BMCR 2021.09.20

Josephus Frobenianus: Editions- und Rezeptionsgeschichte des Flavius Josephus im Basler Humanismus

, Josephus Frobenianus: Editions- und Rezeptionsgeschichte des Flavius Josephus im Basler Humanismus. Schweizerische Beiträge zur Altertumswissenschaft, Band 51. Basel: Schwabe Verlag, 2020. Pp. 282. ISBN 9783796541377. CHF 56.00.

Comme l’indique le titre Josephus Frobenianus, le livre d’Andreas Ammann porte sur les éditions de Flavius Josèphe publiées par l’officine Froben. Au premier abord, le sujet peut paraître restreint géographiquement (Bâle) et temporellement (le XVIe siècle).[1] Néanmoins la variété des problématiques soulevées dans ce livre montre qu’il n’en est rien. La ville de Bâle était en effet un centre éditorial de premier plan dans l’Europe du XVIe siècle et accueillait de nombreux humanistes d’envergure. Les Froben étaient la plus importante famille d’imprimeurs de l’époque et leur officine était reconnue pour la grande qualité de ses éditions. L’objectif de cette étude est de montrer pourquoi Bâle est devenu le lieu d’impression le plus important en ce qui concerne Flavius Josèphe et comment les œuvres de l’historien juif s’insèrent dans le programme éditorial de l’officine Froben. Quatre éditions, trois en latin et une en grec, sont au cœur du propos.

Le livre comprend neuf chapitres encadrés par une introduction et une brève conclusion. Les éditions sont examinées dans l’ordre chronologique et soigneusement remises dans leur contexte scientifique et socio-culturel. La structure de ces chapitres n’est pas rigide et s’adapte aux particularités de chaque édition. Le dernier chapitre élargit quelque peu le propos en traitant de points qui concernent la réception humaniste de Flavius Josèphe.

Dans le premier chapitre, consacré à la survie des œuvres de Flavius Josèphe jusqu’en 1524, Ammann traite rapidement de la vie et des œuvres de l’auteur juif ainsi que de sa réception tardo-antique afin d’en venir à un aspect plus important pour la suite du livre : les traductions latines de l’Antiquité et du Moyen Âge, notamment le fameux Josephus Latinus, qui demeure le texte de référence jusqu’à la Renaissance malgré les erreurs qui l’émaillent. La tradition manuscrite est également abordée, sans détails superflus. On constate en outre que les éditions imprimées du Josephus Latinus suivent deux traditions distinctes, dont l’auteur fournit un stemma simplifié et bienvenu pour le lecteur. Bien que le chapitre soit bref, on y trouve les éléments nécessaires à la compréhension des enjeux qui apparaissent dans les chapitres suivants.

Dans le deuxième chapitre, Ammann plante le décor en nous présentant d’abord l’importance croissante de l’imprimerie à Bâle aux XVe-XVIe siècles, puis l’histoire remarquable de l’officine Froben au travers des portraits de Johann Froben et de ses héritiers, Jérôme Froben et Nicolas Episcopius, et enfin Ambrosius et Aurelius Froben. L’auteur ne néglige pas non plus les collaborateurs de l’imprimeur (typographes, graveurs, correcteurs et savants). Parmi eux se distinguent les figures de Beatus Rhenanus et Sigismund Gelenius, qui jouent un rôle central dans l’édition des œuvres de Flavius Josèphe.

On retrouve Rhenanus au chapitre III, où l’auteur entre dans le vif du sujet. Ce chapitre est consacré à la première des quatre éditions de Froben. C’est la dernière édition du Josephus Latinus à paraître sans que les manuscrits grecs ne soient consultés. Comme il le fera dans les chapitres V, VII et VIII où sont examinées les autres éditions, Ammann commence par décrire l’édition elle-même : la structure, les paratextes, les épîtres dédicatoires et les avis au lecteur ; à cela s’ajoute une section sur l’établissement du texte. Une fois ces jalons posés, il analyse les problèmes que soulève l’édition. Dans ce troisième chapitre, c’est l’identité de l’éditeur qui représente l’enjeu principal. S’appuyant intelligemment sur les sources et les travaux de recherche précédents, l’auteur suit la piste qui mène à Beatus Rhenanus. Son raisonnement, bien construit, emporte la conviction, au point que la prudence dont il fait preuve dans sa conclusion peut paraître un brin excessive.

Le chapitre IV est consacré à l’histoire complexe et rocambolesque d’un manuscrit grec de Flavius Josèphe prêté à Froben. Dans ce chapitre digne d’un roman historique, on soulignera la qualité de l’enquête d’Ammann, qui a consulté toutes les sources possibles sur le sujet et en a fait un usage des plus avisés. Sans dévoiler l’intrigue, on relèvera simplement que l’affaire implique notamment le milieu humaniste de Toulouse, l’imprimeur Gryphe à Lyon, Érasme ou encore Rabelais. À cela s’ajoute un flash-back vers le XVe siècle où il est question de deux anciens propriétaires du manuscrit, Francesco Filelfo et Leonardo Giustiniani. Tout au long de ce chapitre, Ammann nous expose les enjeux intellectuels, commerciaux, politiques et religieux qui caractérisent la chasse aux manuscrits à la Renaissance.

On retrouve ce manuscrit et d’autres dans le chapitre V qui porte sur l’édition latine de 1534. L’auteur se focalise cette fois sur la manière dont les manuscrits grecs ont été utilisés pour améliorer le texte latin et sur les conséquences de cet usage pour le textus receptus. L’épître dédicatoire de Gelenius est particulièrement intéressante car elle communique des informations précieuses sur le travail de l’éditeur. Celui-ci intervient de manière plus ou moins importante selon l’état du texte latin transmis : si parfois ce texte ne nécessite que quelques retouches, d’autres fois il doit être reformulé dans un latin plus classique, voire corrigé de manière approfondie. Comme le montre Ammann, la révision d’une traduction latine à l’aide d’un original grec n’a rien de neuf, mais suit une tradition bien établie que les humanistes ont reprise à leur compte. La pratique de la collation était en outre courante dans un milieu bâlois expert en matière de publication du Nouveau Testament et des Pères de l’Église grecs. Après une section sur les manuscrits grecs utilisés, le chapitre se clôt sur le Nachleben de cette édition, qui sera reproduite par d’autres imprimeurs à l’intérieur et à l’extérieur du Saint-Empire romain germanique.

Les remarques finales du chapitre précédent permettent à l’auteur d’amener un sujet presque aussi passionnant que celui du manuscrit grec, à savoir le procès intenté par Jérôme Froben et Nicolas Episcopius aux imprimeurs de Cologne, Gottfried Hittorp et Eucharius Cervicornus, pour avoir reproduit une édition de Flavius Josèphe protégée par un privilège impérial. Ce sixième chapitre a le mérite de présenter un aspect rarement abordé dans les études sur l’édition humaniste. Une fois encore, l’auteur a eu recours à un nombre considérable de sources pour retracer ce procès, dont on ignore l’issue. Cependant, l’hypothèse d’un règlement du conflit à l’amiable avancée par Ammann est convaincante au vu des éléments présentés. Parmi les aspects les plus frappants de cette enquête, on relèvera l’intervention de plusieurs intermédiaires tant pour obtenir des privilèges d’impression que pour servir de médiateurs entre les imprimeurs en conflit. Cela en dit long sur l’étendue et l’influence des réseaux qui entouraient les grandes imprimeries comme celles de Froben. Le retentissement de ce procès semble en tout cas avoir découragé toute tentative ultérieure de reproduire illégalement les œuvres Flavius Josèphe à l’intérieur du Saint-Empire.

Dans le chapitre VII, il est question de l’édition grecque de Flavius Josèphe publiée en 1544, qui est également l’editio princeps des œuvres de l’historien juif. Ammann étudie les liens qui unissent les artisans de ce travail, c’est-à-dire l’imprimeur Jérôme Froben, le collectionneur de manuscrits Diego Hurtado de Mendoza et l’éditeur Arnoldus Arlenius, qui sert également d’intermédiaire dans l’acquisition de manuscrits par les imprimeurs bâlois. Plusieurs de ces manuscrits existent encore et ont ainsi permis à Ammann de retracer le processus d’établissement du texte. Bien qu’Arlenius soit l’auteur de l’épître dédicatoire, la question se pose de savoir s’il est véritablement l’éditeur du texte. Grâce à un examen attentif des annotations des humanistes dans les manuscrits, il s’avère que le rôle de Gelenius a été au moins aussi important, voire davantage, que celui d’Arlenius. D’autres documents sont examinés en parallèle de l’édition, comme l’index établi par Jean Ribit. Le chapitre se termine par une étude de la réception de cette édition chez Sébastien Castellion et Godefroy Tilmann.

L’examen des éditions frobéniennes se clôt au chapitre VIII avec la traduction latine de Gelenius parue en 1548. En effet, les efforts fournis précédemment pour publier le texte grec devaient aussi permettre la publication d’une nouvelle traduction latine plus fiable, de manière que ce travail soit rentable à la fois pour la République des Lettres et pour les imprimeurs. En matière de traduction, deux critères importent à Gelenius : la fides (fidélité à l’original) et la perspicuitas(la clarté de la traduction). Ammann explique avec soin d’où provient cette conception de la traduction. Sa comparaison entre la traduction tardo-antique et celle de Gelenius, illustrée par un exemple, nous permet de mesurer les progrès effectués par l’humaniste dans la compréhension du texte grec. L’exposé se poursuit avec l’examen des nombreuses réimpressions dues au succès des éditions auprès du public. La dernière édition bâloise de 1582, en particulier, révèle les exigences de l’humanisme tardif en matière d’édition de textes (pagination particulière, indication de dates). Ammann donne deux exemples d’usage immédiat de la traduction de Gelenius, l’un dans les ouvrages d’histoire ecclésiastique catholiques et protestants, l’autre chez l’helléniste Isaac Casaubon. Les enjeux de ces réutilisations résident notamment dans les divergences qui existent entre certains passages des Saintes Écritures et le récit de Flavius Josèphe, mais aussi dans le fait que les historiens de l’Église suivent la traduction de Gelenius et non l’original grec.

Le neuvième et dernier chapitre concerne justement la problématique de l’utilité de Flavius Josèphe comme source pour les humanistes et la vision qu’ont ces derniers de la langue et du style de l’historien juif. S’il est considéré la plupart du temps comme un historien fiable, il est aussi reconnu pour sa maîtrise des langues, son savoir philosophique et religieux, et surtout sa connaissance de l’Ancien Testament. Il est ensuite question des usages anciens et récents de ses œuvres, depuis l’explication de la Bible jusqu’à l’éducation humaniste. L’étude éclairante d’Ammann sur les annotations manuscrites d’Ulrich Zwingli illustre parfaitement les préoccupations du lecteur humaniste. Il explique que l’accès à l’original grec a permis aux humanistes de mieux connaître les œuvres de Flavius Josèphe et aussi de mieux apprécier ses qualités stylistiques. La publication tardive de l’editio princeps grecque est avant tout due au succès des versions latines et au fait que les auteurs ecclésiastiques comme Josèphe étaient lus avant tout pour leur contenu, et non pour leurs qualités esthétiques.

Dans sa conclusion, Ammann revient sur l’évolution des éditions, souligne leur long Nachleben, met en avant le rôle essentiel de l’humanisme biblique dans la redécouverte de Flavius Josèphe et l’importance des collaborations entre imprimeurs, mécènes, humanistes et juristes. La figure de Gelenius se détache nettement au vu de son implication dans les éditions frobéniennes. Ammann constate le plus grand succès des éditions latines par rapport à l’édition grecque et l’explique par le fait que la plupart des lecteurs ne maîtrisaient pas le grec. Il rappelle également les nouvelles lectures humanistes de Flavius Josèphe et montre que le retour à l’original grec a permis une meilleure appréciation de ses œuvres. Selon l’auteur, ces remarques sont aussi valables, mutatis mutandis, pour d’autres auteurs publiés chez Froben à cette période.

L’ouvrage comporte une annexe : la lettre de Jérôme Froben à Wolfgang Musculus (avec traduction) mentionnée au début du chapitre VIII. Les illustrations, qui représentent des pages de manuscrits et d’éditions, sont peu nombreuses mais judicieusement choisies. Une liste utile des éditions grecques et latines de Flavius Josèphe précède commodément la bibliographie. Un index recense les passages cités de Flavius Josèphe et un autre renvoie aux noms des personnes mentionnées.

Très peu d’erreurs typographiques sont à signaler : « confession[n]els » dans une citation en français (p. 94) ; Forbenii au lieu de Frobenii (p. 237). Il y a également une erreur de numérotation des sections au chapitre VII : on devrait avoir 7.1.1 et 7.1.2 au lieu de 7.2.1 et 7.2.2 (p. 173 et 175).

De manière générale, l’ouvrage d’Ammann est intelligemment structuré, de sorte qu’on suit aisément sa réflexion. L’auteur n’entre pas dans des détails inutiles qui risqueraient d’alourdir son propos, ce qui ne l’empêche pas de maîtriser les aspects techniques de sa recherche. N’étant pas germanophone, je ne peux guère juger du style de l’auteur, mais son texte m’a paru tout à fait compréhensible et sa pensée est clairement articulée. Nul doute que, comme le désire l’auteur, son étude sera le point de départ d’autres recherches sur l’influence de Flavius Josèphe au XVIe siècle.[2]

Notes

[1] La publication de ce livre a été soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, de sorte que la version e-book (pdf) est disponible gratuitement ici : Schwabe Verlag: Josephus Froebenianus.

[2] Sur l’usage de l’historien juif à la Renaissance, on peut signaler deux études récentes qui n’apparaissent pas chez Ammann, probablement parce qu’elles ne sont pas directement utiles à son propos : Stephen Murphy, « Aubigné, Josephus, and Useful Betrayal », dans Itineraries in French Renaissance Literature: essays for Mary B. McKinley, éd. Jeff Persels, Kendall Tarte, et George Hoffmann Leiden, Brill, 2018, p. 266-279; Katja Vehlow, « Fascinated by Josephus: Early Modern Vernacular Readers and Ibn Daud’s Twelfth-Century Hebrew Epitome of Josippon », Sixteenth Century Journal 48-2 (été 2017), p. 413-435.