BMCR 2008.03.35

The Cambridge Companion to Plato’s Republic

, The Cambridge companion to Plato's Republic. Cambridge companions to philosophy. Cambridge: Cambridge University Press, 2007. xxvi, 533 pages : illustrations ; 23 cm.. ISBN 9780521839631. $29.99 (pb).

Table of Contents

L’introduction expose la vocation de l’ouvrage: non pas introduire à la République mais accompagner le lecteur déjà familiarisé avec ce dialogue. Sont ensuite rapidement présentés les seize chapitres.

Les trois premiers portent sur le dialogue envisagé dans son ensemble. H. Yunis (ch. 1) s’interroge sur sa portée générale et son destinataire: la République n’est pas seulement un traité argumentatif mais aussi un ouvrage protreptique à l’adresse du lecteur, ce qui suppose l’usage de procédés rhétoriques comme ceux que Socrate décrit et préconise pour persuader les futurs citoyens de la Callipolis de la supériorité de la justice.

La question du destinataire sera aussi abordée indirectement par D. R. Morrison et M. Miller (ch. 9 et 12). Pour D. R. Morrison, le dialogue s’adresse aux philosophes définis comme “amoureux de la sagesse”: soit pour les aider à gouverner la cité où ils seront au pouvoir en leur apportant une connaissance utile, ce qui expliquerait que le philosophe soit défini d’abord comme celui qui aime le savoir au livre 5, puis comme celui qui sait au livre 6 ; soit, dans les sociétés imparfaites, pour leur donner une raison politique d’y défendre la cause de la philosophie et de hâter ainsi la venue au pouvoir des philosophes-rois. Dans tous les cas, selon Morrison, la cité de la République serait pour Platon une utopie réalisable, même si elle est difficile à atteindre. Plus précisément, c’est d’abord la cité de cochons que Platon appellerait de ses voeux, car elle est plus unifiée que la Callipolis, qui ne serait donc par rapport à elle qu’une utopie de second rang.

Pour M. Miller, Socrate s’adresse à Glaucon et à Adimante dans l’échange rapporté, mais aussi au lecteur auquel il relate cet échange. Selon lui, ce double niveau d’énonciation laisserait au lecteur la possibilité de se faire une idée de la “voie plus longue” que Socrate annonce mais qu’il n’explicite pas à cause de l’éducation mathématique insuffisante de ses deux interlocuteurs directs. Le lecteur pourrait ainsi, selon Miller, prendre la voie de la véritable formation philosophique.

C. Rowe (ch. 2) replace la République dans l’ensemble de l’oeuvre et voit une continuité dans la réflexion politique de Platon depuis les premiers dialogues socratiques jusqu’aux Lois: la politique a toujours pour finalité l’amélioration des citoyens, et l’idée socratique que nous désirons le bien réel n’est jamais abandonnée, malgré l’introduction des parties psychiques irrationnelles au livre 4. Pour D. K. O’Connor (ch. 3), la République est la réécriture de thèmes mythologiques comme la descente aux Enfers, la remontée, le regard contemplatif, les personnages étant eux aussi des figures mythologiques transposées: Socrate tiendrait par exemple à la fois d’Ulysse et de Tirésias. La finalité principale de cette réécriture serait de faire passer les interlocuteurs de Socrate du statut d’individus singuliers à celui de figures universelles incarnant des manières de vivre différentes.

Les chapitres 4, 5 et 6 traitent principalement de la justice. Pour R. Weiss (ch. 4), l’essentiel du raisonnement que Socrate, à leur demande, présente à Glaucon et Adimante pour les persuader de la supériorité intrinsèque de la justice se trouvait déjà dans son dialogue avec Thrasymaque, où il expliquait pourquoi la justice était désirable pour l’âme et la cité à la fois en elle-même et pour ses conséquences. R. Weiss met clairement en lumière les différences et les similitudes entre Thrasymaque et Calliclès (pp. 93-99). Si toutefois Socrate n’a pas convaincu ses deux interlocuteurs directs, c’est qu’il a dû traiter avec un “voyou” et adapter sa stratégie en conséquence. La continuité est donc indéniable entre le livre 1 et la suite du dialogue, ce qui plaide en faveur de l’unité de sa composition. Ce que confirme D. Sedley (ch. 10): le passage 347b-d du livre 1 où Socrate expose les trois sortes de salaires qui attendent les trois sortes de gouvernants anticipe la tripartition de la cité.

Mais si la justice est aussi décisive sur les plans politique, éthique et psychologique, si nous en faisons, comme Socrate et ses interlocuteurs, la forme élémentaire de la moralité sociale, c’est, selon V. A. Kosman (ch. 5), parce qu’elle comporte aussi une dimension ontologique. D’abord présentée comme le paradigme de la vertu aux livres 1 et 2, elle est ensuite analysée en tant que vertu particulière au livre 4, où elle est définie comme l’exercice de sa fonction propre par un élément d’une totalité différenciée, et comme la répartition adéquate des fonctions entre chacune des parties de cette totalité. La justice apparaît donc comme une vertu normative, qui sait accorder comme il faut ce que sont les choses (leur vertu) à ce qu’elles peuvent faire (leur fonction). C’est donc un concept métaphysique ou ontologique, qui constitue le principe de la bonne division d’une totalité complexe en discriminant les bonnes différences. La notion de justice appelle donc la théorie des Formes et constitue le foyer central des autres thèmes du dialogue.

M. Schofield (ch. 6) analyse le noble mensonge pour montrer au contraire ce qui distingue l’aspect politique de la justice de son aspect métaphysique. Le noble mensonge est à la fois une infraction au principe interdisant le mensonge aux citoyens, et une infraction à l’amour des philosophes pour la vérité. Mais la portée et l’efficacité supposée de ce mensonge ne se laissent saisir qu’à condition d’être vues à leur juste place: c’est un argument destiné à garantir la hiérarchie et l’unité de la cité, et à rappeler aux philosophes qu’en tant qu’homme, ils doivent agir pour le bien de la cité. Car gouverner n’est pas bon pour les gouvernants, qui préfèreraient se livrer à la connaissance, et même le souci d’éviter le gouvernement d’hommes inférieurs n’est pas un motif suffisant pour leur faire aimer le pouvoir. Il faut donc contrer, dans leur cas aussi, le principe général des motivations humaines, qui veut que chacun ne cherche que son propre intérêt. Le noble mensonge révèle ainsi qu’il est impossible de développer une motivation pour prendre soin du tout de la cité indépendamment d’une idéologie politique holistique. Comme la Prosopopée des Lois dans le Criton, ou l’argument de la dette des philosophes envers la cité pour les faire redescendre dans la caverne, l’argument pour inciter à agir pour le bien commun ne peut venir que du discours populaire, non d’un argument métaphysique. D. Sedley (ch. 10) rejette lui aussi l’hypothèse de l’altruisme pour expliquer ce qui pousse les philosophes à accepter de gouverner alors qu’ils ne le veulent pas à proprement parler, et conclut que c’est parce qu’il serait injuste de leur part de se soustraire à la contrainte qui leur est imposée.

Les chapitres 7, 8, 13 et 14 se concentrent sur la psychologie. G. E. R. Ferrari et P. Ludwig montrent comment elle s’élabore tout au long du dialogue. Pour le premier (ch. 7), les trois parties de l’âme sont d’abord présentées comme des facultés, puis comme des forces ou des impulsions visant une certaine fin. Le livre 4 met en avant l’expérience du conflit interne pour distinguer ces parties, et montrer comment leur harmonie, grâce à l’arbitrage du logistikon, configure l’âme de l’homme juste. L’auteur propose alors de comparer la tripartition platonicienne et la seconde topique de Freud qui divise elle aussi le psychisme humain en trois instances: le Surmoi, le Moi et le Ça. Mais aux livres 8 et 9, Socrate ne se penche plus sur l’âme de l’homme juste mais plus précisément sur celle du philosophe. Sa raison, ne se contentant plus d’un rôle d’arbitre, est mue par une passion particulière, celle de la connaissance. Elle n’est alors plus un simple instrument au service de l’unité de l’âme, mais une partie à cultiver pour elle-même et dont on peut être sûr qu’elle ne gouvernera pas l’âme pour son propre profit. Le thème de la justice réapparaît donc ici indirectement.

En montrant qu’une évolution similaire traverse la République concernant eros, P. Ludwig (ch. 8) éclaire aussi le rôle du thumos. La disparité qu’on observe dans le dialogue entre un eros tyrannique qu’il faut contraindre, et un eros loué à la fin du dialogue en ce qu’il permet d’accéder aux Formes, s’explique par le fait que ce n’est pas tant eros que la philia, c’est-à-dire l’attachement à un objet propre (to oikeion) sur lequel eros se porte, que les mesures de vie imposées aux gardiens veulent briser pour rendre la vie politique vivable. Dans ce but, la République subvertirait les liens homosexuels encouragés par certains régimes, tels qu’ils sont exposés dans le Banquet: destinés à fortifier l’attachement des citoyens entre eux, à faire rempart contre la tyrannie et à ranimer l’ardeur guerrière, ils sont transférés par Socrate sur l’éducation nue en commun des hommes et des femmes, afin de déformer eros et de lui ôter la philia qui l’attache à un seul être. Dépersonnalisé, cet eros sans philia individuelle s’apparente ainsi à l’eros philosophique et pédérastique décrit par Socrate à partir de 474b, c’est-à-dire un eros sans possession. La législation sexuelle du livre 5 serait donc une préparation à l’eros philosophique, et elle correspondrait à un eros dégradé par le thumos, qui selon l’auteur, est au principe de la philia. C’est le thumos qui règle le rapport à ce qui est sien et à ce qui est étranger, et son éducation prime donc chez les gardiens en particulier. Si toutefois Socrate ne dit pas explicitement que le thumos est au principe de l’attachement à l’objet érotique, c’est parce qu’il adopte le point de vue politique sur eros, celui de Glaucon et des citoyens ordinaires qui voient en eros une force antipolitique. Apparu pour limiter les visées possessives de l’eros ordinaire, le thumos est donc nécessaire à la vie politique, mais il fait aussi obstacle pour passer à l’eros philosophique puisqu’il n’abolit pas le sentiment de possession, il ne fait qu’en rendre l’objet commun.

N. Blössner (ch. 13) prolonge l’étude du rapport entre l’âme et la cité en montrant avec une grande précision l’évolution de leur analogie structurelle au cours du dialogue, et son influence sur la conception de ces deux entités. Sa fonction étant de montrer que la justice rend heureux, l’analogie repose en partie sur des artifices rhétoriques, ce qui explique son manque de rigueur logique notamment sur le plan de la causalité. La dégénérescence des régimes aux livres 8 et 9 ne doit donc pas être lue comme une analyse politique, Platon n’employant aucun des critères classificatoires traditionnels, ni comme une philosophie de l’histoire, mais comme une critique des conceptions erronées du bonheur.

Enfin R. D. Parry (ch. 14) sonde la psychologie du tyran. Les caractères qui définissent les différents types humains aux livres 8 et 9 se développent sous l’effet d’un changement de croyances qui, à partir du type démocratique, apportent des justifications idéologiques à la libération des appétits non nécessaires. Mais chez le tyran, l’expansion de ces appétits s’accompagne d’une libération des croyances: privé de discernement, il est un fou dont les regrets éventuels ne s’expliquent que par la permanence en lui d’une raison encore capable de discerner une finalité bonne pour l’âme, mais impuissante à la rechercher.

Si la légitimité du pouvoir des philosophes se fonde sur l’appréhension des Formes et du Bien, celle-ci repose à son tour, selon D. Sedley, N. Denyer et M. Miller, sur le rôle central des mathématiques. Pour le premier (ch. 10), l’image du navire de l’Etat au livre 6 et celle de la caverne au livre 7 sont destinées à atténuer l’hétérogénéité entre la connaissance des Formes immuables et le devenir des affaires humains dont le philosophe a la charge. La caverne décrirait notre condition ordinaire en matière d’éducation et plaiderait pour une conception mathématique de la justice, qui fait défaut au prisonnier. Pour le second (ch. 11), le fait que la connaissance du Bien soit une condition d’existence et d’intelligibilité des Formes, aussi bien celles des objets artificiels que de celles des objets mathématiques, repose sur une conception téléologique du Bien.

Selon M. Miller enfin (ch. 12), les disciplines mathématiques ont certes pour but de détourner l’âme du sensible, mais aussi de retrouver ensuite la structure intelligible du sensible. La géométrie et l’harmonie font comprendre l’étape suivante, qui fait passer de ces structures mathématiques, simples images de l’intelligible, aux Formes elles-mêmes et au Bien: le mathématicien par exemple ne peut reconnaître le triangle intelligible parfait qu’à partir de ce qui manque au triangle empirique, et que s’il passe ensuite du triangle parfait à la Forme de la “triangularité”, dont la perfection suppose l’intelligence du Bien conçu comme sa cause. Ce cheminement scientifique composant la “voie la plus longue” (435c-d, 504b) procurerait une expérience du Bien. Celle-ci expliquerait que Socrate ait accepté de descendre dans la caverne non pour régner mais pour inciter ses concitoyens à l’imiter et à ordonner leur âme, tout comme lui-même imite la générosité du Bien après se l’être assimilé.

Les chapitres 15 et 16 portent sur le livre 10. J. Moss (ch. 15) en reconstitue clairement les étapes argumentatives pour élucider le rapport entre la critique des effets éthiques de la poésie imitative et l’analyse métaphysique de l’imitation, et pour lever la contradiction apparente entre le livre 10, qui condamne la poésie imitative, et le livre 3 où Socrate l’autorise quand elle représente des personnages vertueux. C’est que, pour être réaliste et persuasive, la poésie doit imiter une apparence de vertu, changeante et instable comme toutes les apparences, et qui seule procure du plaisir à la partie irrationnelle de l’âme. Le plaisir de la fiction littéraire se paye donc du risque d’une duperie éthique sur la vraie nature de la vertu qui, elle, est stable et se prête donc peu au romanesque. Enfin, S. Halliwell (ch. 16) montre que l’impossibilité de tirer une leçon unique et définitive du mythe d’Er, qui tient à sa complexité structurelle, peut être interprétée comme une invitation à relire la République pour prolonger la réflexion sur ses implications éthiques multiples, et parfois contradictoires.

Le livre comporte deux sections finales très utiles: une abondante bibliographie, par genre puis par thème, qui reprend et complète les références données à la fin de chaque chapitre ; deux index, l’un des passages et des oeuvres cités de Platon et des autres auteurs, l’autre des noms et des thèmes évoqués.

L’intérêt de l’ouvrage est de couvrir l’ensemble des grands thèmes de la République et de les aborder sous des angles différents. Il donne également de précieuses clés d’entrée dans les autres des dialogues.