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Le présent ouvrage, conçu pour être consulté en ligne et en libre accès, rassemble les textes, tous en anglais hormis un en espagnol, des participants à la rencontre annuelle des étudiants de troisième cycle (“postgraduates”) en Histoire ancienne (AMPAH) qui eut lieu à Barcelone les 11 et 12 avril 2022. Le thème envisagé était la mobilité entendue au sens large, car furent aussi envisagées des problématiques telles que l’identité, les interactions culturelles et religieuses, le commerce etc. Toutes les époques de l’histoire ancienne sont concernées, depuis l’Égypte pharaonique jusqu’à l’Antiquité tardive. Pour ce faire, l’argumentaire du volume est structuré en cinq sections: “Migration and Human Mobility”, “Social Mobility”, “Moving Identities and Cultural/Religious Interactions”, “Political Trends and Practices” et “Trade and Movement of Goods”.
La première section, consacrée à la mobilité humaine, ne comporte que deux travaux. Le premier, signé par B. Vertedor Ballesteros et H. Boumehache Erjali, traite de la mobilité féminine dans le cadre diplomatique et militaire, parfois sous la contrainte, principalement à l’époque de la deuxième guerre punique, sans négliger d’autres conflits. Il y est question des femmes impliquées dans les échanges diplomatiques en tant qu’otages ou intermédiaires en vue de favoriser des accords ou de maintenir le statu quo, sans oublier l’éventuelle présence de prostituées à l’intérieur ou à proximité des camps. Dans la seconde contribution, dans le but de réviser des idées reçues encore vivaces au XXIe s., T. Gambold se livre à une réflexion sur la mobilité durant l’Antiquité tardive, en examinant les mouvements de population dans le secteur du limes rhénan, pas forcément caractérisés par des actions violentes. En effet, on y documente, de part et d’autre de la frontière, de fructueux et paisibles échanges culturels, mais aussi commerciaux, comme le confirme également le recrutement de troupes germaniques dans les armées romaines durant des siècles, pour ne rien dire des unions “mixtes” entre peuples installés sur les deux rives du Rhin.
La section suivante s’intéresse à la mobilité sociale et s’ouvre avec le chapitre de L. Hernando Folch qui s’attèle à une analyse archéologique et spatiale de la cité égyptienne de Lahun au Moyen Empire. Pour ce faire, l’auteur se livre à une étude de la micromobilité au sein des deux quartiers de cette fondation nouvelle dont l’existence éphémère n’eut d’autre finalité que celle de loger les bâtisseurs de la nécropole royale attenante, encadrés par des fonctionnaires, un gouverneur et des prêtres. On en conclut, à la lecture des sources archéologiques, mais aussi écrites (papyrus, sceaux et lettres privées) que l’urbanisme est orienté vers le temple ou les demeures de l’élite et que les femmes ne sont pas totalement absentes de la vie économique et sociale locale. Pour sa part, C. An mène également le lecteur en Égypte, mais à l’époque ptolémaïque, pour étudier les relations dynamiques entre le pouvoir royal et les élites locales dans la région d’Edfou d’après le P.Haun. IV, 40. L’auteur prend en exemple la famille de Pasas, mentionnée dans l’édit papyrus, pour démontrer que l’État ptolémaïque entretenait un dialogue fructueux avec les couches dirigeantes de Haute-Égypte en vue d’asseoir son autorité et prévenir les troubles. De son côté, C. Mkrtchiyan examine le phénomène complexe de la prostitution à Rome, marqué du sceau de l’infamie et matérialisé par la présence de maisons closes, avec celle de Grèce et le cas de la prostitution sacrée, avant un rapide survol sur la situation à une époque plus récente, des Etats-Unis à la Papouasie Nouvelle-Guinée en passant par l’Inde. Il en ressort que des questions morales, culturelles et légales entrent en ligne de compte pour juger à sa juste mesure l’ampleur et l’impact de la prostitution dans l’Antiquité.
La troisième section traite des identités mouvantes et des interactions cultuelles et religieuses. Le premier travail est celui d’A. Romano sur l’évolution des carrières de sénateurs et chevaliers entre les règnes de Domitien et de Trajan, dont la caractéristique principale est la continuité, sans césure, dans leur processus d’élévation sociale, en raison aussi de nombreux partisans de Domitien fidèles à sa mémoire. Se référant à une époque antérieure, Z. D. Ataçocuğu examine le caractère migrateur, par ailleurs crucial, de figures mythologiques telles qu’Héraclès, Dionysos et Aréthuse en Méditerranée et au-delà. Il en résulte que les mythes qui leur sont liés ont tout à la fois reflété les mouvements de personnes (comme ce fut le cas de la colonisation grecque jusqu’à l’époque d’Alexandre le Grand y compris) et ont favorisé le culte qui leur est rendu. Pour sa part, l’article d’A. Malagrinò Mustica concerne la reine Arsinoé II, qui offre un exemple de mobilité culturelle et politique, en raison de ses déplacements à travers le monde grec de son vivant, mais aussi après sa mort, si l’on peut dire. En outre, le culte dont elle fit l’objet, pour lequel les témoignages abondent, commença à se développer peu après son troisième mariage avec son frère Ptolémée II et son décès ne freina aucunement sa diffusion au-delà des frontières du royaume lagide. Passant à l’époque tardo-antique, M. Clement aborde le sentiment d’appartenance à la “nation” locale d’après des épigrammes d’Ausone et de Grégoire de Nazianze en tenant compte des stratégies rhétoriques plutôt que des explications purement autobiographiques. La vision de ces auteurs est encore “impériale” et les allusions à la “patrie” locale ne sont donc pas absentes, bien qu’il faille les comprendre de façon ambivalente, poétique et rhétorique et non purement géographique. Pour clore cette section, V. Gómez Guinovart analyse la diffusion du culte de saint(e)s locaux martyrs en Hispanie entre l’époque des persécutions et les Wisigoths (IV-VIe s.). En effet, parallèlement à l’existence d’hagiographies, la présence de reliques va avoir des répercussions sur la mobilité intra- et interurbaine en raison des processions et des visites de pèlerins, sans négliger l’action des évêques qui contribueront à faire connaître ces cultes, jusque dans les campagnes, quitte à en créer de nouveaux de toutes pièces.
La quatrième section est dévolue aux tendances et aux pratiques politiques. La première contribution est l’œuvre d’A. Otranto, qui étudie la communication non verbale de la foule à travers des ressorts oratoires tels que les sifflements et les applaudissements pour cerner la participation populaire dans la vie politique à la fin de la République, d’après des écrits de Cicéron et de Plutarque. Cela permet de saisir comment le peuple, généralement laissé pour compte par les chercheurs, exprimait sa position dans les débats à l’occasion des comitia, contiones ou ludi et si les dirigeants en tenaient compte. De son côté, A. Avilio s’intéresse à la rhétorique, phénomène culturel et politique, en tant que facteur de mobilité après les réformes de Dioclétien, à travers l’œuvre d’Himérius. Cet auteur sert de modèle pour comprendre comment un rhéteur sert d’intermédiaire entre sa cité natale et l’empereur ou son représentant, à cause de son prestige qui attire aussi de nombreux étudiants dont l’origine géographique est brièvement passée en revue. D. Vago, pour sa part, centre sa réflexion sur Grégoire de Tours, dont il souligne la grande valeur pour son propos, afin de décrire le phénomène de mobilité sociale, économique et politique de la Gaule tardo-antique, entre présence et intégration des Francs et essor commercial, à l’appui, également, des sources archéologiques. Enfin, avec pour objet le même cadre spatio-temporel, A. Rodríguez García aborde la question de la correspondance de Sidoine Apollinaire qui fournit de précieuses informations sur le maintien, à une époque où le pouvoir impérial romain s’effondre, d’une identité aristocratique à travers la fonction d’évêque. Par ailleurs, l’envoi de lettres révèle non seulement le niveau culturel de l’aristocratie gallo-romaine, mais sert aussi, dans le même temps, de moyen de communication avec d’autres notables et avec leurs propres clients, puisque l’antique système du patronage n’a pas totalement disparu.
Enfin, la dernière section est centrée sur le commerce et le mouvement de biens. La problématique de la commercialisation et de la diffusion de céramique attique à figure noire en péninsule ibérique est au cœur de la contribution d’A. Garés-Molero et de G. Pulido-González. On en conclut que la céramique parvint en Ibérie par l’intermédiaire des Phocéens, via divers circuits méditerranéens, qui permit l’entrée de vaisselle de tout type en milieu colonial grec, tandis que les établissements indigènes privilégiaient les coupes. C’est à l’antique Baetulo (Badalona) que s’intéresse A. Collado Padilla, qui examine les fragments de mortiers et de pilons en marbre d’importation (Luni, Chemtou et cap Matapan) qui y furent mis au jour dans le secteur des tabernae, sans qu’il soit possible d’affirmer si ces pièces étaient fabriquées sur place. L’épigraphie amphorique grecque telle qu’elle apparaît sur les timbres d’amphores rhodiennes fait également l’objet d’une contribution de la main d’O. Morillas Samaniego. Il s’agit certes d’un travail en cours de réalisation, puisqu’il est indispensable de compléter la base de données du CEIPAC, mais cela ne l’empêche pas de documenter les routes de distribution du vin rhodien et, par la même occasion, les relations commerciales qu’entretenait l’île égéenne à l’époque hellénistique. Toujours en rapport avec des amphores, mais en Tarraconaise (Laiétanie, ager de Tarraco et zone du delta de l’Èbre), C. Palacín Copado s’interroge sur le lien entre la typologie des amphores à vin, telles que Pascual 1, Dressel 3-2 et Oberaden 74, toutes contemporaines, et la destination finale du produit, selon que la route soit totalement maritime ou que la marchandise transite par des voies terrestres et fluviales. Il démontre que pour faciliter l’exportation du vin de la côte nord-orientale de la Tarraconaise en Méditerranée centrale au cours des deux premiers siècles de notre ère, les producteurs locaux ont fini par avoir recours à l’amphore Dressel 3-2, déjà populaire sur ces marchés. Pour finir, A. Nieva aborde l’Édit du Maximum de Dioclétien et plus particulièrement le chapitre XXXV qui contient les dispositions relatives à la régulation du transport maritime. L’arbitraire dans le choix des routes maritimes et dans l’établissement des prix des produits et des services ont contribué à l’échec de la politique économique de la Tétrarchie, qui avait été sciemment planifiée pour appuyer les réformes institutionnelles, mais sans le résultat escompté.
En conclusion, malgré quelques lapsus calami, un ouvrage qui permet au lecteur de prendre connaissance de nouvelles tendances et orientations de la recherche sur la mobilité au sens large, dans le cadre d’une réunion scientifique qui permet aux chercheurs de demain de se rencontrer, de débattre et de se faire connaître. Une initiative qu’on ne peut que saluer et encourager!
Authors and Titles
Introduction (Arnau Lario Devesa, Joan Campmany Jiménez, Marco Marzo Pallàs & Oriol Morillas Samaniego)
I. Migration and Human Mobility
- Female mobility in diplomatic and military practice during the Roman expansion in the West (III-II c. BC) (Borja Vertedor Ballesteros and Hatin Boumehache Erjali)
- Understanding late antique mobility and “migrants”in modern thought (Teifion Gambold)
II. Social Mobility
- Archaeological and spatial analysis of the Egyptian city of Lahun (Middle Kingdom, Fayum) (Laura Hernando Folch)
- The game of land: authority and adversary from a Ptolemaic land survey (Haun. IV 70) (Chenqing An)
- Power and control: understanding prostitution in ancient times (Carina Mkrtchiyan)
III. Moving Identities and Cultural/Religious Interactions
- Mobility at the crossroads: careers and progression during the transition from Domitian to Trajan (Antonio Romano)
- Travelling mythologies: the movement of the divine throughout the Mediterranean and beyond (Zeren Deniz Ataçocuğu)
- The cult of Arsinoe II Philadelphus. The ‘international’ success of a Greek-Egyptian goddess (Anita Malagrinò Mustica)
- Fashioning a sense of belonging. Place in the commemorative epigrams of Gregory of Nazianzus & Ausonius of Bordeaux (Mathijs Clement)
- La dispersión del culto martirial de santos y santas locales por el territorio de Hispania entre los siglos IV-VI (Víctor Gómez Guinovart)
IV. Political Trends and Practices
- Whistles, applause and the welcoming of politicians by the Italic people: non-verbal expression of the crowd in the Late Ancient Republic (Agata Otranto)
- Rhetoric and mobility: an innovative vision of mobility in the post-Diocletian era (Antonio Avilio)
- Changes in late-antique Gaul: Gregory of Tours as an exceptional witness of social, economic and political mobility (Davide Vago)
- Episcopal correspondence in fifth-century Gaul. Leadership in times of crisis (Ángel Rodríguez García)
V. Trade and Movement of Goods
- The journey of a ceramic shape: trading black-figure amphorae to Iberia (Alejandro Garés-Molero and Guiomar Pulido-González)
- Marmora and commerce: the case of the mortars in public spaces of Baetulo (Andrea Collado Padilla)
- Greek amphoric epigraphy and Mediterranean trade through the study of Rhodian amphora stamps in the CEIPAC database (Oriol Morillas Samaniego)
- Amphora typology and commercial mobility. Thoughts on the Tarraconensis case (Carlos Palacín Copado)
- The regulation of maritime transport in the Edict on Maximum Prices, a major cause of its failure (Antoni Nieva)