BMCR 2021.09.31

Aristotle’s Meteōrologiká: meteorology then and now

, , Aristotle's Meteōrologiká: meteorology then and now. Oxford: Archaeopress, 2020. Pp. iv, 117. ISBN 9781789696370. $45.00.

Les deux auteurs sont des scientifiques renommés dans leurs champs d’expertise respectifs, les sciences mathématiques pour le premier, la climatologie et la physique atmosphérique pour le second. Ils proposent ici un essai qui relève de la vulgarisation, avec une double orientation, résumer et analyser les principes de la météorologie aristotélicienne d’une part, confronter ces derniers aux connaissances actuelles d’autre part. Cette démarche consistant à évaluer un état ancien de la science par rapport aux données actuelles, en décernant bons et mauvais points, relève d’une conception simplificatrice de l’histoire des sciences, qui aboutit souvent à des caricatures marquées tantôt par la condescendance tantôt par une naïveté désarmante. Les deux auteurs sont assez habiles pour ne pas toujours tomber dans cette caricature mais leur démarche ne reflète pas moins leur méconnaissance des méthodes et des enjeux de l’histoire et de la philosophie des sciences. La structure de cet essai est simple à résumer : le lecteur est invité à une succession d’allers-retours entre le texte d’Aristote et les connaissances contemporaines en matière de météorologie, synthétisés par le rappel des analogies et des contrastes avec insistance sur ce qui, chez Aristote, est pertinent et ce qui ne l’est pas ou moins. Ce schématisme donne lieu à quelques déclarations épistémologiquement invalides. À titre d’exemple, à propos de l’explication qu’Aristote donne de la direction des vents : « Thus, Aristotle was correct in mentioning that the direction of the wind is oblique, but this was based on observation and not on correct physical reasoning. » (p. 67) Si l’on considère comme seul raisonnement physique correct celui qui part des données et méthodes actuelles de la science, alors il n’est pas utile de s’intéresser à l’histoire des sciences. Tout au long de leur enquête, les auteurs semblent considérer que le raisonnement correct est celui qui s’appuie sur l’état actuel des connaissances, résumé par leurs soins.

Une part importante de cette publication consiste en des citations-résumés des chapitres des Météorologiques. Les auteurs expliquent dans leur Prolegomena les bases sur lesquels ils ont travaillé pour cette lecture d’Aristote, une traduction anglaise (The Revised Oxford Translation, Jonathan Barnes, Princeton University Press, 1984) et une traduction en grec moderne (H. P. Nikoloudis, Cactus Editions, 1994). Ils mentionnent en complément un article de 1939 consacré à la théorie aristotélicienne de l’arc-en-ciel. Forts de ces ressources, ils peuvent déclarer : « We note here that during the last 2,300 years and after two translations (to Arabic and Latin), some of the style and concepts have been naturally affected. That is why we combined the English and Greek translations and our familiarity and knowledge of ancient and modern Greek and meteorology to present acurately the writings of Aristotle. » (p. 2) J’aimerais que mon travail de philologue et de philosophe travaillant sur les corpus anciens fût aussi simple. Concernant la familiarité des auteurs avec le grec ancien, la lecture de l’ouvrage indique qu’elle se limite à des rudiments approximatifs. Je ne m’étendrai pas. Je noterai simplement le désagrément que constitue la disparition des accents et esprits sur des termes empruntés à la langue grecque ancienne, désagrément accentué par le fait que l’usage de l’accentuation semble ici aléatoire – tantôt correct tantôt omis.

Également regrettable et incompréhensible, l’absence de tout renvoi à la littérature permettant de contextualiser la météorologie ancienne. Celle-ci ne manque pourtant pas et les Météorologiques connaissent même un regain d’intérêt depuis plusieurs années. Sans exiger des auteurs qu’ils se muent en quelques pages en spécialistes de philosophie ancienne, la lecture de quelques études de référence n’aurait pas été vaine pour la mise en œuvre de leur projet.[1] Les renvois bibliographiques sont ici inexistants, y compris pour les parties consacrées au résumé des connaissances contemporaines en matière de phénomènes météorologiques. Ne s’étant pas pliés à cette exigence élémentaire, les auteurs en sont réduits à des jugements tels que : « Similarly, discussion on shooting stars, comets and Milky Way has nothing to do with weather and meteorology » (p. 1) ; ou à propos du très discuté livre IV : « This book is hardly related to meteorology ; however, it appears that hidden in this discussion is the notion of (thermodynamic) equilibrium that is important in weather processes. » (p. 2) ; « this book has hardly any relevance for meteorology » (p. 105). De la même manière, sont écartées les parties consacrées aux eaux de mer et aux séismes car elles ne relèvent pas du sujet. Nos auteurs découvrent que la météorologie des Anciens n’est pas exactement celle de leurs contemporains, jusque dans sa définition même. On peut parfaitement comprendre que la démarche consiste à ne s’intéresser qu’à la partie de la météorologie ancienne qui fait encore aujourd’hui l’objet de la science dite « météorologique » mais cela suppose quelques explications, un effort de contextualisation qui évitera au lecteur novice – auquel ce livre s’adresse – de penser qu’Aristote ne savait pas définir son sujet. En somme, lorsqu’il se livre à l’élaboration d’un cadre théorique permettant de rendre compte des météores, cadre destiné à faire foi pendant plusieurs siècles, Aristote ne saurait pas bien ce qui relève de la météorologie et introduirait dans son exposé des développements hors sujet. Fort heureusement, nos deux enquêteurs savent expurger le texte et rétablir la vérité.

De manière générale, il ressort de cette lecture que les auteurs ne maîtrisent pas le matériau historique qu’ils étudient et ne se donnent pas les moyens d’y parvenir. En vue d’illustrer la représentation du cosmos qui était celle d’Aristote, ils présentent une planche tirée d’un ouvrage imprimé en 1576 (Thomas Digges, A prognostication everlasting) sur laquelle, joints aux sphères astrales, sont représentés le Paradis, le Purgatoire et l’Enfer ainsi que Jérusalem, dans une disposition qui semble directement inspirée de Dante (s’y retrouve également la forêt obscure). Il s’agit certes de démontrer que l’organisation du cosmos aristotélicienne fut conservée pendant près de 2000 ans mais, sans autre forme de procès – on ne daigne présenter aucune analyse de cette planche, cette illustration est dramatiquement anachronique.

Enfin, si la vulgarisation doit passer par une adaptation du style académique à un lectorat plus large, je ne pense pas qu’elle puisse se satisfaire des trivialités qui peuvent être appréciées dans le cadre d’un cours ou d’une conférence publique mais non dans celui d’une publication rigoureuse. Ainsi à propos des théories coperniciennes et galiléennes et les résistances qu’elles rencontrèrent : « But the tides had changed. Once a theory is solidly demonstrated there is very little to argue about. Today, there is no educated person who thinks otherwise (except those who believe that the Earth is flat ‼!) .» (p. 19) Sur la vapeur présente dans l’air : « Note, however, that here Aristotle does not make a distinction between humidity and relative humidity (like the smart phones !). » (p. 53) De la même manière : « The ancient Greek philosophers and mathematicians were fixed into the ‘romantic’ idea that all phenomena or all maths can be explained starting with a few ‘axioms’. An ‘axiom’ is ‘truth’ that needs no proof. » (p. 64) Je ne sais s’il faut parler de trivialité ou d’observations gratuites et non contrôlées.

Je ne souhaite pas m’étendre davantage sur les manquements accumulés. Je suis désolé pour les auteurs, dont le projet pouvait être légitime. La curiosité comme le désir de vulgariser le savoir sont des démarches intellectuelles qui caractérisent les hommes et les femmes de science ne se cantonnant pas au seul rôle de techniciens de la connaissance. On ne peut qu’approuver l’initiative d’experts s’intéressant à l’arrière-plan culturel et historique de leur champ théorique. Mais de telles démarches ne devraient pas être synonymes d’amateurisme. Nul n’est expert dans tous les champs académiques. Lorsque l’on s’aventure sur des terrains encore inexplorés par soi, le réalisme – ou l’humilité – consistant à s’adjoindre la collaboration de spécialistes est un gage de rigueur. À défaut de cette collaboration, la consultation et l’exploitation des travaux de référence n’est jamais une perte de temps.

Notes

[1] Sans les mentionner toutes, plusieurs synthèses sur le sujet sont aisément accessibles : Taub L. [2003], Ancient Meteorology, Routledge, London-New York ; Ead., [2016], Meteorology, in Irby G. L. (ed.) [2016], A companion to Science, Technology and Medicine in Ancient Greece and Rome, Wiley Blackwell, London ; Cusset Ch. (éd.) [2003], La météorologie dans l’Antiquité entre science et croyance, Mémoires du Centre Jean Palerne, XXV, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne. Et plus généralement sur la démarche aristotélicienne : Leroi A. M. [2014], The Lagoon. How Aristotle Invented Science, Viking, New York.