvres), équins (chevaux), porcins (porc et sanglier), chat, cerf et poulets ont été identifiés, avec de rares lésions de préparation alimentaire.
Le même auteur (pp. 111-114) a réalisé l’étude anthropologique et paléopathologique d’un squelette humain retrouvé à très faible profondeur et correspondant à un crime de guerre relativement récent (soldat allemand de la seconde guerre mondiale ?): un homme âgé dont l’usure dentaire très particulière indique qu’il fumait vraisemblablement la pipe…
Tana J. Allen (pp. 115-120) livre ensuite une analyse des plus intéressante, puisqu’elle prépare la mise en parallèle des données archéologiques avec les différentes théories sur la pratique thérapeutique en thermes, d’après les témoignages littéraires et médicaux. Elle discute notamment du caractère efficace ou non des immersions et des consommations d’eaux thermales, mais aussi des à-côtés (effets bénéfiques du voyage, caractère purement de confort de certains séjours, etc.).
En continuité directe, le chapitre d’Annalisa Calapa (pp. 121-124) porte sur la comparaison de la grande piscine d’immersion et de la source avec les autres thermes connus.
L’ensemble des figures est réparti entre les textes anglais et italiens (pp. 125-280). L’iconographie est abondante et très souvent utile, mais certaines réserves doivent être portées: la définition de quelques figures est très clairement insuffisante, rendant leur exploitation difficile ou nulle (par exemple la figure 3:1 page 137); d’autre part, les auteurs ont dû passer un temps considérable à ombrer certaines figures, sans aucune utilité, en rendant fort hétérogène l’iconographie présentée… On regrettera enfin qu’aucune photo ne soit donnée du squelette humain mis au jour (même s’il présente un caractère anachronique vis-à-vis des thermes).
Le texte italien est ensuite présenté, comparable au texte anglais (pp. 281-416).
En conclusion, cet ouvrage de qualité analyse de façon complète un système thermal romain d’Etrurie et s’accompagne de diverses études complémentaires fort pertinentes. On regrettera que quelques examens n’aient pas été pratiqués, par exemple une étude parasitologique des conduits d’évacuation des eaux ou de l’enduit hydraulique du castellum.