BMCR 2022.01.08

Mémoires de Trajan, mémoires d’Hadrien

, , , , Mémoires de Trajan, mémoires d'Hadrien. Histoire et civilisations. Villeneuve d'Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2020. Pp. 528. ISBN 9782757430248. €34,00.

[Liste des contributions en fin de compte-rendu.]

Le présent ouvrage est un volume d’actes, « reflet fidèle » (p. 7) d’un colloque organisé principalement par l’université de Lille en septembre 2017, la date marquant, à quelques jours près, le dix-neuvième centenaire de la mort de Trajan en même temps que l’avènement d’Hadrien. Les vingt-trois articles qui le composent, annoncés par une introduction et résumés par une conclusion également longues, sont désignés comme autant de « chapitres » d’un « livre » (p. 481) ; car l’ensemble est conçu comme le résultat d’une recherche caractérisée par la « transdisciplinarité « et la « transpériodicité » (p. 491). Il s’inscrit dans un domaine aujourd’hui privilégié de la recherche universitaire, celui de la réception de l’Antiquité. Le but est de retracer et d’étudier l’image donnée, séparément ou simultanément, par Trajan et Hadrien – désignée, dans la lignée des célèbres Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, dont l’ombre est partout au moins sous-jacente, par le terme de « mémoire ». Et cela, du règne même de ces empereurs à l’époque la plus contemporaine, et à travers des sources et des témoignages historiques, archéologiques, littéraires et artistiques, divers par leur nature même et leur origine géographique.

Malgré l’absence d’indications précises, l’ordre suivi est clairement chronologique. La première étape, entre 117 et 138, est constituée par les chapitres un à cinq, plus précisément consacrés, à travers l’analyse de quelques textes ou objets précis (indiqués par les titres eux-mêmes), au rapport établi par Hadrien avec son prédécesseur, dont il est du reste parfois, en particulier dans la mémoire juive, mal distingué, et dans la lignée duquel il s’inscrit volontairement tout en interprétant son héritage. Le contenu du souvenir laissé par Trajan et Hadrien subit ensuite au cours du temps des modifications de plus en plus profondes. Celles-ci apparaissent d’abord lors de ce qu’il est convenu d’appeler le Bas Empire, matière des chapitre six à neuf, les deux premiers ayant pour objet l’utilisation de l’image des deux empereurs par Constantin et Gallien, pour lesquels elle représente à la fois une référence politico-idéologique et un moyen de légitimer leur pouvoir, et les deux derniers l’interprétation grecque et orientale de l’action de Trajan et d’Hadrien, perçue comme réconciliatrice des peuples de l’empire et, en cela, favorable aux chrétiens. Cette problématique revêt une importance croissante à partir de l’Antiquité tardive, objet des chapitres dix à douze, dans lesquels l’étude de quelques exemples met en évidence l’image globalement positive donnée surtout de Trajan, dont l’hostilité aux chrétiens semble même n’être plus réprouvée, voire oubliée. Elle devient ensuite exclusive, durant l’époque médiévale, embrassée tout entière dans les chapitres treize à seize, qui permettent de suivre les grandes étapes d’une relecture chrétienne de l’histoire romaine, principalement dans les territoires anglo-saxons, le personnage de Trajan devenant non seulement grâce à ses vertus, le modèle du bon gouvernant, mais un véritable saint. Si la référence chrétienne s’estompe à partir de la fin du Moyen Âge, les figures de Trajan et d’Hadrien, qu’elles se confondent ou s’opposent, ne sont pas pour autant ignorées du quatorzième siècle à nos jours. Les sept derniers chapitres en retracent la résurgence et les transformations à diverses époques et dans des domaines dont les titres suffisent à souligner l’extrême variété : de la peinture classique au manga contemporain.

Au terme de ce parcours ressort avant tout la spécificité du destin réservé, au cours de l’histoire, à Trajan et Hadrien, dont le souvenir, à la différence de celui de bien d’autres empereurs, fut à la fois pérenne et multiforme, sans cesse repris, dans les contextes les plus divers et réinterprété, en fonction des conventions artistiques et des idéologies dominantes en apparence même les plus opposées – le changement le plus profond et le plus complexe résultant du passage au christianisme. De ce destin, les étapes et les témoignages sont souvent analysés avec un sérieux et une précision attestés par d’abondantes notes et les bibliographies qui accompagnent chacune des contributions. Souvent, et non toujours, car, outre quelques inévitables redites, dues à la proximité des sujets abordés, l’ensemble reste inégal et n’est pas exempt, selon les cas, de longueurs, ou de quelques développements simplement énumératifs ou même contestables. C’est ainsi, en particulier, que le sujet du chapitre quatre (par Christophe Batsch) est peu à peu oublié au profit d’une simple histoire des rapports du judaïsme avec l’autorité romaine sans que soit résolu le problème initialement posé, que le chapitre six (par Caroline Blonce) pâtit de répétitions et d’un certain désordre, le chapitre sept (par Jean-Marc Doyen) de longues digressions. Mais, plus que par ces insuffisances, au demeurant limitées, le recueil se trouve plutôt desservi par sa forme, moins par des coquilles, peu nombreuses mais parfois importantes dans la mesure où elles affectent la correction de la langue (p. 212 : « plusieurs citées », p. 241 : « satisfaire les distributions gratuits ») que par un manque d’uniformité dans la présentation et l’insertion des citations, surtout par la multiplication d’artifices typographiques noirs et l’absence quasi totale de couleurs (à une seule exception près, p. 455), jusque dans la reproduction de représentations picturales décrites, par exemple, dans le chapitre dix-huit (par Édith Marcq), dont les détails deviennent de ce fait presque illisibles et les commentaires parfois difficiles à comprendre. Il est dommage que l’impression générale ainsi donnée ne se révèle guère propre à attirer le lecteur vers un contenu pourtant suffisamment riche.

Table des matières

Alban Gautier, Christine Hoët-van Cauwenberghe, Introduction. Mémoires de Trajan, mémoires d’Hadrien, des portraits en miroir (9-30)
Novella Lapini, Auguste/Tibère et Trajan/Hadrien : la difficulté d’être le successeur de l’optimus princeps (31-43)
Christelle Ansel, L’Arc de Trajan à Bénévent : la conquête de la Mésopotamie vue par Hadrien (45-56)
Françoise Lecocq, Deux faces du phénix impérial : Trajan et Hadrien sur les aurei de 117/118 apr. J.-C. (57-70)
Christophe Batsch, Les « amphores hadriennes ». Mémoires juives des empereurs Trajan et Hadrien (71-82)
Michèle Villetard, Les Auditoria d’Hadrien dans la topographie urbaine des forums impériaux (83-95)
Caroline Blonce, Liberator Vrbis et Fundator Quietis : Constantin nouveau Trajan et nouvel Hadrien ? (97-119)
Jean-Marc Doyen, SPQR OPTIMO PRINCIPI : Trajan et Hadrien comme modèles iconographiques de Gallien (260-268 apr. J.-C.) (121-151)
Sylvain Destephen, Hadrien voyageur à travers les siècles (153-173)
Maria Kantiréa, De Trajan Zeus Philios au Panthéon d’Hadrien : enjeux politico-religieux et mémoires des Grecs et des chrétiens (175-186)
Livia Capponi, Trajan dans les Acta Alexandrinorum : un portrait contradictoire (175-186)
Alessandro Galimberti, Marco Rizzi, Trajan et Hadrien dans la Chronographie de Jean Malalas (205-220)
Étienne Wolff, L’image de Trajan dans l’Antiquité tardive et jusqu’au début du VIIIe siècle (221-232)
Pere Maymo i Capdevila, Juan Antonio Jiménez Sanchez, L’origine d’une légende grégorienne : la rédemption de Trajan (233-253)
Alban Gautier, Trajan et Hadrien dans les îles Britanniques aux premiers siècles médiévaux (255-275)
André Descorps-Declère, De l’Enfer au Paradis : itinéraire médiéval de la postérité de l’empereur Trajan (IXe-XIIe siècle) (277-296)
Françoise Laurent, Trajan et Hadrien dans les versions en vers de la Vie de saint Eustache (297-316)
Martin Galinier, Monuments de Trajan et Hadrien : Fortune et aléas (317-336)
Édith Marcq, Représentations en contraste des empereurs Trajan et Hadrien dans la peinture à l’huile (XVe-XIXe siècle) (337-366)
Cyrielle Landrea, L’aristocratie et l’historiographie sénatoriale, actrices de la mémoire de Trajan et d’Hadrien. Réceptions modernes et contemporaines (367-386)
Rémy Poignault, L’empereur Hadrien à l’opéra (387-405)
Alexandre Terneuil, « L’art magique capable d’évoquer un visage perdu ». Mémoire des portraits de Trajan et d’Hadrien rêvés par Marguerite Yourcenar (407-421)
Olivier Devillers, L’image d’Hadrien dans le manga Thermae Romae (423-438)
Christophe Hugot, Trajan : un empereur de caractère(s) (439-476)
Stéphane Benoist, Conclusion : « Les visages de l’histoire, Monumenta, memoriae et historia(e) » (477-495)
Indices (497-522)
Table des illustrations (523-528)