BMCR 2008.07.50

Aristophanes Fabulae I; Aristophanes Fabulae II

, Aristophanes Fabulae I. Scriptorum classicorum bibliotheca Oxoniensis. Oxford: E Typographeo Clarendoniano, 2007. ix, 427 pages. ISBN 9780198721802.
, Aristophanes Fabulae II. Oxford Classical Texts . New York: E Typographeo Clarendoniano; Oxford University Press, 2007. 326 pages. ISBN 9780198721819.

Il était temps de donner un successeur à l’obsolète et de toute façon relativement médiocre édition oxonienne de Hall et Geldart (1900, revue 1906-1907): les pièces sont dotées d’éditions commentées récentes et détaillées, Alan Sommerstein a publié (1980-2002) une importante édition critique avec traduction et commentaire qui, pour plus d’un d’entre nous, s’est substituée, en tout cas pour un temps, à l’édition Budé de Victor Coulon (1923-1930) comme édition de référence; Laetitia Parker a édité et analysé (1997) les parties lyriques avec compétence et méticulosité. Ce qui manque, comme le reconnaît Nigel Wilson dans l’introduction de l’utile mais un peu maigre recueil d’Aristophanea (Oxford, 2007, 218 p.) accompagnant son édition, c’est l’étude complète de la tradition du texte, laquelle implique, entre autres, la collation totale ou partielle de tous les nombreux manuscrits. À défaut d’un travail d’ensemble, il existe un certain nombre de travaux sur la transmission de telle ou telle pièce, sur tel ou tel manuscrit, sur tel ou tel aspect de la tradition du texte, et Wilson joue depuis longtemps un rôle non négligeable dans l’investigation de cette tradition.

Wilson ne se fait pas faute de remarquer (Aristophanea, p. XI) qu’il est ‘an editor who can claim to be better acquainted than his predecessors with problems of textual transmission, Greek palaeography, and Byzantine studies’. Néanmoins, ce n’est pas sous ce rapport que son édition est particulièrement importante et novatrice: Wilson reconnaît avec une parfaite honnêteté qu’il doit à ses prédécesseurs la connaissance des leçons des papyrus et de beaucoup de manuscrits importants. Les grandes lignes de la tradition du texte et les principaux témoins de ce dernier sont ceux que l’on connaissait déjà, et je ne crois pas me tromper en disant que là-dessus, ni dans l’édition ni dans la synthèse qui sert d’introduction aux Aristophanea, Wilson n’apporte rien de neuf qui soit de première importance tant pour l’histoire que pour l’établissement du texte. Toutefois, on est content d’avoir confirmation, précision ou rectification par un tel spécialiste de la datation de tel ou tel témoin, de voir identifié le copiste de Paris BNF fonds grec 2715 (Andronicos Callistos) et écartée l’hypothèse liant ce manuscrit porteur de ‘good readings of unexplained origin’ au travail de Triclinios; on est porté à faire confiance à Wilson quand il dit que par la seule consultation du fac-similé du Ravennas 429 il a pu corriger des reports de leçon fautifs; on est d’autant plus rassuré d’être guidé par un tel connaisseur dans les méandres de la tradition byzantine que ‘nur die Geschichte des Textes kann lehren, wo Überliefertes, Antikes steckt’, ainsi que remarque Wilamowitz, Aristophanes Lysistrate, 1927, p. 62 n. 1, dans un passage où il critique l’idée que l’apparat doit donner les leçons de tous les manuscrits conservés. Ce n’est certes pas un reproche que l’on peut faire à Wilson. Sauf erreur de ma part, Wilson ne dit pas explicitement qu’il est improbable que l’établissement du texte bénéficie d’une manière notable de la collation de tous les manuscrits. Mais s’il ne le pensait pas, il n’aurait pas fait, je présume, une édition fondée sur un nombre relativement réduit de manuscrits. L’avenir dira si ce point de vue est juste. Pour ma part, je crois qu’aujourd’hui c’est surtout la critique textuelle qui peut faire avancer l’établissement et l’édition du texte des comédies d’Aristophane. Et, de ce point de vue, le travail de Wilson est de la première importance.

Une brève introduction rédigée en anglais1 ouvre les deux volumes. Chaque pièce est précédée de la liste des témoins utilisés, papyrus (datés) et manuscrits (hélas non datés), des arguments (passablement corrompus et pour lesquels Wilson aurait pu indiquer plus de conjectures, cf. notamment Lys. Arg. I l. 5, Aves Arg. I l. 10, où verba varie temptata laisse le lecteur sur sa faim). Il n’y a aucune liste de références bibliographiques (on en trouve une, succincte, dans les Aristophanea), aucun index (il y a un index nominum chez Hall et Geldart). L’appareil critique est de rédaction mixte; le plus souvent clair, il souffre à l’occasion de la tendance presque partout observable de Wilson au laconisme: cf. notes à Ach. 301 ; Eccl. 141, 474. L’édition est matériellement soignée. Un second tirage devra cependant rectifier les désaccords entre texte et apparat critique en Eq. 1311; Pax 233, 640, 1111; Aves 172, 584; Lys. 421, 1220 (vers faux, en l’état); Thesm. 646; Ran. 800. Une coquille rend faux le tétramètre iambique catalectique d’ Eq. 424. Dans la note à Aves 443, il faut substituer Euelpidem à Pisetaerum. La ponctuation du v. 1186 de la même comédie est incompatible avec la leçon choisie au v. 1185. La présence du mot ‘strophe’ en marge de Vesp. 1519 est une bévue. Je fais grâce au lecteur de broutilles, en nombre relativement réduit pour un travail d’une telle ampleur.

Wilson révoque en doute le dogme qui tend à couvrir d’une chape de plomb la critique du texte d’Aristophane. Il est traditionnel d’opposer, du point de vue de la bonne conservation, le texte d’Aristophane à celui des tragiques. Cela est vrai, mais d’une vérité toute relative: Wilson pense et, à mon avis, montre qu’on aurait tort de penser que le texte des comédies d’Aristophane est, absolument parlant, en aussi bon état que beaucoup le croient.2 Au nom du principe de la bonne conservation du texte, on cesse d’étudier ce dernier avec esprit critique et, lorsqu’un passage est problématique quant à l’établissement du texte, soit on justifie le texte transmis d’une manière forcée, par exemple à coup de parallèles qui n’en sont pas, soit l’on passe carrément la difficulté sous silence, en offrant à l’occasion une traduction qui ne correspond pas au texte grec sur lequel elle est censée se fonder (la traduction de l’édition Budé et celle de Pascal Thiercy, parue en 1997, sont très loin d’être irréprochables de ce point de vue). Les Aristophanea illustrent et critiquent plus d’une fois ce traitement désinvolte des problèmes textuels et attestent le soin scrupuleux avec lequel Wilson confronte le texte transmis aux interprétations littérales et aux analyses grammaticales qu’on en donne. Dans l’introduction, il fournit la justification théorique de son scepticisme vis-à-vis du texte transmis:

critics who adopt a conservative approach do not allow for the deterioration of texts that was inevitable in the period of almost two thousand years when all copies had to be made by hand; such critics underestimate the difficulty of producing truly accurate copies and consequently run the risk of imputing to the leading writers of antiquity a mediocrity of intellectual and stylistic standards which cannot be reconciled with their status as classics.

L’argument de la corruption progressive me paraît d’autant moins douteux qu’il s’agit d’un texte beaucoup lu et recopié. En revanche, la justification du non-conservatisme par l’inadéquation du texte transmis au statut de classique est problématique: on peut contester qu’Aristophane ait dû écrire conformément à un statut postérieur à lui et dont la définition est loin d’être claire. Mais, en critique verbale, la théorie importe, me semble-t-il, moins que la pratique: c’est le traitement des cas singuliers qui compte.

S’agissant d’un auteur tel qu’Aristophane, il est aujourd’hui impensable qu’un philologue puisse remédier aux difficultés textuelles par ses seules trouvailles, et le travail du critique textuel compétent consiste avant tout à examiner les idées de ses prédécesseurs et, le cas échéant, à les réhabiliter. En effet, on se tromperait lourdement en croyant à la linéarité absolue du progrès de la critique des textes. Par ses excès réels, la critique de la seconde moitié du XIXe s. s’est durablement discréditée auprès des philologues postérieurs, qui ont parfois, en partie par réaction, adopté un conservatisme de principe. Certains, et notamment Wilamowitz, tout en affichant une attitude conservatrice et en conspuant l’interventionnisme d’érudits tels que Cobet, Meineke, Bergk, Blaydes (seul mentionné par Wilson dans l’introduction de son édition) ou van Herwerden, ont néanmoins proposé beaucoup de conjectures, mais c’étaient les leurs, censées relever d’une attitude véritablement scientifique en opposition à l’hypercritique non scientifique de la période précédente. Le résultat est que beaucoup de conjectures intéressantes, soit comme solutions soit pour leur valeur diagnostique, sont négligées sous le prétexte qu’elles appartiennent à Blaydes, entre autres. Wilson est revenu sur la condamnation dont faisaient l’objet de tels philologues et il a examiné leurs idées pour ce qu’elles valent, comme il l’a fait, avec bonheur,3 pour des philologues antérieurs ou postérieurs à la seconde moitié maudite du XIXe s. Ne serait-ce que par ce réexamen et un choix le plus souvent judicieux entre de très nombreuses conjectures de qualité extrêmement variable, Wilson fait faire un progrès considérable à l’édition du texte d’Aristophane, soit qu’il adopte dans le texte des trouvailles négligées,4 soit qu’il les signale dans l’apparat critique.5 C’est l’une des raisons pour lesquelles la taille nettement accrue de l’apparat distingue cette édition de celle de Hall et Geldart, dont l’apparat est étique. Il faut être extrêmement reconnaissant à Wilson d’aider ainsi l’utilisateur de son édition. Hélas, il n’a pas mis le comble à la reconnaissance du lecteur en fournissant les références des conjectures partout où c’était possible. L’indication sporadique d’un millésime accolé au nom de l’inventeur ne remplace aucunement la référence précise. C’est d’autant plus dommageable que les Aristophanea ne discutent qu’un nombre restreint de passages. Or je ne crois pas que le lecteur à qui manquera la référence ou la justification de telle ou telle conjecture les trouvera toujours dans un des commentaires auxquels Wilson renvoie implicitement. Certes, on dira que les conjectures ne sont pas toujours accompagnées de justification dans les ouvrages où elles sont publiées pour la première fois, que l’addition systématique de références précises eût par trop retardé la publication ou que de toute façon l’intérêt de telles références eût été amoindri par l’incertitude où, faute du thesaurus coniecturarum dont Wilson regrette l’absence,6 l’on peut être touchant l’identité du premier inventeur. Il n’empêche: c’est un manque, qui ne caractérise pas toutes les éditions de la série.

Wilson, déclare-t-il dans l’introduction de son édition, a été lui-même surpris d’être amené à proposer des conjectures personnelles, en nombre non négligeable mais nettement moindre, si je ne m’abuse, que celui des conjectures de Blaydes qu’il mentionne. Soit adoptées dans le texte, soit plus souvent confinées dans l’apparat ou même dans les seuls Aristophanea quand elles sont des suggestions trop peu certaines aux yeux de leur auteur, des alternatives ou des conjectures à finalité diagnostique, elles me paraissent le plus souvent suscitées par des difficultés réelles. Leur inégale valeur, qui découle en partie de la diversité des fonctions qu’elles remplissent, était inévitable. Aucune, en tout cas, n’est impossible du point de vue grammatical et métrique, à la différence de certaines conjectures de Thiercy (publiées dans les notes de sa traduction) dont Wilson se plaît à signaler, dans ses Aristophanea, la défectuosité métrique. La plus spectaculaire, à mon sens, n’est pas la correction d’un mot ou d’une séquence corrompus, mais l’excision de trois vers (Nub. 1437-1439) qui sentent l’interpolation à plein nez, mais que personne ne semble avoir soupçonnés avant Wilson. J’espère, sans y croire, que nul ne s’avisera de les défendre. La remarque laconique vix idonei est caractéristique de la manière de Wilson; aucune note dans les Aristophanea! Ce laconisme peut avoir, il est vrai, un aspect rafraîchissant à une époque où les commentaires sont d’une prolixité parfois peu proportionnelle à la profondeur de leurs analyses.

L’excision de Nub. 1437-1439 est de ces exemples qui à la fois réfutent ceux pour qui, dans la critique du texte d’Aristophane, tout ce qui est important a déjà été trouvé, et illustrent certaines qualités de Wilson comme éditeur de texte. Il a le sens de la langue et est attentif à l’usage (mais les passages allégués dans les Aristophanea pour le supplément que propose Wilson en Eccl. 220 ne me paraissent pas pertinents, et, en Aves 1359, il semble oublier que κα peut être séparé du mot auquel il se rapporte, cf. BMCR 2007.10.55). Il a un jugement plutôt sûr et pondéré et, comme dit Housman, le sens du sens (mais la correction qu’il adopte en Eccl. 503 et les suggestions qu’il fait en Aves 823 dans son édition et les Aristophanea sont à côté de la plaque). Il est attentif et ne se paie pas de mots (‘simplicity of mind’ est l’expression la plus adéquate). Toutes ces qualités sont évidemment requises pour un éditeur de texte ; il est en fait assez rare de les trouver séparées et beaucoup plus rare de les voir réunies. On verra d’excellentes corrections de Wilson dans le texte, par exemple en Eq. 267, 358, 1399 ; Aves 531 ; Lys. 779, 834 (identification d’une lacune) ; Ran. 1001 (dans l’apparat) et 1375 ; Eccl. 287. Mais Wilson a, je crois, tort de préférer sa propre suggestion à la correction d’Oeri en Lys. 324, sous le prétexte spécieux qu’elle est plus économique : le substantif que Wilson restitue ne figure pas chez Aristophane; la faute que suppose la conjecture d’Oeri est triviale. Wilson a tort de critiquer, aussi dans les Aristophanea, comme paléographiquement peu vraisemblable la correction de Palmer en Eccl. 502: il y aura eu perte d’une série de lettres après occurrence d’une série similaire dans le premier mot du vers (sur ce type de faute, voir Coulon, Essai sur la méthode…appliquée au texte d’Aristophane, Paris, 1933, p. 35 ss.), puis correction avec un bouche-trou de fortune.

Signalons comme une ombre au tableau l’impression occasionnelle qu’en tel endroit problématique Wilson adopte une conjecture incertaine (cf. par exemple Aves 899, avec suppression d’une résolution présente dans le vers symétrique de la strophe), tandis qu’en tel autre il se borne à indiquer dans l’apparat une conjecture toute simple qui règle une difficulté très grave. C’est ainsi que la fin d’ Aves est atrocement défigurée par le rejet de la correction très simple de Meineke en 1709 et 1711 οὐδ’ pour οὐτ’. Wilson se serait-il laissé influencer par N. Dunbar, qui, dans son commentaire de 1995, se bat les flancs pour justifier un texte injustifiable ? Même si le passage est hyperbolique et parodique, il est impossible de faire dire à Aristophane ‘Pisétairos s’avance tel que ni un astre éclatant ne brille ni le soleil ne resplendit, tel que Pisétairos va, ayant avec lui une épouse d’une indicible beauté’. La construction et le sens sont évidemment ‘P. s’avance tel que pas même un astre éclatant brille; pas même tel que le soleil resplendit, tel il va’ (noter la structure chiastique). Inversement, je déplore que l’exigence de ‘readability’, que je trouve particulièrement justifiée quand une traduction accompagne le texte grec ou latin, pousse certains éditeurs d’OCT à préférer, dans des passages suspects ou convaincus d’altération, des conjectures trop douteuses aux croix de la désespérance, plus sombres mais plus réalistes (cf. par exemple Nub. 1311; Vesp. 1024; Lys. 1154, correction qui laisse le texte bancal et est très inférieure à celle de van Leeuwen adoptée par Wilamowitz 1927 et non mentionnée par Wilson).

Wilson, qui rappelle la fiabilité faible ou nulle des papyrus et des manuscrits en ce domaine, est attentif à l’attribution des répliques, qui constitue notoirement une des taches les plus difficiles pour l’éditeur et l’interprète des comédies d’Aristophane. Nulle édition ne peut être parfaite de ce point de vue aussi. Les avis peuvent varier considérablement sans qu’on puisse trancher. Wilson, qui tantôt indique (en contradiction, peut-on penser, avec ce qui est dit p. viii de la préface de l’édition) et tantôt passe sous silence les modifications des attributions transmises, mentionne dans l’apparat un certain nombre de possibilités qu’il ne retient pas; il aurait pu en signaler davantage, mais la loquacité relative de Wilson sur ce sujet contraste d’une manière heureuse avec le silence de Hall et Geldart. Un éditeur pensera peut-être un jour à fournir une table de toutes les attributions attestées et proposées. Wilson s’est aussi préoccupé des questions dialectologiques, notamment dans Lys.. Je m’interroge sur la restitution du participe v. 156 (cf. Schulze, Quaestiones epicae, p. 55 n. 2) et particulièrement du digamma, là et en 1252: Aristophane a-t-il seulement employé cette lettre ? Ce qui comptait pour lui, l’acteur en charge du rôle de Lampitô et le public, c’est la prononciation, non l’alphabet. Il est vrai qu’il est tentant de penser qu’au v. 206 le gamma tient lieu du digamma, mais, s’il ne vient pas d’Aristophane, ce peut être une insertion destinée à remédier à un hiatus apparent. Wilson est attentif aux questions orthographiques ; la graphie qu’il donne aux formes du verbe faire avec second élément de diphtongue consonnantisé et abrègement consécutif est inconstante, sans qu’on sache si les variations sont dues aux mss. Pourquoi ne pas avoir fait une appendix orthographica, à l’instar de récents éditeurs de textes latins dans la même série?

Pour les parties lyriques, on sent la dette de Wilson à l’égard de L. Parker. La contribution de cette dernière à la critique du texte de ces parties n’est en rien négligeable, mais l’édition de Wilson me paraît marquer, de ce point de vue, un progrès sensible par rapport au travail de sa collègue. En revanche, la présentation des vers lyriques dans l’édition de Wilson me déplaît fortement, mais il y a là un défaut répandu chez les éditeurs de la poésie dramatique. Il trahit une grave et dommageable incohérence, car les éditeurs qui se rallient à la théorie boeckhienne du vers lyrique (et Wilson en fait évidemment partie) ne décalent pas à droite les cola dont la réunion forme un vers. Tout en étant boeckhiens, ils reproduisent des traits de la colométrie alexandrine rejetée par Boeckh. C’est ainsi que le lecteur non averti (et je les crois nombreux) pourrait prendre lesdits cola pour des vers et se figurer, à l’instar de G. Hermann, que les vers grecs peuvent se terminer à l’intérieur d’un mot.7 En tout cas, le lecteur ne peut guère, me semble-t-il, apprécier la composition lyrique d’Aristophane dans la disposition adoptée par Wilson. De surcroît, on ne sait trop quand l’éditeur suit ou modifie la colométrie transmise. Il serait temps que les éditeurs suivent les principes que Boeckh a appliqués, non seulement dans son édition de Pindare mais aussi dans son édition d’ Antigone (1843), tout en indiquant, dans l’apparat ou dans un appendice spécial, la colométrie des papyrus et des principaux manuscrits ainsi que, pour Aristophane, celle d’Héliodore et les traces de colométrie différente contenues dans les scholies. Dans son édition oxonienne des tragédies de Sénèque (1986), Otto Zwierlein indique la colométrie des deux principales branches de la tradition. Les éditeurs du drame grec devraient s’inspirer de cela. Ce que je dis vaut aussi en partie pour les systèmes anapestiques.

Je comprends le parti pris par Wilson de renoncer à indiquer de façon non sporadique les citations de tradition indirecte, exception faite de celles contenues dans la Souda et considérées comme émanant du frère jumeau ou presque du manuscrit de Ravenne. Wilson s’en explique dans la préface de son édition, où, dans l’intérêt du lecteur, il aurait pu mentionner le recueil de W. Kraus, Testimonia Aristophanea cum scholiorum lectionibus, Vienne, 1931 (cité une fois dans les Aristophanea, p. 197). Espérons que, dans une série qui autorise un large appareil critique, une nouvelle édition critique de qualité rassemblera toute la tradition indirecte en rajeunissant et complétant soigneusement le travail de Kraus. Soit dit en passant, un moyen de rendre à peu de frais l’édition critique des comédies d’Aristophane davantage user friendly eût été d’indiquer dans un étage de l’apparat les passages de poètes lyriques ou tragiques cités ou pastichés par Aristophane.

Terminons en insistant sur l’importance exceptionnelle du renouvellement et du progrès global que représente l’édition de Wilson pour la critique du texte aristophanien. Dans la préface de l’édition, il explique modestement qu’il ne s’agit que d’un ‘step forward’. Puissent les éditeurs suivants le prendre au mot, faire à leur tour avancer la critique et l’édition du texte et non opérer un ou même plusieurs pas en arrière. Il reste encore beaucoup à faire, qu’il faille retourner au texte transmis ou le révoquer en doute.8

Notes

1. Wilson aurait très bien pu dire en latin ce qu’il dit en anglais. Il est vrai que la rédaction de certaines préfaces récentes en latin maladroit et même fautif, voire très fautif, modèrent le regret que l’on peut avoir des préfaces latines. Du moins peut-on regretter que les éditeurs de classiques, et parmi eux des latinistes, ne soient plus tous capables d’écrire quelques pages de latin viable. Il est vrai aussi qu’on ne peut plus supposer de la part de tous les utilisateurs la compréhension de quelques pages de latin, fussent-elles correctes ou même élégantes. Le latin écrit par Wilson dans l’apparat critique m’a paru irréprochable, à l’exception de et praesertim (note à Thesm. 101-129) et de vox parum sordida quam ut…respondeat (note à Eq. 358).

2. On oppose aussi la bonne conservation du texte de Pindare au mauvais état du texte d’Eschyle et l’on tend à penser que le texte de Pindare est bien transmis, vérité toute relative, et à négliger les problèmes qu’il pose ou à les régler par des contorsions exégétiques invraisemblables : je me permets de renvoyer sur ce point à ma petite édition critique des Pythiques (Paris, 2004) et de relever que le futur éditeur de Pindare dans la série des OCT, W. B. Henry, si je ne m’abuse, met aussi en doute le dogme de la bonne transmission du texte de Pindare, pour autant qu’on en puisse juger par son édition annotée de quelques Néméennes (Munich et Leipzig, 2005) et d’autres travaux. Songer que l’édition de Snell-Maehler, pour ne parler que d’elle, ne mentionne même pas la restitution palmaire d’ Olymp. 6,43 par W. Schulze ( Quaestiones epicae, Gütersloh, 1892, p. 150-151 et 520)!

3. Cf. par exemple Ach. 24 (Robertson), 553 (Morrison); 731 (Sommerstein); Eq. 364 (Jackson); Nub. 588 (Bentley) et 631 (Blaydes); Aves 535 (Dunbar, qui supprime deux mots, mais la correction de cette dernière au v. 537, adoptée par Wilson, est insatisfaisante); Lys. 644-645 (Stinton); Thesm. 295 (Austin et Olson).

4. Cf. par exemple Ach. 546 (van Herwerden), 612 (Blaydes), 1138 (van Herw.); Eq. 32 (Blaydes); 62 (Bergk); 397-398 (van Herw.); 481 (van Herw.); 540 et 580 (van Leeuwen); 1017 et 1070 (Blaydes, confirmé par un papyrus); 1230 (van Herw.); Nub. 1128 (van Herw.); 1359 (Meineke); Vesp. 10 (van Herw., remarquable), 536 (Blaydes); Aves 725 (Blaydes), 994 (van Eldik et Blaydes, remarquable); Lys. 763-764 (Blaydes), Thesm. 12 (van Herw., suppression du vers); Ran. 928 (Blaydes). Je note aussi le modeste retour de Cobet, approuvé ou cité à bon escient.

5. Cf. par exemple Ach. 415 (Bergk, juste une réinterprétation du texte transmis, en fait), 740 (Hamaker); Eq. 220 (van Herw., suppression du vers), 396 (Blaydes); 722 (van Herw.); 724 (Blaydes); 1150 (Blaydes); Nub. 631 (Blaydes). La conjecture que Wilson attribue à Blaydes en Plut. 345 est un barbarisme.

6. À d’autant plus juste titre qu’en Vesp. 588 il s’attribue une conjecture due à Bothe et d’ailleurs moins bonne que celle de Reiske qu’il mentionne. En Ran. 911, Porson (cf. Dawes, Misc., p. 209, cité par Bothe) a anticipé la correction de Wackernagel. Comment ne pas avoir ajouté de références à une note ( Eccl. 777-779) telle que de personarum vicibus egerunt Lowe et Newiger ?

7. Je me permets de renvoyer, sur ces problèmes de colométrie, à mon étude intitulée Hermann et la colométrie pindarique de Boeckh, à paraître dans les actes d’un colloque de l’université de Leipzig consacré au grand critique et métricien.

8. L’infinitif à la place du participe me semble plausible dans Nub. 953 (ainsi déjà Bothe). En Thesm. 1014, il faut évidemment le présent ἥκει, que Bothe avait déjà conjecturé. La correction de Weston, adoptée par Coulon, manque dans Eccl. 2. Au v. 64 de la même pièce, la correction de Boissonade me paraît nuisible au sens et la difficulté prosodique qui s’attache au verbe transmis est traditionnellement surestimée (cf. Schulze, Quaestiones epicae, p. 470). En Eccl. 405, l’article et le substantif semblent devoir être à l’accusatif. En Plut. 703, il faut, je crois, lire ἐπιβυόυς’ comme en 379; un mot banal aura été substitué au terme rare mais juste. Je me demande si en Ran. 1073 la vraie leçon ne serait pas non le bizarre μᾶζαν καλέσαι mais μᾶζαν μᾶξαι (cf. Eq. 55 avec les observations de Willems dans son Aristophane, I, p. 96-99; Wilson cite κάψαι de van Herwerden). J’espère rassembler dans une brochure les notes que j’ai prises au cours de l’étude du remarquable travail de Wilson.