BMCR 2009.02.07

Tertullian’s Aduersus Iudaeos: A Rhetorical Analysis. Patristic Monograph Series 19

, Tertullian's Aduersus Iudaeos: A Rhetorical Analysis. Patristic Monograph Series 19. Washington, D.C.: Catholic University of America Press, 2008. xiv, 210. ISBN 9780813215266. $39.95.

Avec son Tertullian’s Adversus Iudaeos: A Rhetorical Analysis, Geoffrey D. Dunn nous offre une double contribution, tant dans le domaine des études consacrées à Tertullien en traitant de l’authenticité et de l’intégrité de l’ouvrage ainsi que de sa relation avec son auteur présumé Tertullien, que dans celui du débat concernant les rapports entre chrétiens et Juifs dans l’Antiquité tardive lorsqu’il s’interroge sur les données apportées par l’ouvrage sur l’existence et la nature de telles relations. Ce nouveau livre de Dunn est extrêmement clair, ses cinq courts chapitres parfaitement equilibrés quant au nombre de pages et l’auteur prend grand soin de ne pas perdre l’attention de ses lecteurs au risque de paraître parfois un peu trop didactique. Les idées principales de chaque chapitre sont résumées dans une courte conclusion ainsi qu’en introduction du chapitre suivant et les transitions assurent au lecteur de ne jamais perdre le fil de la pensée de l’auteur en répétant souvent le but de l’analyse poursuivie, les conclusions intermédiaires auxquelles il est déjà parvenu et en annonçant les prochaines étapes de son étude. De plus, ce livre de Dunn devient un ouvrage de référence sur tous les sujets qu’il aborde car chaque point est présenté après un examen précis et de grande envergure de toute la littérature scientifique produite à son sujet depuis le début du vingtième siècle et jusqu’à nos jours. Enfin, chaque chapitre replace l’analyse du texte de Tertullien dans son contexte théorique et historique de façon à ce que même un dilettante puisse apprécier à leur juste valeur les conclusions auxquelles Dunn parvient.

Le premier chapitre, “Controversy Surrounding the Text and the Genre”, est dans un premier temps, une présentation précise et détaillée de tous les arguments de tous les auteurs qui se sont intéréssés de près ou de loin à la question de l’authenticité et de l’intégrité de l’ Adversus Iudaeos et au bien fondé de l’attribution de cet ouvrage à Tertullien. Dunn, au cours de ce chapitre, annonce qu’il se place du côté de ceux qui voient en l’ Adversus Iudaeos un ouvrage issu d’une seule main qui est, selon lui, celle de Tertullien et propose d’apporter de nouveaux arguments en faveur de cette position au moyen d’une nouvelle méthodologie consistant en l’analyse rhétorique du texte. Dans un second temps, Dunn résume les dernières positions des chercheurs sur l’existence de rapports entre les chrétiens et les Juifs après la destruction du deuxième temple de Jerusalem et promet une contribution au débat à travers l’analyse de l’ Adversus Iudaeos qui n’est généralement pas envisagé comme pouvant éclairer le sujet du fait des controverses qui l’entourent.

Le deuxième chapitre, “Readership”, définit la nature du traité et étudie le public auquel il s’adresse. Dunn considère que l’ Adversus Iudaeos est une controversia, un exercice d’éloquence judiciaire, mais il met le lecteur en garde contre une mauvaise interprétation de cette assertion. Du temps de la seconde sophistique, un tel exercice n’est plus mené que pour distraire l’auditoire et pour prouver le talent de l’orateur. Mais Dunn soutient que pourtant Tertullien n’a d’autre but que de convaincre en utilisant ce genre littéraire. Il le compare aux avocats pour qui la controversia reste un exercice pratique et utile qui les préparent à leurs vraies plaidoiries. Ainsi, poursuit Dunn, l’idée avancée par certains que l’ Adversus Iudaeos ne serait qu’une invention plaisante n’ayant rien de réel ni d’actuel est à rejeter. Une telle idée mène à la conclusion qu’aucun contact entre Juifs et chrétiens n’existe dans la réalité et que par conséquent l’ Adversus Iudaeos ne cherche qu’à donner des éléments d’auto-définition aux chrétiens sans avoir de plus vaste portée.

En accord avec ses prédécesseurs Marcel Simon, Guy Stroumsa et James Carleton-Paget, Dunn affirme qu’il faut cependant envisager plusieurs objectifs à l’ Adversus Iudaeos, dont celui de guider les chrétiens en effet mais aussi celui de s’engager dans un débat, direct ou indirect, avec les Juifs sur des questions d’exégèse visant à établir lequel des deux groupes religieux est le peuple de Dieu. Dunn conclut enfin que certes, Tertullien utilise un genre littéraire en vogue à son époque, mais qu’il le fait d’une façon qui lui est particulière. Il est à noter ici que Dunn prend comme pour hypothèse de départ le fait que Tertullien a reçu une solide éducation selon les critères gréco-romains et que pour cette raison il est évident qu’il manie les règles de la controversia et est un habile rhéteur. Il est toutefois regrettable que notre auteur n’ait pas profité des signes prouvant les capacités rhétoriques de Tertullien pour aborder la question sous un angle nouveau et apporter une preuve à ce qui est perçu comme un fait établi et répété indéfiniment sans exemples à l’appui : le fait que Tertullien ait reçu une éducation classique.

Dunn s’intéresse ensuite aux différents publics auxquels l’ouvrage de Tertullien s’adresse. Il différencie plusieurs types de publics et parmi eux, celui auquel l’auteur imagine qu’il s’adresse lorsqu’il rédige son texte et celui qui finalement aura vraiment connaissance du texte. L’étude des pronoms personnels permet à Dunn de noter un emploi généreux de la première personne du pluriel désignant Tertullien et les autres chrétiens qui laisse penser que ces derniers sont le destinataire premier du texte. Dunn ajoute que ce “nous” pourrait être une façon rhétorique de confirmer que les chrétiens partagent effectivement les idées énoncées par Tertullien. L’usage de la troisième personne du pluriel pour désigner les Juifs tout au long du texte tend à montrer que l’ Adversus Iudaeos est un ouvrage sur les Juifs et non pas un ouvrage adressé aux Juifs. Tertullien ne prend pas en compte les Juifs contemporains mais les Juifs des temps passés et plus spécifiquement ceux des temps bibliques. Cette désignation neutre des Juifs fait de l’ouvrage le lieu d’un raisonnement intellectuel mesuré et non celui de débats personnels et enflammés. En outre, cet ouvrage vise plus à convaincre les chrétiens que leurs idées sont bonnes qu’à essayer de détourner les Juifs des leurs. Les rares occasions où Tertullien emploie la deuxième personne du pluriel pour s’adresser directement aux Juifs seraient donc simplement un effet de style. Dunn profite de cette analyse pour noter que les passages de l’ Adversus Marcionem parallèles à ceux de l’ Adversus Iudaeos utilisent d’autres pronoms personnels pour transmettre le même idées et il suggère ici ce qu’il essaiera de prouver de nouveau plusieurs fois au cours de l’ouvrage que l’ Adversus Iudaeos est antérieur à l’ Adversus Marcionem et cependant bien entièrement écrit par Tertullien lui-même.

Enfin, Dunn adresse la question de la réalité de la rencontre dont témoigne Tertullien en ouverture de son texte entre le Juif prosélyte et le chrétien. Dunn précise pour ceux qui s’y trompent souvent que Tertullien n’a jamais affirmé qu’il écrivait le compte-rendu d’une rencontre qui avait vraiment eu lieu. Selon Dunn, une telle rencontre a pu véritablement se produire ou en tout cas est à même de se produire ou de se reproduire, ce qui prouve qu’il y a des contacts entre Juifs et chrétiens, au moins à Carthage du temps de Tertullien. L’ Adversus Iudaeos permet donc à Tertullien de fournir aux chrétiens des outils et des arguments qui leur permettront de tenir tête aux Juifs dans le cas de telles rencontres. C’est là l’argument principal de l’ouvrage de Dunn. Ainsi, l’ Adversus Iudaeos s’adresse aussi indirectement aux Juifs étant donné que les arguments de Tertullien pourront leur parvenir au cours de débats avec des chrétiens préalablement préparés à la rencontre. Il se peut que Tertullien lui-même soit le chrétien ayant pris part au débat qui a donné lieu à la rédaction de l’ Adversus Iudaeos et qu’il ait écrit le traité pour corriger les défauts de son argumentation orale ou bien simplement, sans avoir été acteur dans le débat, qu’il ait rédigé l’ouvrage pour donner un exemple aux chrétiens de ce qui aurait du= être dit en la circonstance. Dunn conclut donc que le public idéal de l’ Adversus Iudaeos pour Tertullien serait le même que celui qui a assisté au précédent échange et qui assisterait de nouveau à sa version améliorée, là où Tertullien, ou un autre chrétien utilisant ses arguments, aurait le loisir de présenter clairement et complétement, de façon persuasive, toutes ses idées sans être pris de court ni interrompu par quiconque. (p56) Dunn ne rejette pas l’éventualité que des païens curieux, ou cherchant à adopter un monothéisme, puissent aussi assister au débat mais il pense que dans ce cas, (p106) Tertullien aurait utilisé plus d’arguments classiques et philosophiques, et moins spécifiquement chrétiens, pour se mettre à leur portée et qu’il aurait aussi fait valoir les meilleurs côtés du Nouveau Testament pour les attirer, ce qu’il ne fait pas dans l’ Adversus Iudaeos. Les points sur lesquels Dunn insiste dans ce chapitre sont que l’ Adversus Iudaeos n’est pas le rapport d’une vraie rencontre et que les Juifs sont envisagés comme audience de Tertullien par l’intermédiaire des chrétiens qui leur retransmettront ses arguments. Ainsi le texte est bien déstiné à fournir au chrétien un moyen de s’auto-définir mais cela n’exclut pas d’effectifs rapports entre Juifs et chrétiens à Carthage. L’ Adversus Iudaeos serait même un outil pratique à utilser lors de ces contacts.

Les trois chapitres suivants, “Structure, Argumentation et Style”, riches en exemples textuels précis, sont plus techniques et spécialisés. Dunn s’attache à faire en sorte que tout un chacun puisse saisir l’intérêt de l’analyse en donnant des outils contextuels indispensables à sa compréhension mais toutefois, comme il l’admet lui-même, le développement reste un peu fastidieux pour un simple amateur. La valeur de l’analyse reste cependant entière pour les spécialistes de Tertullien et elle est la quintessence de l’ouvrage puisque ce sont les arguments avancés au cours de cette analyse qui permettent à Dunn de prouver de façon convaincante le bien-fondé de ses affirmations à plus vaste portée. “Structure” permet de mettre en relief une structure rhétorique de l’ Adversus Iudaeos, ce qui mène Dunn a affirmer que les deux parties du texte, envisagées généralement comme l’une étant de Tertullien et l’autre une addition tardive, ont été écrites intentionnellement par la même main. La première partie annonce ce qui va être développé au cours de la seconde et toutes deux ensemble offrent les sous-parties attendues dans une controversia classique. Dunn admet cependant que la structure rhétorique, bien qu’intentionnelle, n’est pas toujours parfaite et que les idées et les arguments sont parfois embrouillés. Il en conclut que l’ Adversus Iudaeos sous la forme sous laquelle il nous est parvenu n’est en réalité que le brouillon non retravaillé de ce que Tertullien voulait écrire. Dunn est aussi prêt à concéder une interpolation d’une main étrangère dans le texte en 14.11-14 qui est la répétition de 11.10-11 soit de la conclusion que Tertullien avait commencé à écrire avant de décider d’ajouter de nouveaux arguments. Pour Dunn, l’analyse de la structure rhétorique a deux avantages majeurs, elle permet d’une part de dégager le sujet principal du traité et d’autre part de prouver l’unité et l’intégrité de l’ouvrage. De nouveau, Dunn apporte dans ce chapitre des éléments permettant de dater l’ Adversus Marcionem postérieurement à l’ Adversus Iudaeos.

“Argumentation” observe les différents arguments utilisés par Tertullien. L’argumentation dans l’ Adversus Iudaeos est caractéristique de la façon de procéder de Tertullien. En plus d’analyser précisément les arguments et leur présentation, Dunn montre comment Tertullien aime parfois à accumuler un grand nombre d’arguments facilement réfutables pour donner l’impression qu’ils ont tous de la valeur et ne pas laisser le temps de les examiner sérieusement un à un. Deux autres points importants de ce chapitre sont que Tertullien apparaît une fois de plus familier avec les théories de l’argumentation rhétorique et d’autre part, qu’il ne fait pas preuve dans l’ Adversus Iudaeos de sarcasme ni n’attaque directement et férocement qui que ce soit. Pour Dunn c’est encore un élément permettant d’envisager que Tertullien pensait réellement que ses arguments arriveraient aux oreilles des Juifs. Comme pour ce qui concerne la structure, les arguments ont besoin d’être réorganisés et retravaillés — ce qui prouve là encore que nous avons affaire à un ouvrage non fini. Les mêmes arguments étant mieux présentés dans l’ Adversus Marcionem, Dunn en conclut que c’est Tertullien lui-même qui a retravaillé son argumentation dans un ouvrage postérieur. Les arguments de Tertullien sont comparés dans ce chapitre à ceux d’autres apologistes chrétiens et l’usage original qu’il en fait mis en valeur.

Quant à “Style”, ses conclusions suivent celles de “Structure” et d’ “Argumentation” en ajoutant que la verbosité de l’ Adversus Iudaeos laisse penser que ce traité est un des premiers de Tertullien et Dunn propose de le dater des alentours de 195-6. La conclusion de ces trois chapitres porte sur le fait que Tertullien est parfaitement familier avec les règles de la rhétorique mais que son ouvrage n’est qu’un brouillon qui nécessite de profondes révisions.

Ce livre de Dunn est donc non seulement agréable à lire et enrichissant intellectuellement pour le grand public, mais aussi d’une très grande utilité à deux points de vue. D’une part, en partant d’un exemple particulier — ce qui a plus de valeur que de simples hypothèses théoriques — Dunn apporte sa contribution à la discussion concernant les rapports entre Juifs et chrétiens dans l’Antiquité tardive et parvient à des conclusions convaincantes. D’autre part, Dunn contribue à la vitalité des études sur Tertullien en fournissant une analyse précise d’un texte peu étudié en suivant une méthodologie novatrice. Cette méthode elle aussi parvient à proposer de nouveaux arguments permettant d’éclairer d’une lumière neuve des questions toujours réitérées. Dunn réussit à rendre la place qui lui revient à cet ouvrage maltraité de Tertullien.

Table of Contents 1. Controversy Surrounding the Text and the Genre
Those Who Doubt the Work’s Integrity and Authenticity
Those Who Accept the Work’s Integrity and Authenticity
Judaism and Christianity in Contact?
A Rhetorical Reading
2. Readership
Declamation and Eulogy
Aduersus Iudaeos as Controuersia
Second-Century Christian Rhetoric
Real, Imagined, and Intended Readers
Imagined Readers of Aduersus Iudaeos
Intended Readers of Aduersus Iudaeos
Conclusion
3. Structure
Sider’s Observations of General Structural Patterns in Tertullian
Exordium
Narratio
Partitio
Refutatio
Confirmatio
Peroratio
Summary of Rhetorical Structure
Comparison with Other Structural Arrangements of Aduersus Iudaeos
Conclusion
4. Argumentation
Classical Rhetoric on Argumentation
Sider’s Observations on Tertullian’s Arguments
Argumentation in Aduersus Iudaeos
Conclusion
5. Style
Classical Rhetoric on Style
Style in Tertullian
Style in Aduersus Iudaeos
Conclusion
Conclusion
Bibliography
General Index
Index of Citations to Tertullian
Index of Citations to Scripture