BMCR 2025.02.03

Komische Bilder: Bezugsrahmen und narratives Potenzial unteritalischer Komödienvasen

, Komische Bilder: Bezugsrahmen und narratives Potenzial unteritalischer Komödienvasen. Philippika, 166. Wiesbaden: Harrassowitz Verlag, 2022. Pp. xiv, 350. ISBN 9783447119047.

Cette monographie aussi riche qu’utile cherche à mettre en évidence le potentiel narratif et les ressorts comiques des peintures sur vases d’Italie du Sud et de Sicile inspirées par la comédie grecque, indépendamment du référent théâtral. Günther examine donc principalement le langage de ces images, se démarquant ainsi de la tradition académique dominante qui, à la suite des travaux de T.B.L. Webster et A.D. Trendall, puis de J.R. Green, Oliver Taplin, Eric Csapo ou Martin Revermann, étudie ce corpus d’abord pour éclairer les aspects matériels des représentations antiques, la dramaturgie comique ainsi que la culture théâtrale de Grande Grèce et de Sicile[1]. La spécificité du langage et la complexité sémantique des images à sujet théâtral n’ont pas été ignorées dans les travaux cités précédemment. Elles ont aussi été particulièrement étudiées ces dernières années par des spécialistes de la céramique italiote      comme Luca Giuliani, Luigi Todisco ou Carmela Roscino[2], mais l’entreprise de Elisabeth Günther se signale par le choix d’analyser ce corpus iconographique sans l’éclairage des textes dramatiques ainsi que par la mobilisation neuve d’un outillage théorique adapté de la théorie du cadrage (framing theory). Les analyses portent sur les 223 vases présentant au moins un acteur de comédie; ils sont réunis dans un catalogue de 28 pages qui complète la dernière édition du catalogue de référence, Phlyax Vases, publiée par Trendall en 1967[3], ainsi que dans un index. L’ouvrage, qui comporte huit chapitres, dont une conclusion et une introduction, est magnifiquement illustré par une centaine de planches, dont de nombreuses en couleurs, qui donnent à voir quelques vases rarement reproduits.

Un chapitre introductif présente brièvement l’état de la recherche sur le corpus de vases (ici nommés « Komödienvasen »), l’approche méthodologique adoptée pour éclairer les stratégies narratives des images de comédies ainsi que la thèse principale de l’ouvrage, à savoir que les incongruités ou contradictions entre les éléments qui composent les images sont à la source de leur effet comique et de leur potentiel narratif. L’autrice souligne la polysémie inhérente aux images comiques et la pluralité des interprétations qu’elles peuvent susciter, selon les cadres de référence de ceux qui les produisent et les regardent, c’est-à-dire selon leur culture ou le contexte d’utilisation des vases. Günther rejoint en cela l’approche de Todisco ou Roscino. Ici comme ailleurs dans l’ouvrage, l’outillage théorique, qui, malgré les présentations détaillées, requiert un certain effort pour le lecteur, ne paraît pas toujours indispensable. De manière originale, Günther avance que le potentiel narratif des images comiques résulte moins de la reconstruction de l’intrigue dramatique par les spectateurs que du processus de réception et d’interprétation ouvert de ces images.

Le second chapitre expose les notions et concepts théoriques clés sur lesquels se fondent les analyses, en particulier ceux de cadre de référence (« Bezugsrahmen »), de rupture du cadre (« Rahmenbruch »), de doublement du cadre (« Rahmendopplung ») et de double rupture de la fiction  (« doppelte Fiktionsdurchbrechung »). Les images comiques sont envisagées comme des processus de communication, et c’est à ce titre qu’est mobilisée pour les aborder la théorie du cadrage. Des incongruités présentes dans les images comiques résultent de multiples ruptures des cadres de référence ou attentes des spectateurs (par exemple, ruptures créées par les comportements inappropriés des personnages par rapport aux conventions sociales). La composante métathéâtrale de la comédie, qui est reproduite sur les céramiques, constitue une première rupture, celle du cadre de référence fictionnel. Sur les vases comiques, cette rupture peut être redoublée par une rupture de la fiction iconographique quand des éléments de l’image la désignent comme telle. Günther s’inscrit ici dans le sillage des travaux de Giuliani, selon qui la mise en évidence, sur l’image peinte, du cadre fictionnel de la représentation dramatique fonctionne comme une métaphore du cadre fictionnel de la représentation picturale[4]. La démonstration est développée dans le septième chapitre, où elle aurait sans doute gagné à être entièrement rassemblée. Enfin Günther prend l’exemple du cratère orné d’une scène inspirée par les Thesmophories d’Aristophane (Wurtzbourg H 4601a) pour montrer, de manière juste et intéressante, que l’image pouvait amuser un spectateur ignorant du référent théâtral, grâce à la rupture d’un certain nombre de cadres de référence. L’autrice cherche donc à éclairer les stratégies narratives des images de comédies à partir de l’analyse des éléments qui la composent et de leurs mises en relation, plutôt qu’à partir de l’action théâtrale représentée. Selon Günther, « la visée première des peintres n’était pas nécessairement que le spectateur puisse identifier ou reconstruire l’intrigue d’une comédie » ; le rire naît d’abord de la friction des éléments iconographiques contradictoires présentés par l’image. Cette affirmation appelle des réserves, surtout si l’on prend en considération le fait que trois vases examinés dans les deux premiers chapitres, celui des Thesmophories et ceux de la comédie de l’oie de New York (Met., 24.95.104) et de Boston (M.F.A., H 4601a), font référence à des comédies particulières, destinées à être identifiées par les spectateurs antiques de ces vases. Nous y reviendrons à propos du septième chapitre.

Les trois chapitres suivants proposent des synthèses très complètes et très documentées sur les éléments de contextualisation qui permettent d’éclairer les cadres de référence des peintres et spectateurs de vases comiques. Ils complètent fort utilement les quatre premiers chapitres de l’ouvrage que Todisco a récemment consacré aux vases présentant des acteurs et des masques comiques[5]. Le troisième chapitre présente les peintres et ateliers italiotes et siciliens. Il conserve dans les grandes lignes les attributions et chronologies établies par Trendall et Green, excepté pour la production paestane, pour laquelle Günther reprend la chronologie haute établie par Angela Pontrandolfo et Agnès Rouveret[6]. En portant une attention très fine au détail de la représentation des costumes, Günther définit 14 groupes qui présentent des styles similaires (« Ähnlichkeitsclustern »). L’apport premier de ce travail réside dans la mise en évidence des caractéristiques stylistiques de la représentation du costume comique selon les peintres et les ateliers, qui pourra offrir un outil précieux pour de nouvelles attributions. Le quatrième chapitre traite des contextes de découverte et des usages des vases, mobilisant pour ce faire les notions théoriques d’affordance et de saillance. Les lieux de découverte, connus pour une centaine de vases seulement, sont brièvement présentés avec d’abondantes notes bibliographiques et une carte très utile. Le chapitre met en lumière la spécificité et la variété des contextes de découverte, grecs et italiques, et des usages funéraires (dans la grande majorité des cas) mais aussi cultuels (en Sicile), tout en soulignant la limite actuelle des connaissances sur l’usage précis de ces vases. Dans le chapitre suivant, après une rapide mais solide synthèse sur les sources textuelles et matérielles en lien avec le théâtre en Grande Grèce et en Sicile, Günther rappelle combien la réception des images de comédie est influencée par la signification nouvelle (eschatologique ou rituelle, notamment) qui leur est éventuellement associée dans leurs divers contextes d’utilisation.

Le sixième chapitre, le plus long, examine les éléments qui composent la scène comique dans une double perspective : évaluer le rôle de ces différents éléments dans le potentiel narratif des images de comédies mettre en évidence l’influence des traditions iconographiques non-comiques. Günther passe d’abord en revue tous les éléments qui contribuent à la composition de l’image ainsi qu’à la construction des espaces scénique et fictionnel, en procédant à des analyses typologiques et statistiques. Elle souligne les variations selon les ateliers et la cohérence des représentations avec les peintures sur vases non-comiques. Les analyses qui mettent en évidence les effets de brouillage entre fictionnalité de l’image comique et réalité de son support matériel sont particulièrement subtiles et enthousiasmantes. Günther souligne par exemple comment, sur certaines images, les escaliers qui conduisent à l’espace de jeu relient la fiction et son cadre pictural. Il en est de même de l’inclusion sur certaines scènes paestanes de fenêtres par lesquelles apparaît la femme désirée sous des traits non-comiques, motif emprunté aux scènes érotiques mais qui peut aussi renvoyer à la réalité scénique. Ces procédés évoquent les jeux métathéâtraux de la comédie grecque. Les analyses menées sur les masques confirment que, bien que certaines combinaisons de traits soient privilégiées, la typologie établie par Webster pour les masques de comédie représentés sur le matériel archéologique des ve et ive siècles av. J.-C. est problématique[7]. Le chapitre retrace ensuite l’évolution régionale des représentations des éléments du costume et des accessoires scéniques afin de mettre en évidence leurs valeurs sémantiques. Günther souligne le potentiel narratif, autant que caractérisant, des contrastes visuels qui président à la représentation des personnages (âge, sexe, couleur de cheveux, etc.) et à la composition des images. L’étude de la gestuelle et de ses fonctions donne lieu à une recontextualisation éclairante de certains gestes dans l’ensemble du corpus des peintures sur vases. Néanmoins, fondée sur une typologie souvent trop imprécise, cette étude ne permet pas de déterminer un lexique gestuel et fait souvent le constat des incertitudes qu’elle ne parvient pas à lever. C’est que cette entreprise aussi nécessaire qu’ardue mériterait à elle seule des travaux de très grande ampleur.

Le septième chapitre développe l’analyse de trois stratégies narratives propres aux images de comédies abordées précédemment, à savoir la reconstruction de scénarios possibles à partir d’éléments contrastés ou incongrus, la « double rupture de la fiction » et la multiplicité de cadres de référence hétérogènes, tous ces procédés ayant également un effet comique. Si la réflexion menée sur les cas de double rupture de la fiction est aussi fine que stimulante, l’autoréférentialité des images de comédies nous semble moins fréquente que n’en fait l’hypothèse Günther, qui voit dans les détails irréalistes de l’image, la présence de figures non-comiques ou celle de motifs décoratifs des signes destinés à mettre en lumière le caractère artificiel de l’image. On émettra aussi quelques réserves sur les deux autres stratégies narratives identifiées, dont la présentation dérive de la hiérarchie établie par Günther entre le référent théâtral et les autres cadres de référence. D’abord, la reconstruction de scénarios possibles à partir d’éléments contrastés présents sur l’image se nourrit nécessairement de la remémoration d’intrigues et de représentations dramatiques, auxquelles conventions et motifs sont empruntés. Ensuite, pour ce qui est de l’accumulation de cadres de référence hétérogènes (religieux, politiques, comiques, tragiques, etc.), la comédie la pratique aussi constamment, et c’est peut-être d’abord de cela que témoignent les images comiques. Ce procédé semble donc pouvoir être considéré comme une stratégie narrative propre aux images surtout pour les peintures les plus éloignées du référent théâtral, lorsque ce dernier sert à détourner un motif iconographique sérieux, comme sur la scène martiale du Peintre de Parrish (Naples, M.A.N., 3368) analysée en ce sens par Günther. La volonté louable de mettre en lumière l’indépendance des stratégies narratives de l’image par rapport au référent théâtral conduit ainsi parfois à des conclusions ou postulats qui nous paraissent peu compatibles avec la nécessaire empreinte de l’expérience théâtrale sur les peintres et les spectateurs de vases[8].

Malgré les réserves exprimées sur certains points, la haute qualité de ce travail considérable, qui propose de nombreuses analyses de détail et des conclusions à la fois neuves et stimulantes sur le langage de l’iconographie à sujet théâtral comique, est évidente. Par son ambition et la documentation assemblée, il constituera un outil précieux pour quiconque s’intéressera aux vases comiques en contexte.

 

Notes

[1] Voir par exemple, parmi la riche bibliographie de ces auteurs, T. B. L. Webster, « South Italian Vases and Attic Drama », Classical Quarterly 42, 1948, p. 15-27 ; idem, Monuments Illustrating Old and Middle Comedy, BICS Suppl. 39, Londres, 1978 (3e éd. revue et complétée par J. R. Green) ; A. D. Trendall, Phlyax Vases, BICS Suppl. 19, Londres, 1967 (2e éd.) ; A. D. Trendall et T. B. L. Webster, Illustrations of Greek Drama, Londres, 1971 ; O. Taplin, Comic Angels and Other Approaches to Greek Drama through Vase-Paintings, Oxford, 1993 ; J. R. Green, Theatre in Ancient Greek Society, Londres, 1994 ; idem, « Comic Vases in South Italy. Continuity and Innovation in the Development of a Figurative Language », dans K. Bosher (dir.), Theater  Outside Athens. Drama in Greek Sicily and South Italy, Cambridge, 2012, p. 289-342 ; M. Revermann, Comic Business. Theatricality, Dramatic Technique, and Performance Contexts of Aristophanic Comedy, Oxford, 2006 ; E. Csapo, Actors and Icons of the Ancient Theater, Chichester, 2010 ; voir aussi, plus récemment, D. Sells, Parody, Politics, and the Populace in Greek Old Comedy, Londres, 2019 ; A. Piqueux, The Comic Body in Ancient Greek Theatre and Art, 440-320 BCE, Oxford, 2022.

[2] Parmi les nombreux travaux de ces auteurs, voir par exemple L. Giuliani, Possenspiel mit tragischem Helden. Mechanismen der Komik in antiken Theaterbildern, Göttingen, 2013 ; idem, « Pots, Plots, and Performance. Comic and Tragic Iconography in Apulian Vase Painting », dans L. G. Audley-Miller et B. Dignas (dir.), Wandering Myths. Transcultural Uses of Myth in the Ancient World, Berlin, 2018, p. 125-142 ; L. Todisco, Figure mascherate e maschere comiche nella ceramica italiota e siceliota, Rome, 2020 ; C. Roscino, « Commedia e farsa », dans L. Todisco (dir.), La ceramica a figure rosse della Magna Grecia e della Sicilia, Rome, 2012, vol. 2, p. 287–295 ; eadem « Il rito, la festa, la rappresentazione : osservazioni sul cratere apulo dei ‘Bari Pipers’ », dans S. Novelli et M. Giuseppetti (dir.), Spazi e contesto teatrali antico e moderno, Amsterdam, 2017, p. 305-315 ; eadem, « Il gesto di Egisto e l’eisangelia : ancora sul vaso apulo dei Choregoi », Ostraka 28, 2019, p. 191–210.

[3] J. R. Green, qui prépare une nouvelle édition, n’a cessé d’enrichir ce catalogue par de nombreuses publications depuis les années 1980.

[4] Giuliani 2013 (op. cit. en note 2), p. 73.

[5] Todisco 2020 (op. cit. en note 2).

[6] A. Pontrandolfo, « Su alcune tombe pestane : proposta di una lettura », Mélanges de l’Ecole française de Rome, Antiquités 89, 1977, p. 31–69 ; eadem, « Le prime esperienze dei ceramografi sicelioti e le altre officine

Tirreniche », dans G. Rizza (dir.), I vasi attici ed altre ceramiche coeve in Sicilia, Cronache di

Archeologia 30, 1991, vol. 2, p. 35–49 ; A. Pontrandolfo et A. Rouveret, Le tombe dipinte di Paestum, Modène, 1992.

[7] T.B.L. Webster, « The Masks of Greek Comedy », Bulletin of the John Rylands Library 32, 1949-1950, p. 97–133 ; idem, Greek Theatre Production, Londres, 1970 (1re éd.: 1956), p. 62 sqq. ; idem 1978 (op. cit. en note 1), p. 13–26. Voir la démonstration conduite dans Piqueux 2022, p. 201-211 (op. cit. en note 1).

[8] Sur la communauté d’expérience des spectateurs de théâtre et des spectateurs de vases à sujet théâtral, perceptible dans la langue de l’image, voir notamment J. R. Green, « On seeing and depicting the theatre in classical Athens », GRBS 32, 1991, p. 15-23, et Green 2012 (op. cit. en note 1), ainsi que la mise au point récente de O. Taplin, « Reflections of Theatre in Vase-paintings : an Overview of their Variety », dans R. Morais, D. Leão, M. F. Silva, D. Ferreira et D. Wallace-Hare (dir.), Reading Ancient Objects Inside Out. Greek Figure-Decorated Pottery in Portugal, Oxford, 2024, p. 3-6.