BMCR 2006.02.37

Workshop di archeologia classica. Paesaggi, costruzioni, reperti. Annuario internazionale. 1 (2004)

, , Workshop di archeologia classica. Paesaggi, costruzioni, reperti. Annuario internazionale. 1 (2004). Pisa/Roma: Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali, 2004. 214. €80.00 (subscription, Italy, institutions, paperback with online edition).

A WAC is born. Depuis que le groupe multimédia Accademia Internazionale (Pise-Rome) a réuni les activités de quatre éditeurs scientifiques différents, il se trouve à la tête de non moins de 150 séries et de quelque 90 journaux scientifiques dont 16 ont paru, pour la première fois, en 2004. Quatre d’entre eux intéressent directement l’archéologie classique: Agri centuriati, Archeologia marittima mediterranea, Sicilia antiqua, et ce Workshop di archeologia classica, également accessible sur le web.

On ne peut que se réjouir de voir ainsi couronnés les efforts de rationnalisation d’un paysage éditorial touffu à l’extrême, et de la mise en commun de moyens plus que jamais nécessaires, aujourd’hui, à la survie menacée de ce type d’entreprise. Format, typographie, papier ivoire et illustration de qualité, soigneusement intégrée au texte, sont les points communs et, pour ainsi dire, la marque de fabrique de ces nouvelles publications, qui sont ainsi immédiatement reconnaissables sous leurs différentes vestes.

Gageons que le titre de ce nouveau journal en agacera plus d’un: était-il véritablement nécessaire de célébrer les noces de l’anglais workshop avec l’italien archeologia classica, fût-ce pour souligner le caractère international, et trendy, de l’entreprise ? Le débat est loin d’être essentiel, et l’on aurait tort de s’arrêter à cette première impression — même si l’on peut se demander s’il n’y a pas une contradiction implicite entre l’idée même d’un workshop, l’arrière-boutique encombrée de la production artisanale ou artistique et, métaphoriquement, intellectuelle ou scientifique, et la forme nécessairement figée d’un ouvrage sur (beau) papier, ou d’une publication en ligne qui n’autorise pas l’échange à la différence, par exemple, du BMCR. Ce dernier offre un bon exemple de véritable workshop, grâce à sa formule qui permet de discuter avec rapidité sur un thème donné et, le cas échéant, d’instaurer un dialogue direct entre l’auteur d’un ouvrage et celui de son compte rendu; l’étape suivante devrait être l’intervention directe, dans ces débats, des usagers du site.

La préface rédigée par Andrea Carandini et Emanuele Greco (p. 9-16) fixe les objectifs de l’entreprise — dont il n’est pas sûr, dans sa version papier, qu’elle sera pleinement servie par le format réduit du volume et par l’absence d’illustrations en couleurs. Lieu de pratique concrète d’une archéologie classique (incluant “anche l’archeologia etrusco-talica”) renouvelée (en opposition à “qualche vecchio umanista”), soucieuse d’aborder les contextes dans une perspective globale, des plus petits (les reperti) aux plus grands (les paesaggi), la revue se positionne d’emblée au coeur d’échanges interdisciplinaires, particulièrement en direction de l’ethnologie et de l’histoire des religions, et devrait s’ouvrir aux approches et aux intérêts les plus variés, à différents niveaux de spécialisation. L’appel, à vrai dire aujourd’hui un peu convenu, à lutter contre les “universi mentali polverosi, vetusti, serrati” de l’archéologie classique traditionnelle sera certainement entendu — d’autant que personne n’acceptera volontiers de se reconnaître dans le miroir que nous tendent ainsi les préfaciers du volume. Que tal ?

Force est de reconnaître que la première livraison de la revue ne reflète pas, loin s’en faut, son caractère international (presque tous les auteurs sont italiens), et sa volonté d’ouverture pluridisciplinaire (presque tous les articles portent sur des questions de topographie, traitées selon une approche fondamentalement classique). Si celle-ci doit un jour comporter aussi des textes brefs, “note, discussioni, recensioni e relative risposte”, ce premier volume, consacré aux trois-quarts à la topographie romaine, se compose de dix articles dont les deux derniers, plus historiographiques ou politiques (au bon sens du terme) que scientifiques, sont classés à part dans une partie intitulée Discussioni. Chacun d’entre eux est précédé par un résumé, en italien et en anglais.

Les deux premiers articles (p. 17-59) sont consacrés à la topographie d’Athènes, dont A. Carandini souligne, un peu plus loin (p. 63), qu’elle est aujourd’hui devenue un point de comparaison incontournable pour l’étude de celle de Rome — un aspect qui ne ressort pas avec évidence de la mise en parallèle effectuée ici, autour de l’agora. Celui de M. C. Monaco comporte deux volets distincts: après avoir rassemblé toutes les pièces du dossier relatif à l’ hipparcheion, qu’elle propose de localiser sur le côté nord de l’agora, l’auteur s’attache à préciser, grâce à de nouvelles données de fouilles, le parcours de l’aqueduc de Cimon. R. De Cesare, pour sa part, reprend l’étude de la tholos de l’agora (quelques illustrations n’auraient pas été superflues) qu’il date, sur la base de l’étude de la céramique, entre 470 et 460 av. J.-C., et qu’il interprète comme une reproduction de la Skias construite à Sparte par Théodore de Samos.

La partie consacrée au “projet de la première Rome”, porté par A. Carandini, occupe les p.61-161. Alimenté par le résultat des fouilles, nombreuses et passionnantes, menées au cours de ces dernières années, elle s’intéresse au Palatin et à la partie est du Forum, tandis qu’un deuxième volet, publié dans cette même revue, devrait élargir l’enquête au reste du Forum et au Capitole. Le premier Quaderno de la revue, une monographie consacrée par A. Carandini à la topographie du Palatin, de la Velia et de la Sacra via, forme, en quelque sorte, le troisième volet du triptyque.

Six articles composent ce dossier:

1. C. Panella et S. Zeggio (p. 65-87) présentent les résultats préliminaires de la campagne de fouilles menée en 2003 dans la vallée du Colisée et sur les pentes nord-est du Palatin, une zone d’une importance topographique tout à fait fondamentale, et sur laquelle les fouilles récentes, notamment dans le secteur de la meta Sudans, apportent un éclairage tout à fait inédit.

2. D. Filippi (p. 89-100) propose une hypothèse de restitution du paysage des pentes septentrionales du Palatin aux VIII e – VII e siècles, et une étude du rapport entre le tracé supposé de l’enceinte et l’emplacement du sanctuaire de Vesta.

3. Dans une seconde contribution, ce même auteur (p. 102-121) publie les premières données relatives à l’histoire complexe des restes qu’elle identifie, avec l’équipe qu’elle représente, comme ceux de la domus Regia; non moins de douze phases, datables entre le milieu du VIII e siècle et l’époque julio-claudienne, y ont été distinguées, dont l’auteur se limite ici à présenter les trois premières (jusqu’au milieu du VII e siècle).

4. C. Cupitò (p. 123-134) retrace l’histoire de la partie centrale du sanctuaire de Vesta entre le milieu du VIII e siècle et 64 ap. J.-C.

5. P. Carafa (p. 135-143) réexamine, à partir d’anciennes publications, la question de la chronologie du mobilier céramique découvert dans un puits de l’ aedes Vestae et dans le remplissage du vicus Vestae.

6. N. Arvanitis, enfin (p. 145-153), étudie les différentes phases du secteur de la maison des Vestales, entre le dernier quart du VIIIe siècle et le premier édifice pour lequel on puisse proposer une planimétrie restituée, construit vers 530.

De ces contributions, celles de D. Filippi, de C. Cupitò et de N. Arvanitis sortent manifestement du même moule, et procèdent d’une conception de l’archéologie classique analogue, intégrant fouille, étude et publication, directement inspirée par A. Carandini et par son édition des vestiges interprétés comme ceux de quatre domus à atrium sur les pentes septentrionales du Palatin. Quel que soit le soin manifestement apporté à la fouille et à l’étude des vestiges mis au jour, tous ces textes présentent pour point comun d’admettre et de présenter comme vérités intangibles des hypothèses antérieures relatives à cette zone (figées planimétriquement dans les restitutions de ce secteur aux p. 90-91, 99 et 102), et de s’attacher à construire, sur des fondations souvent très fragiles, un nouveau château d’hypothèses. Rien de plus légitime, peut-être, dans le cadre d’une démarche heuristique appliquée à l’archéologie, mais une étape déontologiquement délicate à franchir l’est, apparemment sans états d’âme, avec les plans qui figurent les structures selon trois niveaux de convention graphique distincts, les murs “existants”, “probables” ou “hypothétiques”: la distinction manifestement controuvée entre ces deux dernières catégories permet de recréer, à partir de très pauvres restes, des ensembles cohérents qui n’illustrent, le plus souvent, que ce qu’a bien voulu en faire leur éditeur; “l’eliminazione di dettagli di pura fantasia”, évoquée p.14, aurait pu avec efficace s’appliquer à plusieurs de ces restitutions. Le résultat est d’autant plus embarassant que la qualité de l’impression ne permet pas toujours, du moins à un lecteur doté d’une vue normale, de distinguer le “probable” de l'”existant” (p. 104 et 106) — et pas seulement parce que la présence de ce dernier est, le plus souvent, extrêmement discrète. Qu’il soit important de faire comprendre au grand public et aux décideurs, quitte à forcer un peu la réalité, l’intérêt de vestiges en eux-mêmes peu explicites, on peut l’admettre d’autant plus facilement que cet effort de communication est aujourd’hui devenu vital, compte tenu du désengagement progressif des acteurs institutionnels, pour assurer le financement des fouilles. Mais cette démarche n’a évidemment plus sa place au sein d’un workshop destiné à un public d’ addetti ai lavori.

Ce procédé, qui s’expose à figurer un jour dans quelque manuel d'”archeological fallacies”, dans la lignée de l’ouvrage consacré naguère par David Hackett Fischer aux “historians’ fallacies”, est d’autant plus dommageable que ceux qui l’appliquent ainsi ont certainement fait auparavant la démarche de recueillir, de la manière la plus scrupuleuse, les données de fouille. S’il devait être admis et entrer dans la norme, il reviendrait au courant qui en assure la propagation la destinée singulière, après avoir construit de toutes pièces les locomotives, parfaitement adaptées à leur objet, d’un nouveau savoir archéologique, de les avoir lancées à toute allure sur des rails en mou de veau, ces “railroad tracks made of calves’ lights” imaginés par Raymond Roussel, dans ses Impressions d’Afrique, pour les festivités données au jour du sacre de l’empereur du Ponukélé.

Le volume se referme sur deux articles de Discussioni : le premier, d’E. La Rocca (p.165-195), illustré de figures pertinentes et peu connues, revient sur la politique archéologique menée dans le centre historique (notamment sur l’année jubilaire et sur le dossier épineux des Forums impériaux), ainsi que sur les modifications du paysage urbain de la Ville; le second, de R. Francovich (p. 197-205), sur la politique de tutelle et de gestion du patrimoine archéologique italien, et sur les conflits de compétence qu’elle suscite entre instances régionales et nationales.

Si l’on peut éprouver des réserves ou des désaccords, de surface ou de fond, avec telle ou telle des contributions qu’elle rassemble, cette première livraison du WAC présente donc une richesse d’informations et de données, souvent relatives à des fouilles très récentes, et publiées ici pour la première fois, qui en font d’ores et déjà une publication potentiellement importante dans le champ de l’archéologie classique. Même si ce premier volume ne reflète pas encore complètement les ambitions affichées par sa préface, cette revue, à condition qu’elle parvienne à surmonter les campanilismes et à bannir la dérive vers une archéologie du spectacle, a tous les atouts pour devenir un élément familier du panorama archéologique au cours de ces prochaines années — une de ces publications que les lecteurs se disputent âprement le jour où elles apparaissent, pour la première fois, sur les présentoirs des bibliothèques.