BMCR 2021.07.30

Basileus e Basileia. Forme e luoghi della regalità macedone

, Basileus e Basileia. Forme e luoghi della regalità macedone. Thiasos Monografie, 14. Rome: Edizioni Quasar, 2020. Pp. 438. ISBN 9788854910478. €50,00.

Si la Macédoine antique a suscité, très tôt, un intérêt soutenu, comme en témoignent les deux impressionnants volumes de l’archéologue Léon Heuzey et de l’architecte Honoré Daumet, Mission archéologique de Macédoine, publiés à Paris en 1876, il aura fallu attendre les années soixante-dix du siècle dernier, avec la découverte des extraordinaires tombes d’Aigai/Palatitsa/Vergina et la reprise des recherches archéologiques, préventives ou programmées, sur le site des anciennes capitales du royaume macédonien pour prendre enfin toute la mesure du rôle déterminant de cette région, berceau de la civilisation hellénistique. L’intérêt envers elle ne s’est jamais démenti depuis.[1] Au travers des sources historiques, littéraires et archéologiques, cet ouvrage – dont le titre aurait pu être, plus justement, Basileis e basileia, puisqu’il n’est pas sûr que la forme de royauté exercée par Philippe II ait été exactement la même que celle des diadoques, s’interroge sur le véritable cœur du régime macédonien, de Philippe II à Démétrios Poliorcète : le roi et sa résidence, ici envisagés, au prisme de la figure rhétorique de l’hendyadis, comme un tout formé d’un space et d’une place (p. 24).

L’introduction relève le lien étroit établi entre le corps du souverain et son palais, en fonction d’un rapport intime entre personne et fonction rigoureusement codifié dans le cadre d’un kosmos universel, que l’auteur entend approfondir à partir de l’étude de trois palais royaux macédoniens : ceux de l’ancienne capitale, Aigai, de Pella et de Demetrias, la cité fondée en Thessalie par Démétrios Poliorcète en 293 av. J.-C. Mais l’auteur convoque aussi d’emblée, outre l’art de la mémoire, tout un ensemble de références littéraires – de Hugo à Borges –, architecturales – d’Alexandrie[2] à la domus Flavia – et artistiques – de Piranèse à Escher –, en explorant les rapports entre le basileion et un labyrinthe dont le centre idéal serait occupé par le souverain – une idée dont il suit le cheminement jusqu’aux jardins de la villa d’Este et au palais de Versailles.

L’ouvrage se compose de cinq chapitres de longueurs très inégales (de 35 à 147 pages), comportant plus de 1500 notes. Le premier, Forme e luoghi della regalità macedone (p. 27-52), s’attache à démontrer les spécificités du « système palatial » macédonien qui, tout en dépassant les clivages antérieurs classiques opposant la Perse à la Grèce, vise à renforcer l’interaction entre le roi et ses sujets – au détriment, pourrait-on observer, de la sphère sacrée, puisque la Macédoine ne compte pas alors de grande réalisation dans le domaine de l’architecture des temples. Une étude historiographique de la notion de palais hellénistique et de la terminologie qui s’y rapporte replace ensuite le cas macédonien dans un contexte géographique et chronologique plus large.

Le deuxième chapitre, Il mondo dei palazzi ellenistici (p. 53-150), retrace d’abord le cadre de la société macédonienne, très largement militarisée, dans laquelle se déroulait la vie du basileus, chargé kata nomon de trois principales fonctions, qu’il réside en son palais ou – en campagne – sous une tente : le déroulement des sacrifices ; l’administration de la justice ; le commandement militaire.[3] Un tour d’horizon des résidences de prestige antérieures en Anatolie, en Asie Mineure, mais aussi en Italie – en particulier le palais de Denys l’Ancien à Syracuse –, permet de dégager la dette du monde macédonien envers ces exemples, tout en relevant une constante dans ces différents édifices : la présence d’une vaste cour quadrangulaire à portiques, qui était appelée à exercer une influence considérable sur l’architecture romaine.

Le troisième chapitre, La Macedonia : i re, i basileia, le città (p. 151-284), fait retour sur la Macédoine au travers des trois principaux cas d’étude retenus. Pour Aigai, l’auteur conteste l’hypothèse selon laquelle le palais ne serait qu’un vaste andron, confronte ses différentes restitutions, et propose d’en abaisser la datation, au plus tôt, au règne d’Alexandre III (p. 196). L’énorme (80.000 m2) palais de Pella, capitale du royaume probablement dès la fin du Ve siècle, fait l’objet d’une étude architecturale minutieuse qui cherche à démêler la fonction spécifique des cinq cours à portiques dont il se compose et propose, là aussi, d’abaisser sa datation à l’extrême fin du IVe siècle, au début du règne de Cassandre (p. 222-224).

La question de la nature du contact entre le souverain et son peuple se pose de manière aiguë à propos de l’architecture de la façade de ces deux palais, en particulier du mieux connu d’entre eux, celui d’Aigai.

Restitution de la façade du palais d’Aigai
Fig. 1. Restitution de la façade du palais d’Aigai (S. Descamps-Lequime, K. Charatzopoulou, Au royaume d’Alexandre le Grand. La Macédoine antique, cat. d’expo., Paris, 2011, fig. 51)

Comment expliquer, en effet, l’invention d’une architecture révolutionnaire – centrée sur des propylées formés de deux étages à colonnes surmontés par un fronton affirmant la sacralité de l’autorité royale – si la loggia ainsi créée était entièrement fermée par de fausses fenêtres (fig. 1), comme on s’accorde à le penser aujourd’hui, et comme le suppose aussi l’auteur (p. 171)? Alors que cette façade a certainement inspirée celle de la tombe du Jugement à Lefkadia[4], celle-ci a été utilisée, mais abusivement, pour restituer la façade du palais d’Aigai, alors que ces deux édifices répondent à des nécessités complètement différentes : dans un monument funéraire, le contrôle des accès, toujours limité à une porte, est crucial, et il est normal que la loggia présente des fenêtres rigoureusement closes. Dans le cas du palais d’Aigai, cette solution serait absurde : les quelques fragments de fausses fenêtres retrouvés dans la fouille pourraient être replacés ailleurs sur la façade, comme le proposait du reste déjà Dimitrios Pandermalis en 1976.[5] On est donc beaucoup plus fondé à supposer une solution architecturale analogue à celle des propylées du téménos du temple d’Athéna à Pergame, postérieurs d’au moins un siècle, et qui sont entièrement ouverts sur l’extérieur.

Enfin, l’étude détaillée du palais thessalien de Démétrios Poliorcète à Demetrias est complétée par celle d’une dizaine d’autres fondations dynastiques macédoniennes. Ce chapitre, dans lequel l’architecture des palais est opportunément replacée dans le cadre du développement de leurs poleis respectives, qu’ils dominent, et au fil de la construction de l’État macédonien, est complété de 25 planches qui constituent une documentation importante et en partie nouvelle pour ce qui concerne ceux de Pella et de Demetrias (fig. 3.19 et 22).

Le quatrième chapitre, Analisi funzionale dei palazzi ellenistici (p. 285-354), propose une lecture des palais macédoniens au travers de leurs aspects « publics » et « privés » – une distinction discutée et relativisée plus haut par l’auteur (« contesto ibrido di funzioni pubbliche e private », p. 31 ; voir aussi p. 129) : vestibule, couloirs et espaces de représentation, péristyle(s), avec une étude détaillée de la Dreiraumgruppe héritée de la cour perse, et considérée comme typique d’un certain nombre de palais macédoniens – mais qui n’est pas attestée à Pella. Il s’achève par un retour sur le tetrapyrgion de Demetrias, qui offre un exemple particulier de combinaison entre un palais et une forteresse.

Tombe rupestre étrusque de Grotte Scalina
Fig. 2. Tombe rupestre étrusque de Grotte Scalina, près de Musarna, restitution préliminaire (Benjamin Houal, Atelier 3D, Grenoble).

Le cinquième chapitre, Il basileion in Macedonia (p. 355-394), reprend et compare les données relatives aux trois principaux palais considérés, aux questions posées par leur datation et par leurs modèles d’origine, et revient sur leur influence sur l’architecture palatiale et privée du monde hellénistique, et au-delà.[6] Nous en avons aujourd’hui de nouveaux témoignages au sein de l’aristocratie étrusque avec la tombe de Grotte Scalina près de Musarna (fig. 2) et la tombe Lattanzi de Norchia, du dernier quart du IVe siècle av. J.-C.,[7] qui reproduisent, pratiquement à la même échelle, les propylées des palais d’Aigai et de Pella. Compte tenu de l’influence considérable exercée par cette architecture, il ne serait pas absurde de soutenir que la façade néoclassique (fig. 3) dessinée par l’architecte munichois Friedrich Wilhelm von Gärtner comme résidence du souverain bavarois Othon Ier de Grèce (1832-1862)[8], imaginée pour restituer à la Grèce sa grandeur passée, représente un développement ultérieur de principes codifiés en Macédoine dans le courant de la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C. – à ceci près que la façade de cet édifice, conçu sur trois niveaux, se développe sur une bien moindre longueur (une centaine de mètres) que celle du palais de Pella (160 m).

Fig. 3. Façade du palais d’Othon Ier à Athènes, place Syntagma.
Fig. 3. Façade du palais d’Othon Ier à Athènes, place Syntagma.

L’ouvrage, soigneusement édité (parmi de rares coquilles, p. 105, « elitès » pour « élites ») est complété par une bibliographie riche de plus de 600 titres, par de nombreux tableaux, par un index des sources et par un index général.L’illustration, entièrement en noir et blanc, a été soigneusement sélectionnée – on peut seulement regretter, dans quelques cas, l’absence d’échelle (ou sa faible lisibilité) sur les plans, surtout lorsque la figure rassemble, pour les comparer, différents édifices (p. ex. fig. 4.4, 4.16, 4.38).

Le cadre de réflexion offert par l’auteur est très vaste, les questions soigneusement contextualisées et souvent abordées sous un angle nouveau à partir d’une très riche documentation. Une difficulté peut naître à la lecture de l’ouvrage dès lors qu’il traite souvent simultanément ce qui (aussi bien dans les institutions que dans les réalisations architecturales) concerne la seule Macédoine, et ce qui a trait, plus généralement, aux palais des rois ou des tyrans, avant ou après l’époque hellénistique. Sans doute aurait-il été préférable de regrouper dans une première partie tout ce qui se rapporte au dossier archéologique et au contexte social et politique proprement macédonien, ici dispersé entre les chapitres 1, 3 et 5, en renvoyant à une seconde partie la question des antécédents et des héritiers de l’expérience macédonienne.

Cet ouvrage, qui suscite une multiplicité d’interrogations et rassemble une documentation auparavant dispersée, est appelé à enrichir profondément le débat sur la société macédonienne et ses palais – notamment en ce qui concerne la datation de ceux d’Aigai et de Pella, dont l’analyse exigerait à présent de reposer sur un dossier planimétrique et stratigraphique solide.

Notes

[1] En tout dernier lieu, M. Grawehr, Ch. Leypold, M. Mohr, E. Thiermann (dir.), Klassik – Kunst der Könige. Kings and Greek Art in the 4th Century B.C., Rahden, 2020 (en particulier la contribution de M. Schmidt-Dounas, Makedonien am Wendepunkt, p. 93-112). Francesco Maria Ferrara faisait partie, avec Enzo Lippolis et Pietro Vannicelli, des organisateurs d’un colloque qui s’est tenu à Rome les 14 et 15 décembre 2017, La Macedonia Antica e la nascita dell’Ellenismo alle origini dell’Europa, en cours de publication : Convegno Internazionale programme.

[2] Les palais d’Alexandrie ont fait l’objet, cette même année, d’une publication de synthèse : S. Riedel, Die Basileia von Alexandria.Topographisch-urbanistische Untersuchungen zum ptolemäischen Königsviertel, Turnhout 2020. Sur le rapport entre les deux régions, en dernier lieu, A. Kottaridi, Macedonian elements in Alexandria, dans Ch. S. Zefros, M. V. Vardinoyannis (dir.), Hellenistic Alexandria. Celebrating 24 centuries, Oxford, 2018, p. 39-50.

[3] Les sources sont avares d’informations sur la place de la femme macédonienne, eût-elle été basilissa (p. 67).

[4] Pour les tombes macédoniennes, évoquées à différentes reprises dans le volume, on ajoutera à la bibliographie la référence incontournable à H. von Mangoldt, Makedonische Grabarchitektur: die makedonischen Kammergräber und ihre Vorläufer, Tübingen, 2012.

[5] Beobachtungen zur Fassadenarchitektur und Aussichtsveranda im hellenistischen Makedonien, dans P. Zanker (dir.), Hellenismus in Mittelitalien, II, Göttingen, 1976, p. 387-397; l’auteur publie un fragment de balustrade qui a pu appartenir à la loggia des propylées.

[6] Parmi les hypothèses évoquées à propos de la mystérieuse tholos du palais d’Aigai (p. 367), en dernier lieu, celle d’une salle destinée à abriter l’omphalos, centre du nouveau monde macédonien, entouré des statues des douze Olympiens, a été proposée par V. Jolivet et B. Houal : Sphinx, lion ou chimère ? Le “monstre” de la tombe Lattanzi à Norchia, dans P. Pelagatti, R. Salibra (dir.), Per Françoise Fouilland. Scritti di archeologia, Athènes, 2021 (ASAtene, suppl. 9), p. 261-280.

[7] Voir la synthèse préliminaire figurant dans M. P. Donato, V. Jolivet (dir.), Eredità etrusca. Il caso singolare della tomba monumentale di Grotte Scalina, Vetralla, 2018.

[8] Sur ce palais, largement inspiré d’un projet à double colonnade conçu par Leo von Klentze, voir Y. Tsiomis, Athènes à soi-même étrangère. Naissance d’une capitale néo-classique, Paris, 2017, p. 206.