BMCR 2006.05.44

The Archaeology of Disease. Third edition

, , The archaeology of disease. Ithaca: Cornell University Press, 2005. x, 338 pages : illustrations ; 25 cm. ISBN 080144232X. $39.95.

Exactement dix ans après la deuxième édition de leur ouvrage, les auteurs présentent une troisième version pleinement enrichie et incluant notamment les dernières méthodes éprouvées dans le domaine de la paléopathologie.

L’intérêt majeur de ce livre a été largement démontré depuis longtemps (voir en particulier le compte rendu de L.J. Bliquez) et il serait hors de propos de faire ici une recension redondante. On s’attachera donc davantage à signaler les nouveautés et les ajouts et à en démontrer la pertinence chapitre par chapitre. De manière générale, on appréciera la bibliographie entièrement refondue et mise à jour (51 pages au lieu de 28 dans la précédente édition) dont les ultimes références datent de 2005. Les photos et les tableaux sont très nombreux et viennent confirmer clairement chaque point de vue. Il aurait été toutefois plus juste d’indiquer systématiquement le crédit photographique sous chaque photo plutt que d’en donner une longue liste imprécise au début des remerciements ou de dire que la plupart des photos non légendées sont d’un seul auteur : il est parfois impossible aux lecteurs de connatre l’origine exacte d’une photo (et donc de l’objet en question).

Dès le chapitre 1 et l’introduction, les auteurs donnent la définition de la paléopathologie telle qu’elle se dégageait de leur précédente édition, en soulignant le caractère indispensable de la multidisciplinarité et les interactions entre les sources d’étude primaires, les squelettes et restes momifiés, et les sources d’étude secondaires, qui incluent aussi les données artistiques de la période concernée : l’exemple de la lèpre développé ensuite montre cependant tous les dangers qu’il y a à surinterpréter telle information iconographique et combien les sources peuvent être lacunaires ou déformées. L’exemple est d’autant plus pertinent que les auteurs ont publié un ouvrage sur cette maladie en 2002 (voir dans la bibliographie en fin de volume).

A la fin du chapitre 1, sont abordés désormais différents thèmes tels que les migrations, le climat, le régime alimentaire et économique, l’environnement ou encore les modes thérapeutiques : ce sont autant de facteurs à prendre en ligne de compte pour expliquer les variations ou au contraire la pérennité des maladies au fil des siècles, ainsi que leur impact général sur le physique et la santé.

Le chapitre 2 conserve sa structure originale en insistant sur les conséquences de l’âge, du sexe, mais aussi du statut social et de l’identité ethnique sur l’apparition des affections. Ces deux dernières données résultent de travaux récents mais il peut être dangereux de pousser trop loin la relation maladiéethnie. Les auteurs résument prudemment les thèses lexicales opposant les diverses écoles linguistiques et anthropologiques à propos du terme-même de race mais ne donnent sans doute pas assez d’exemples probants ensuite pour qu’on puisse adhérer entièrement à la théorie de l’ethnie déterminante de maladies. Certes, il est aisé de montrer que certaines populations ont des maladies plus récurrentes que d’autres mais il faut sans doute remettre chaque cas en perspective et replacer plus fermement ces populations dans le contexte “bioculturel” évoqué au chapitre précédent. On aurait donc aimé une argumentation plus développée dans ce domaine.

Viennent ensuite les chapitres sur les différentes affections comme ils se présentaient dans la deuxième édition. Les nombreuses sous-sections tout comme les principaux axes ont des titres remaniés mais suivent en général l’ordre de la précédente version.

Le chapitre 3 consacré aux affections congénitales regroupe ainsi de façon plus fonctionnelle ce qui relève de l’ appendicular skeleton, de l’ axial skeleton et de l’ axial and appendicular skeleton ensemble. Dans les causes des déficiences du développement p. 47, on est toutefois surpris par la juxtaposition soudaine d’assertions sur l’usage des plantes dans l’Antiquité et sur leurs possibles effets sur le foetus, avec des exemples tirés des travaux sur les gaz employés lors de la guerre du Vietnam. Certes, il est facile d’établir des parallèles entre autant de domaines et d’époques qu’on le souhaite et c’est la grande qualité de cet ouvrage d’avoir voulu englober le maximum de données sans se cantonner à une seule époque. Mais certaines réflexions font parfois une part trop grande aux exemples livrés à la suite les uns des autres sans qu’on perçoive parfaitement l’intérêt d’une telle succession. Les lecteurs antiquisants auront par ailleurs de la peine à comprendre les références à l’Antiquité qui est présentée comme unique en de nombreux endroits du livre. On sait qu’il est difficile de poser un seul postulat pour parler de la Grèce, de Rome ou encore de la Syrie antiques et la paléopathologie ne doit pas échapper à cette règle. Pour chaque affection décrite, la mise à jour de la bibliographie incluse dans le texte, ainsi que la nouveauté de nombreux exemples est un fait appréciable.

Tandis que le chapitre 4 consacré aux affections dentaires ne présente que d’infimes variantes (souvent bibliographiques) avec la deuxième édition, les quatre chapitres suivants sont remaniés et considérablement enrichis par de nouvelles études de cas.

Dans le chapitre intitulé “Trauma,” une série de tableaux résume utilement les recherches menées depuis plus de dix ans sur les fractures des populations, tous pays confondus, de l’époque médiévale à l’époque contemporaine. Les conclusions que les auteurs en tirent nous éclairent sur les écarts existants entre les anciens modes de fonctionnement et leurs affections et les modes de vie et maladies contemporains. Ainsi, les fractures du col du fémur et du tibia étaient peu fréquentes au Moyen Age pour la simple raison qu’elles sont dues aujourd’hui à l’ostéoporose et aux accidents de la route, deux éléments qui n’existaient pas il y a six siècles. Certes, il faut relativiser ces statistiques élaborées sur des squelettes conservés de manière aléatoire et ne pas oublier que certains sujets d’étude n’avaient pas tous leurs os préservés : les auteurs soulignent bien par exemple que la pauvreté en pourcentage de fractures des mains et des pieds s’explique surtout par la faible survivance de ces parties du corps dans un contexte archéologique. A la fin du chapitre, une nouvelle section regroupe sous le titre de “‘Domestic’ violence,” tous les cas de traumatismes dus aux infanticides, viols d’enfants ou encore les faits de cannibalisme.

Le chapitre 6 montre que les nouvelles techniques scientifiques d’investigation appliquées à la paléopathologie apportent une quantité de renseignements importants pour l’interprétation des données archéologiques : les analyses biomécaniques comme la tomographie, la mesure des propriétés géométriques ou les récentes études de la taille de certains types d’os permettent de dégager des constantes sur les activités humaines (travaux avec charges lourdes à porter par ex.). P. 146, les auteurs consacrent un intéressant développement aux travaux menés sur les maladies des insertions ligamentaires, les enthésophytes, définies comme “these musculo-skeletal markers of stress at tendon and ligament insertions,” en soulignant que les résultats des analyses sont délicats à interpréter pour l’instant. Ce type de recherche est néanmoins appelé à se multiplier pour les données archéologiques. Pour les antiquisants, le passage dédié à la goutte arthritique souligne l’écart existant entre les sources littéraires qui abondent sur le sujet (avec le corpus hippocratique notamment) et la réalité paléopathologique : peu de cas ont été recensés dans les trouvailles archéologiques “antiques”, et c’est en Grande-Bretagne à l’époque romaine qu’on note le plus d’occurrences marquantes de cette affection.

La longue introduction du chapitre 7 consacré aux infections livre une réflexion clinique mêlée à une analyse historique et emprunte des exemples à l’actualité récente, comme avec le SARS en Chine en 2003. Le maintien dans cette troisième édition des deux grands axes “Non-specific infections” et “Specific infections” s’enrichit de nouveaux exemples et cas infectieux. Dans le premier groupe, les marqueurs bactériens des maladies ne peuvent être clairement distingués et les auteurs signalent par exemple les limites des études radiologiques pour diagnostiquer les différences entre ostéomyélite et ostéite. Dans le second groupe, les causes de l’infection sont bien déterminées et la tuberculose et la lèpre sont les deux plus connues. On appréciera, p. 187 sq., le commentaire sur la présence antique de la tuberculose appuyé par des parallèles contemporains très probants dans ce cas précis. La pathologie de la lèpre qui avait déjà fait l’objet d’un développement particulier dans la précédente édition, est encore amendée par de nouvelles références bibliographiques.

Le chapitre 8 sur les affections métaboliques et endocriniennes et le chapitre 9 sur les affections tumorales néoplastiques reprennent essentiellement les sections déjà commentées en 1995 avec là aussi, des exemples nouveaux et notamment une discussion sur les relations évidentes entre le régime alimentaire et les affections. A l’avenir, selon les auteurs, en examinant plus attentivement dans les contextes archéologiques les restes alimentaires et les modes de consommation de la nourriture, on parviendra à une compréhension plus nette de certains troubles métaboliques. Il s’agit là d’un raisonnement novateur qui est sans doute voué à un grand essor.

Enfin, à l’instar de la précédente édition, les auteurs terminent l’ouvrage par un chapitre essentiel, intitulé “Conclusions : the next ten years.” Ce long résumé des avancées en paléopathologie depuis 1995 pose un certain nombre de conclusions fondamentales tout en soulignant encore les limites de plusieurs domaines. En effet, si les techniques d’investigation (microscopie, radiologie, analyses biochimiques et biomoléculaires) pour déterminer les causes d’affections sur les squelettes humains se sont perfectionnées, il reste à systématiser désormais les bases de données paléopathologiques qui permettront des comparaisons pertinentes, tous siècles et tous pays confondus. Beaucoup de travaux en ce sens sont en cours depuis une décennie tout comme les recherches sur des affections particulières. Les auteurs terminent l’ouvrage en écrivant “Palaeopathology has an excellent future, backed up by a solid base of research that is increasing by the day.”

On sort de la lecture de ce livre indispensable en étant effectivement convaincu de l’apport considérable de la paléopathologie pour la compréhension des mentalités et des comportements des anciennes sociétés.