BMCR 2006.09.20

Response: Pirenne-Delforge on Delattre on V. Dasen, Jumeaux, Jumelles dans l’Antiquité grecque et romaine

Response to 2006.08.07

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J’aimerais réagir au compte rendu que Charles Delattre (ChD) a donné du livre de Véronique Dasen (VD) sur la gémellité. Une telle réponse n’est pas dans mes habitudes, que ce soit pour des comptes rendus qui me concernent et, a fortiori, lorsqu’ils ne me concernent pas directement. Si ce compte rendu avait été publié dans une revue sous forme imprimée, je n’aurais sans doute pas réagi. Mais la Bryn Mawr Classical Review est devenue un lieu de grande publicité pour les travaux sur l’antiquité. Cette publicité qui est facilement accessible s’attache obstinément à vous et pour longtemps! Cette réponse se veut donc une sorte de “contrepoids” à la vision que ChD a donnée de ce livre.

Cet ouvrage est effectivement une thèse, mais une thèse d’habilitation. La thèse de doctorat de VD a été publiée il y a 15 ans et c’est le livre sur le nanisme dont il est question dans le compte rendu.1 L’ouvrage sur la gémellité, qui est un livre de maturité, tente de tenir un pari difficile. Tout d’abord, par la pratique de l’interdisciplinarité, VD compare la logique à l’oeuvre dans différents niveaux de pensée et de représentation (médecine, mythologie, iconographie), afin de tenter de saisir des fragments de la vie des jumeaux bien réels d’autrefois, des silhouettes insaisissables si l’on ne confronte pas des sources de nature différente. C’est la raison pour laquelle ce livre s’ouvre sur la partie médicale: il n’est pas encore entré dans les usages de considérer les textes médicaux comme des sources pour l’histoire culturelle,2 mais il s’agit de précieuses clés de lecture, encore insuffisamment exploitées, dont le livre démontre la valeur. Spécialiste de l’histoire du corps et de la médecine antique,3 VD s’attache avant tout aux jumeaux biologiques et c’est tout naturellement par leur définition chez les médecins et biologistes grecs que le livre s’ouvre. En outre, contrairement à ce que ChD laisse entendre, VD est très consciente de la nature différente de ses sources et elle les analyse avec la pertinence requise par ses interrogations particulières. Faut-il lourdement s’appesantir sur la construction littéraire de l’Anthologie palatine pour ne pas craindre d’être accusée de l’ignorer? Il est en outre injuste, voire insultant, d’affirmer que les images ne sont pas contextualisées. C’est l’une des grandes qualités de l’ouvrage d’offrir une riche iconographie soigneusement sélectionnée par VD, dûment datée et contextualisée pour former des séries dont les articulations sont bien posées. Quand on sait l’investissement qu’implique une iconographie aussi riche, il est malvenu de la regarder de la sorte puisque toutes les règles du traitement de ce type de source sont respectées.

Fondamentalement, ce compte rendu repose sur un malentendu. VD n’a jamais affiché l’ambition de fournir une étude du thème mythique de la gémellité, en soi. Elle le souligne vigoureusement dans son introduction. Or c’est manifestement ce qu’attendait son recenseur. Pour avoir d faire le même exercice que ChD sur le livre de VD (Kernos 19, 2006, p. 483-484), je suis très consciente que le lecteur habitué aux débats sur ‘le’ mythe — surtout en France — restera parfois sur sa faim devant des analyses qui restent très descriptives et des choix que l’on ne partage pas forcément. Mais est-ce une raison pour jeter ainsi l’opprobre sur une démarche différente, dont le but premier n’est pas une analyse de mythes? Quant aux remarques sur les index, il ne faut jamais oublier que, là aussi, les choix sont multiples et que chacun aura un avis différent sur la manière de mener cette ingrate entreprise.

En conclusion, on peut considérer qu’il y aurait d’autres faons d’aborder le thème des jumeaux et VD nous invite elle-même à le faire. Ses choix, parfaitement cohérents, en valent bien d’autres. En tant que lectrice interessée par les mythes, je trouve là une matière abondante, à laquelle j’ai souvent envie de poser d’autres questions que VD, mais n’est-ce pas le signe que l’interdisciplinarité prônée par ce livre est pleine de promesses et jette des ponts entre des méthodes d’approche diverses et complémentaires?

Notes

1. Dwarfs in Ancient Egypt and Greece, Oxford, Oxford University Press, 1993, 384 p., et traduite en arabe par Ahmad Hilal Yassine, Le Caire, Dar el-Sharqiyat, 2004, 478 p.

2. Par exemple, Helen King, Hippocrates’ Woman. Reading the Female Body in Ancient Greece, London and New York, Routledge, 1998.

3. Entre autres: V. Dasen (ed.), Naissance et petite enfance dans l’Antiquité. Actes du colloque de Fribourg 28 novembre – 1er décembre 2001, coll. Orbis Biblicus et Orientalis, no. 203, Academic Press, Fribourg, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2004. Pp. 417. Voir aussi la collection des Cahiers d’histoire du corps antique récemment créée aux Presses Universitaires de Rennes en collaboration avec VD.