BMCR 2025.06.07

Jules César, construction d’une image de l’Antiquité à nos jours. Actes du colloque, Besançon 20 et 21 octobre 2022

, , Jules César, construction d’une image de l’Antiquité à nos jours. Actes du colloque, Besançon 20 et 21 octobre 2022. Institut des sciences et techniques de l'Antiquité (ISTA). Besançon: Presses universitaires de Franche-Comté, 2024. Pp. 250. ISBN 9782385491000.

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L’ouvrage ici recensé est le fruit d’un colloque qui s’est tenu à Besançon en 2022. Aux communications qui y furent prononcées s’ajoute une série de contributions baptisées “focus”, lesquelles abordent avec concision des points plus spécifiques. Après une introduction des directeurs du volume proposant une utile mise au point bibliographique et une enquête sur l’usage publicitaire de César en France, le volume se déploie en trois chapitres de taille inégale: 1) le premier et le plus long, de type diachronique, retrace la fortune de César de l’Antiquité à nos jours; 2) le deuxième envisage, de façon plus synchronique, l’image de César dans la culture de masse d’aujourd’hui, principalement en France; 3) le troisième est intitulé “César et les Gaulois: une image croisée France/Belgique.”

  1. César, de l’Antiquité aux années 1960

Nicolas Ben Mustapha et Thomas Guard s’attachent à “La figure de César dans l’Antiquité.” En treize pages, il est difficile de faire preuve d’originalité ou de profondeur sur un tel sujet, mais les auteurs ont le mérite de dégager les caractéristiques essentielles (le général, l’orateur, le fauteur de guerres…); il reste dommage que de nombreuses citations ne soient que partiellement traduites et que subsistent des erreurs de fait (ainsi p. 24, Plutarque et Suétone sont présentés comme des sénateurs) ou des simplifications (p. 26: “Suétone et Plutarque s’inscrivent tous deux dans la perspective du culte aux grands hommes”). En contrepoint, Maxime Cambreling propose un focus sur les monnaies de César entre 49 et 45; dans cet intéressant exposé, certaines affirmations, ainsi qu’il est naturel, peuvent prêter à discussion, comme celle-ci, à propos du passage de Suétone évoquant les efforts de César pour dissimuler son manque de cheveux: “Cette calvitie associée à cette couronne ne peuvent que nous rendre ce portrait touchant et humaniser le dictateur” (p. 38).

Bernard Ribémont se penche avec clarté et précision sur “La figure de Jules César dans la littérature médiévale”: d’abord évoqué de façon limitée à la faveur d’une comparaison, d’un exemple ou d’une anecdote, il incarne la figure d’un homme puissant, riche et bâtisseur; puis, à partir du XIIIe siècle et de la publication de l’Histoire ancienne jusqu’à César de Wauchier de Denain et surtout des Faits des Romains, l’image de l’imperator s’étoffe dans deux directions: négativement à travers la littérature didactique qui lui reproche sa cupidité; positivement, chez Guillaume de Machaut et d’autres poètes, notamment quand il intègre une liste canonique de neuf preux de l’Ancien Testament, de l’Antiquité et du Moyen Âge. Dans un bref focus, Graziella Pastore revient sur quelques représentations figurées médiévales de scènes-clefs de sa vie et de sa mort, son assassinat constituant un sujet particulièrement fréquent.

Rudy Chaulet consacre un article d’une trentaine de pages à la réception de César du XVIe au XVIIIe siècle, aussi bien en littérature que dans les arts figurés. L’ampleur de la matière en rend le résumé difficile, mais l’auteur distingue judicieusement trois aspects: le livre (nombre d’éditions et de traductions des œuvres de César ou se rapportant à lui, diffusion de celles-ci); les représentations figurées et littéraires; le statut de modèle politique (pour Charles Quint, Henri IV ou, à un niveau plus subalterne, Monluc et les conquistadors) et littéraire; sa fonction d’anti-modèle est également explorée. Le remarquable focus de Anna Eleanor Signorini se fixe un cadre d’étude plus restreint, à savoir les tableaux néoclassiques figurant Jules César en présence d’une statue: celle d’Alexandre à Gadès, devant laquelle il versa tant de larmes, ou celle de Pompée, au pied de laquelle il succombe (écho, en un sens, du cadavre décapité, marmoréen et statufié de Magnus en Égypte dans une œuvre de M. Rossi), sans compter celles qui le représentent et que Cléopâtre désigne à Octavien pour tenter vainement de l’adoucir. Nombre de ces toiles ont pour propos d’exalter un régime (la République, dans le célèbre tableau de Gérôme) ou un monarque (Wilhelmine Hohenzolern, dans un tableau de Batoni).

Fabien Bièvre-Perrin continue de dérouler avec subtilité le fil chronologique et aborde la réception de César de 1792 aux années 1950: le césarisme du Premier et du Second Empire est largement évoqué, ainsi que la glorification de Vercingétorix qui en est pour partie une conséquence apparemment paradoxale; l’influence sur le fascisme est également traitée, l’article se concluant sur un thème plus léger, celui de l’adaptation de César sur les planches et au cinéma. Deux focus suivent: Emma Sutcliffe rappelle les critiques qui ont été adressées au César du tableau de Gérôme, méconnaissable et comparé par ses détracteurs à “un paquet de linge sale”; le peintre était pourtant fidèle aux récits antiques décrivant la dépouille du grand homme abandonnée dans la curie et dont la tête était enveloppée dans la toge. Eugène Warmenbol montre que dans Astérix César est un personnage comique, mais assez digne et qui sait se montrer beau joueur.

  1. César aujourd’hui

Gaëlle Perrot s’interroge sur la façon dont César chef de guerre est perçu dans la culture populaire: musculeux ou, du moins, athlétique, il possède une rigueur vestimentaire et militaire qui force le respect et se révèle le garant de la cohésion de ses troupes.

Julien Olivier appréhende des aspects plus intimes: on représente généralement César comme un homme d’âge mûr plutôt sévère, mais il arrive que soient mis en avant sa jeunesse et, dans un but satirique, son côté précieux voire efféminé, même si c’est rarement en rapport avec la relation, scandaleuse aux yeux de ses opposants antiques, qu’il entretint avec Nicomède IV. Dans sa liaison avec Cléopâtre, l’auteur remarque que César est le plus souvent à la traîne de la femme qu’il a séduite et détecte avec sagacité que récemment, on attribue à Jules César des éléments que la tradition antique associait à Marc-Antoine, dont la figure tend à se diluer dans celle de son imperator.

Thomas Guard examine avec acuité la perception actuelle de Brutus: si le césaricide avait été plutôt admiré par les Anciens, son nom est aujourd’hui souvent associé à la violence et à la bêtise, parfois de façon burlesque, notamment dans les bandes dessinées d’Astérix; s’y ajoutent, par exemple dans les dessins de presse, la perfidie et l’ingratitude, puisque désormais dans la culture commune Brutus passe pour être le fils adoptif de César.

Claire Mercier traite de façon synthétique un thème qui affleurait dans plusieurs contributions: l’exploitation comique de César, dans la publicité et la fiction.

  1. César et les Gaulois: une vision croisée France/Belgique

Mathilde Le Piolot-Ville constate qu’en Bourgogne et auprès des visiteurs du MuséoParc Alésia, la figure de Vercingétorix a éclipsé celle de César; la scénographie du MuséoParc a elle-même progressivement mis en perspective le récit césarien à la lumière de nos connaissances archéologiques, non sans une touche d’humour.

François de Callataÿ évoque quant à lui le regard porté par César sur les Belges (en particulier BGall., I, 1, 3: fortissimi sunt Belgae) et la façon dont celui-ci a ensuite été exploité (ou non) par les Belges des XIXe et XXe siècles: Ambiorix incarne la résistance et Jules César serait perçu de façon plus tendre, plus familière qu’en France.

Une annexe fournit les résultats d’un sondage effectué auprès de visiteurs du MuséoParc Alésia au sujet de leurs représentations personnelles de César.

Le volume se clôt par de commodes résumés en français, en anglais et en espagnol, une bibliographie et une table des matières.

En dépit des infimes réserves que nous avons soulevées en présentant certains des articles qui composent le volume, la lecture de celui-ci est un vrai régal pour qui s’intéresse à l’Antiquité, l’agrément des textes étant puissamment soutenu par des reproductions en couleur d’une excellente qualité, ce pour quoi il convient de remercier les Presses universitaires de Franche-Comté. L’ouvrage est aussi en quelque sorte une matérialisation imprimée de l’esprit qui préside au site antiquipop (https://antiquipop.hypotheses.org), lequel abrite, comme son nom l’indique, des ressources d’une richesse immense concernant la réception de l’Antiquité dans la pop-culture. Il y a là une clef d’accès privilégiée à l’héritage antique, indispensable pour ne pas le laisser se réduire à l’apanage d’une poignée d’érudits et offrir au grand public un contre-point bienvenu à des approches simplificatrices et parfois douteuses.

Compte tenu de l’ampleur des périodes embrassées et de l’ambition synthétique du volume, il est probablement malvenu d’en chicaner les auteurs à propos de la biographie; signalons cependant que concernant la période révolutionnaire (évoquée par exemple p. 92-94), on consultera désormais les travaux d’Hélène Parent, et en particulier Modernes Cicéron: la romanité des orateurs révolutionnaires (1789-1805), Paris, 2022. La qualité matérielle est bonne, malgré d’inévitables coquilles (p. 93, lire “préteur” et non “prêteur”; p. 99, homines fabri et non homini; p. 119: “Quoi qu’il en soit” et non “Quoiqu’il en soit”, etc.), abus de langage (p. 98, on ne peut pas dire que César a été “littéralement foudroyé” à Gadès devant la statue d’Alexandre; p. 135 et 197, l’adjectif “éponyme” est utilisé à mauvais escient) et redites d’une phrase ou d’un paragraphe à l’autre (p. 136 et 203).

 

Authors and Titles

Introduction (par Claire Mercier et Fabien Bièvre-Perrin)

 

I- César, de l’Antiquité aux années 1960

La réception de César durant l’Antiquité (par Thomas Guard et Nicolas Ben Mustapha)

Focus: Les monnaies de César (49-44) (par Maxime Cambreling)

La figure de Jules César dans la littérature médiévale (par Bernard Ribémont)

Focus: Les représentations de Jules César au Moyen Âge (par Graziella Pastore)

La réception de César à l’époque moderne (par Rudy Chaulet)

Focus: Jules César et les sculptures dans les tableaux néoclassiques: ostentation d’une absence (par Anna Eleanor Signorini)

Notes sur la réception de César de 1792 jusqu’aux années 1950 (par Fabien Bièvre-Perrin)

Focus: ”Le paquet de linge sale” de Gérôme (par Emma Sutcliffe)

Focus: Jules César… finalement, un gars sympa (par Eugène Warmenbol)

 

II- César aujourd’hui

“Le César du meilleur empereur a été décerné à César… Avé moi!.” La représentation de César en chef de guerre dans la culture de masse contemporaine (par Gaëlle Perrot)

Jules César. Virilité, sexualité, séduction? (par Julien Olivier)

Brutus, opposant de César, dans la culture populaire: “Malheur aux vaincus” (par Thomas Guard)

“César mon grand humour” dixit Cléopâtre, ou l’exploitation comique de César (par Claire Mercier)

 

III- César et les Gaulois: une vision croisée France/Belgique

Jules César vu du MuséoParc Alésia (par Mathilde Le Piolot-Ville)

“De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves”: les spécificités du regard porté par les Belges sur Jules César (par François de Callataÿ)