BMCR 2006.10.32

La représentation du temps dans la poésie augustéenne. Zur Poetik der Zeit in augusteischer Dichtung

, , La représentation du temps dans la poésie augustéenne = Zur Poetik der Zeit in augusteischer Dichtung. Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften, n.F., 2. Reihe, Bd. 116. Heidelberg: Winter, 2005. x, 230 pages ; 25 cm.. ISBN 3825351432. €53.00.

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Ce volume, publié aux Presses Universitaires de Heidelberg par les soins attentifs de Jürgen Paul Schwindt rassemble les contributions de onze spécialistes internationaux de la poésie augustéenne. Chacun de ces articles étudie, selon des perspectives différentes mais complémentaires, un aspect de la représentaion du temps dans la poésie de l’époque impériale.

Le recueil s’ouvre sur un article de l’éditeur, Jürgen Paul Schwindt, (“Zeiten und Räume in augusteischer Dichtung”, pp. 1-18). S., aprés avoir indiqué que la recherche sur le temps chez les auteurs classiques est surtout le fait de la philosophie historique, oriente sa recherche sur l’analyse de la structure poétique du traitement du temps qui présuppose une étude détaillée de la lettre du texte. Deux thèses sont développées : d’une part la poésie de Catulle décrit un espace-temps du ‘hic et nunc’, et d’autre part, l’esthétique des Odes d’Horace, de l’ Enéide et de quelques Eglogues de Virgile, des Métamorphoses et des Lettres d’exil d’Ovide présente un espace-temps plus ouvert que celui de Catulle. Chez Catulle, selon S., une recherche de l’enfermement correspond au rétrécissement de l’espace-temps. S. analyse donc les différents modèles de fermeture qui (sur-)déterminent le discours élégiaque. S. étudie ensuite la construction spatio-temporelle chez Ovide, dans les Amours, dans les Métamorphoses et plus particulièrement celle d’Actéon 3.131-252, et dans les Fastes, 2.639-84 et 4.807-62. S. dégage une constance structurelle d’une partie de la litérature augustéenne : le concept du temps caché. Un traitement détaillé, en quatre points, est consacré à l’ Enéide de Virgile. L’examen de la poétique d’Horace, et en particulier de la mise en séquences narratives du nunc permet à S. de poursuivre sa réflexion sur la deuxième thèse exposée dans son introduction.

Philip Hardie (“Time in Lucretius and the Augustan Poets: Freedom and Innovation”, pp. 19-42) analyse la présence de certains traits qui caractérisent la représentation lucrétienne du temps chez Virgile et chez Horace. Deux thèmes étroitements liés à l’idéologie émergente à l’époque d’Auguste sont dégagés: d’une part la tension apparente entre la lenteur du progrés et le caractère inattendu de la découverte entre le connu et la nouveauté et d’autre part la possibilité de ne pas être contraint par le passé. Les Eglogues 4 et 6 montrent en effet un rapprochement, par l’intermédiaire de Lucrèce, entre la nouveauté littéraire et la nouveauté cosmologique ou historique, ce qui révèle la prétention de la nouvelle poésie à devenir la poésie d’un nouvel âge. Horace, pour sa part, a repris les modèles lucrétiens de l’histoire pour mettre en place le cadre narratif d’une histoire culturelle. Lucrèce supporte chez Horace une revendication de nouveauté et de liberté.

Jean-Christophe Jolivet (“Le monde des cyclopes, figure d’un monde archaïque”, pp. 43-70) analyse les différences entre l’aventure racontée par Ulysse aux Phéaciens au chant IX de l’ Odyssée et celle narrée par Achéménide aux Troyens, au chant III de l’ Enéide. Les écarts entre les deux traitements de ce thème mythologique sont à rechercher, selon J., dans le statut ambiguë de la cyclopie, entre merveilleux et évhémérisme, dans l’influence des commentateurs homériques et dans les interprétations allégoriques de la confrontation entre Ulysse et Polyxène.

Damien Nelis (“Patterns of Time in Vergil. The Aeneid and the Aitia of Callimachus”, pp. 71-84) étudie l’influence de Callimaque sur les manipulations du temps épique chez Virgile, et cela à la lumière des travaux les plus récents sur les Aitia de Callimaque. Après avoir brièvement présenté les principales stratégies temporelles de Virgile, N. examine les significations possibles de la connexion entre Georg. 3.46-48 et Ait. fr. 1,29-38 Pf, connexion qui est une hypothèse de travail séduisante. Selon N., Virgile aurait souhaité écrire un poème sur Auguste qui serait de style homérique, mais qui respecterait les critiques formulées par Callimaque sur la poésie épique post-homérique. L’étiologie joue par ailleurs un rôle fondamental dans l’élaboration du projet de Virgile en permettant au poète de relier le passé au présent.

Alessandro Schiesaro (“Under the Sign of Saturn: Dido’s Kulturkampf”, pp. 85-110) analyse les catégories temporelles ressenties et exprimées par Didon, selon une approche freudienne. Le rêve de Didon, au livre 4 de l’ Enéide, est le support de cette étude. Ce rêve est marqué par une confusion des catégories qui reflète, selon S., une perception du temps construite sur le désir et la peur. Le ‘tamen’ si problématique du v. 329 (si quis mihi paruulus aula luderet Aeneas, qui te tamen ore referret) serait sous-tendu par un conflit entre des sentiments opposés. La présence d’éléments de revanche inconscients, exprimés par des paradigmes mythiques, correspondrait à la détection du changement de sentiments d’Enée.

Alain Deremetz (“L’histoire du genre épique dans les catabases de Virgile, d’Ovide et de Silius Italicus”, pp. 111-22), après avoir rappelé la distinction opératoire dans la sémiologie narrative entre narration, récit et histoire d’une part, et la narration représentée dans un récit en tant qu’événement historique et esthétique d’autre part, indique que son domaine d’investigation sera consacré au deuxième point. D. choisit comme corpus les catabases racontées par Virgile, au livre VI de L’ Enéide, et par Silius Italicus, au chant XIII des Punica. Chez Silius, la guerre fut engendrée par la malédiction de Didon, son épopée s’inscrit donc dans la continuité de l’ Enéide et déploie le programme narratif que celle-ci contenait en germe. La mise en scène du serment d’Hannibal dans le tombeau d’Elyssa suggère que le livre 4 de l’ Enéide est le berceau des Punica. Cependant, à la différence de Virgile, Silius distingue la sybille apollinienne et la gardienne des morts, l’une vivante et l’autre morte au moment où se déroulent les faits racontés. Silius, par soucis de vraisemblance, semble suivre la chronologie suggérée par Ovide dans les Métamorphoses XIV 144-146 et 152-153. Par la transformation du motif virgilien de la sibylle, Silius convoque aussi Homère et Ennius.

Mario Citroni (“Orazio, Cicerone, e il tempo della letteratura”, pp. 123-40) s’intéresse aux conceptions des temps littéraires chez Cicéron et chez Horace. Cicéron, dans le Brutus, pose qu’un principe évolutif des styles existe dans tous les arts, les temps de développement étant cependant distincts entre la Grèce et Rome. Pour Cicéron, le télos de l’art oratoire lui est contemporain, il n’a pas de futur, si ce n’est une décadence causée par le déclin de la Res Publica. Le télos de la poésie serait à placer, selon l’orateur, dans le passé, mais les temps présents ne seraient cependant pas ceux de la décadence. Pour Horace, les poètes que Cicéron considérait comme le télos étaient une étape vers la maturité. Les ‘poetae novi’ doivent, selon Horace, s’imprégner de la poésie grecque pour éliminer les ‘vestigiae ruris’ encore présents dans la poésie latine. Lui-même et ses amis représenteraient la maturité.

Jacqueline Fabre-Serris (“L’élégie et les images romaines des origines: les choix de Tibulle”, pp. 141-158) confronte la poétique de Tibulle et celle de Virgile en s’appuyant plus spécifiquement sur les élégies 1.7, 2.1, 2.3 et 2.5. 1.7 est ainsi mise en parallèle avec Géorg. 4. Tibulle, à côté de la danse et des chants accorde une place à l’amour. 2.1 est une variation sur le même motif, avec en arrière plan Virgile qui a critiqué les effets de l’amour. Selon Tibulle, l’amour serait surtout une réalité urbaine, mais pas exclusivement. 2.5, où Tibulle compose sa vision de la Rome des origines rappelle également les Géorg., mais avec la présence du ‘levis amor’. Tout en poursuivant l’exploration des thèmes virgiliens, Tibulle construit en fait une poétique qui n’exclue pas les développements personnels et le goût pour la thématique élégiaque de l’amour.

Gianpiero Rosati, (“Dinamiche temporali nelle Heroides“, pp. 159-76) rappelle que dans la littérature amoureuse la distance, que devrait compenser le caractère informel d’une lettre, est thématisée en souffrance définie comme objet de son analyse. La forme épistolaire s’articule sur trois registres temporels: le présent de l’écriture, le temps des événements racontés et le temps de la lecture d’un lecteur intra ou extra diégétique. L’ironie dramatique est, selon R., l’instrument qui permet à Ovide de raconter dans les Héroides un futur connu de tous les lecteurs extradiégétiques. Cette ironie est cependant compliquée par l’intertextualité.

Mario Labate (“Tempo delle origini e tempo della storia in Ovidio”, pp. 177-202) rappelle en préambule que la dialectique présent-passé détermine les caractéristiques les plus profondes de la poésie augustéenne. Les Fastes d’Ovide présentent un retour sur les temps les plus anciens dans le cadre de la quête d’identité d’une romanité fondée sur l’histoire. L. étudie dans sa contribution quelques aspects des rapports complexes entretenus par Ovide dans les Fastes avec Hésiode et plus particulièrement avec la Théogonie. Les Fastes s’ouvrent en effet avec le thème cosmogonique et théogonique de Janus, ‘deorum deus’. De fait, l’ Ars et les Métamorphoses proposent aussi deux interprétations du thème cosmogonique. Ces cosmogonies élaborées sans rigueur doctrinaire empruntent leurs traits constitutifs à diverses traditions philosophiques. Le poète philologue modèle un monde qui présuppose, selon L., la Théogonie d’Hésiode.

Stephen Hinds (“Dislocations of Ovidian Time”, pp. 203-230) développe deux axes de recherche. Il étudie en effet les références au temps calendaire hors des Fastes et il analyse les fonctionnements et les dysfonctionnements des systèmes de comptabilité du temps dans les oeuvres tardives d’Ovide et plus particulièrement dans les Tristes et dans les Pontiques.

Ce volume, dont la densité et la profondeur des analyses sont difficiles à résumer, est une contribution de première importance à l’étude de la poésie augustéenne. Il est une lecture indispensable non seulement pour les spécialistes de la poésie latine, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à la poésie hellénistique.

CONTENTS

Jürgen Paul Schwindt, Zeiten und Räume in augusteischer Dichtung

Philip Hardie, Time in Lucretius and the Augustan Poets: Freedom and Innovation

Jean-Christophe Jolivet, Le monde des cyclopes, figure d’un monde archaïque

Damien Nelis, Patterns of Time in Vergil. The Aeneid and the Aitia of Callimachus

Alessandro Schiesaro, Under the Sign of Saturn: Dido’s Kulturkampf

Alain Deremetz, L’histoire du genre épique dans les catabases de Virgile, d’Ovide et de Silius Italicus

Mario Citroni, Orazio, Cicerone, e il tempo della letteratura

Jacqueline Fabre-Serris, L’élégie et les images romaines des origines: les choix de Tibulle

Gianpiero Rosati, Dinamiche temporali nelle Heroides

Mario Labate, Tempo delle origini e tempo della storia in Ovidio

Stephen Hinds, Dislocations of Ovidian Time.