BMCR 2021.06.25

Ancient music in antiquity and beyond: collected essays (2009-2019)

, Ancient music in antiquity and beyond: collected essays (2009-2019). Beiträge zur Altertumskunde, Band 381. Berlin; Boston: De Gruyter, 2020. Pp. xvi, 306. ISBN 9783110664218. $114.99.

Cet ouvrage prend la suite d’une précédente publication[1] du même type, qui réunissait déjà un florilège d’articles (antérieurs à 2009) du même auteur et reflétant l’éclectisme et l’étendue des champs de recherche abordés par Egert Pöhlmann. Ce nouvel ouvrage constitue un second volume de choix d’articles parus entre 2009 et 2019.

Contrairement à l’ouvrage de 2009, dont le titre « Gegenwärtige Vergangenheit » met l’accent sur le dialogue entre Antiquité et époque moderne, ce second volume annonce un choix centré davantage sur l’étude et la connaissance de la musique. La question de la musique antique et médiévale constitue l’un des domaines de recherche principaux d’E. P., si bien que ce second volume de choix semble correspondre d’emblée aux attentes des lecteurs.

Sur les quinze articles présentés, la plupart ont fait l’objet d’une présentation lors d’un séminaire du groupe MOISA.[2]Cette caractéristique commune explique que les articles ici présentés revêtent un caractère extrêmement synthétique et pédagogique, qui s’apparente davantage à une revue des données disponibles sur un problème spécifique qu’à l’exposé d’une nouvelle thèse. Il faut cependant préciser que souvent, lorsqu’il aborde certains points qui font débat, E. P. présente en général la thèse à laquelle il souscrit sans préciser l’ampleur ni la teneur des débats qui l’entourent.

Sont abordées aussi bien des questions d’analyse philologique, musicale ou métrique qu’historiques, diachroniques et archéologiques. La table des matières permet d’embrasser l’étendue et la diversité des sujets abordés, mais ne laisse pas reconnaître a priori de principe guidant l’ordre des articles :

1/ p. 1-18 “Pseudo-Plutarch, De Musica”
2/ p/ 19-35 “Twelve Chordai and the strobilos of Phrynis in the Chiron of Pherecrates (PCG F 155)”
3/ p. 37-46 “Pythikos and the Polykephalos Nomos”
4/ p. 47-58 “Antike Bildersprache im Kirchenlied”
5/ p. 59-75 “The Oldest Greek Papyrus and Writig Tablets”
6/ p. 77-91 “Chapters about music on the stage in the Pseudo-Aristotelian Problems”
7/ p. 93-110 “The tradition of Ancient Greek Music in the Middle Ages and the Renaissance”
8/ p. 111-125 “Ambrosian Hymns : Evidence for Roman Music of Late Antiquity”
9/ p. 127-139 “The Monody of the Hoopoe in Aristophanes’ Birds 227-262”
10/ p. 141-152 “Ἀνωνύμου σύγγραμματα περὶ μουσικῆς (Anonymi Bellermann)”
11/ p. 153-182 “Aristoxnus of Tarentum, Life and Works”
12/ p. 183-205 “The Chapter de voce (περὶ φωνῆς) in Ancient Musicology and Rhetorics from Aristoxenus to Dionysius of Halicarnassus”
13/ p. 207-225 “The Alphabet Comedy of Callias of Athens in Athenaios’ Deipnosophistai”
14/ p. 227-250 “The Regain of Ancient Greek Music and the contribution of Papyrology”
15/ p. 251-278 “Pausanias Periegesis vol. I, Sources, Structure and Importance for Ancient Greek Music”

Le livre propose une mise à disposition commode d’un ensemble de contributions d’un même auteur. Il sera particulièrement utile à toute personne cherchant une introduction claire, concise et précise à une problématique de recherche, ou au travail de cet érudit. On appréciera également la reproduction de planches de bonne qualité en fin de volume, ainsi que l’effort d’unification des références bibliographiques, qui permet de rassembler l’ensemble des articles d’E.P. en fin de volume, à la suite d’un Curriculum Vitae succinct. De plus, quatre articles ici publiés sont encore inédits, ce qui rend leur présence dans cet ouvrage d’autant plus intéressante (il s’agit des articles 6, 13, 14 et 15). L’ensemble des articles possède un caractère didactique évident, que nous soulignons d’emblée. E. P. prend soin de contextualiser le sujet qu’il s’apprête à traiter, permettant ainsi à un lecteur qui n’en serait pas déjà familier d’arriver progressivement à la problématique. Pour qui la matière en revanche est connue, la bibliographie succincte et le choix de ne pas faire de revue historiographique complète peuvent s’avérer décevants. Le lecteur idéal qu’envisage l’auteur est un chercheur confirmé ou un étudiant avancé, mais non-spécialisé dans le champ de la recherche archéo-musicologique. La lecture présuppose une certaine familiarité avec les études antiques, mais les sources et références sont introduites de manière à servir d’introduction progressive au sujet traité.

En somme, il n’y a guère de choses neuves dans ce livre. Il s’agit d’une synthèse de synthèses, dont la première utilité est pratique. Les articles 7 (les sources grecques sur la musique au Moyen-âge et à la Renaissance), 10 (Sur les Anonymes de Bellermann) et 11 (L’œuvre d’ensemble d’Aristoxène de Tarente) ont en commun de présenter des synthèses particulièrement claires. L’article 7 est très utile pour donner des points de repère solides dans une histoire longue de l’étude des textes musicographiques grecs en tant qu’objet d’érudition. La synthèse sur les traités anonymes dits « de Bellermann » (d’après leur premier éditeur) permet de comprendre l’organisation d’un texte très complexe, aux multiples strates de composition et à la transmission problématique. On trouve p. 146 une clarification extrêmement bien venue sur la divergence d’analyse entre E. P. et Najock, qui n’est qu’apparente : les deux érudits ne s’intéressent pas exactement à la même question. Ces articles auraient sans doute gagné à être placés plus haut dans l’ouvrage, notamment l’article 7 : il permettrait au lecteur de s’orienter plus facilement dans les autres articles.

On soulignera l’importance de l’article 14, qui présente l’apport de la papyrologie et des découvertes récentes qui permettent d’enrichir le corpus de partitions antiques connues. Cet article est à mettre en relation avec l’une des contributions majeures d’E. P. à la connaissance de la musique grecque antique, son ouvrage coécrit avec M. L. West Documents of Ancient Greek Music.[3] L’article vient souligner fort à propos quelles découvertes récentes permettent d’enrichir le corpus déjà connu de partitions.

On pourra seulement regretter que l’auteur ne fasse aucunement état de questions très épineuses, qu’il présente comme tranchées : la datation de la mélodie, quand celle du texte est connue, est-elle identique à cette dernière, ou peut-elle être le fruit d’une « recomposition » musicale plus tardive sur un texte célèbre ? En d’autres termes, si le texte de la Médée de Carcinos le Jeune (Pap. Louvre E 10534) est attribuable au IVè s. av. J.-C. grâce à un témoignage d’Aristote, la musique que comporte le papyrus pourrait-elle être plus récente (la date du document fournissant un terminus ante quem au IIè s. ap. J.-C.) ? La question doit être posée, mais la réponse univoque et affirmative sur la base de critères stylistiques et esthétiques, au regard du peu de sources dont nous disposons, gagnerait en justesse scientifique si elle était formulée avec plus de prudence. De fait, la conclusion à laquelle parvient E. P., qu’il s’agit d’une composition plus tardive destinée à transformer le rôle de Médée « for solistic performance » (p. 245) semble en étrange contradiction avec le document lui-même, qui conserve les parties parlées des autres personnages. Les analyses d’A. Bélis et le problème d’identification du personnage chantant la seconde partie avec notation musicale ne sont pas discutés, mais simplement passés sous silence.

C’est parce que la visée première est d’ordre didactique et synthétique qu’on peut regretter un certain nombre de détails qui témoignent d’une conception probablement trop hâtive de l’ouvrage. A titre d’exemple, le premier article, consacré aux sources du De Musica transmis sous le nom de Plutarque, présente dès la première ligne une omission malencontreuse : la date d’apparition de la notation musicale est indiquée par « la toute fin du Ve siècle » (p. 1) en omettant la précision « BC » : pour tout lecteur non-spécialiste, c’est une source de confusion regrettable, puisqu’une pratique de notation est attestée dès l’époque classique.

L’article 2 examine le fragment du Chiron de Phérécrate, et propose d’interpréter les strobiloi comme une allusion à l’invention de chevilles pour remplacer les collopes en cuir. L’argumentation est menée de façon très claire et convaincante. Cependant, au cours de la démonstration, la note 11 p. 20 permet de comprendre qu’une partie du raisonnement se fonde à ce moment sur une correction textuelle, ce qu’il eût été nécessaire de préciser dans le corps du texte. Il faut se reporter à la note 43 p. 25 pour lire d’autres propositions de restitution du texte du De Musica, mais E. P. ne justifie pas pourquoi il préfère l’édition de Westphal ici (ou pourquoi il rejette la proposition Weil-Reinach ; le choix de Lasserre[4] n’est pas même mentionné). Sans cette justification, l’interprétation et la correction textuelle semblent former un cercle tautologique, se justifiant mutuellement, ce qui affaiblit considérablement l’argumentation développée.

Consacré aux problemata aristotéliciens sur la musique, l’article 6 s’apparente davantage à une promenade dans l’œuvre. Plus qu’une démonstration argumentée, c’est une présentation de quelques problématiques, et une mise en relation d’un choix de problèmes entre eux ou avec d’autres textes avec lesquels ils partagent visiblement des sources. Nulle part l’auteur ne souligne la valeur spécifique de ces problemata, qui, grâce aux présupposés induits par la manière de poser la question, constituent un témoignage très fiable pour l’histoire de la perception musicale et un reflet de réalités historiques qui souvent nous échappent. La bibliographie, qui renvoie principalement à Flashar[5], n’est pas vraiment récente[6]. Bien qu’elle soit postérieure à la conférence initiale, l’étude d’envergure éditée par R. Mayhew[7] (2015) aurait pu être mentionnée à la faveur de la première publication de l’article, et figurer en bibliographie. Cela est d’autant plus regrettable que c’est précisément à l’édition Loeb de 2011, établie par Mayhew, que se réfère E. P. pour citer le texte. Le choix de ne pas mettre à jour la bibliographie s’avère, dans ce cas présent, plutôt gênant.

Cet article nous a semblé le plus décevant dans son approche : la déambulation dans le corpus reste assez superficielle pour les analyses qui en sont dégagées. La mise en relation du Problema XIX, 48 avec Horace (p. 81) tourne court, et ne débouche sur aucune conclusion précise sur l’histoire des textes. P. 82, l’analyse de ce qu’est (ou non) la parakatalogêaurait mérité un exposé plus complet : l’auteur ne semble pas vouloir analyser précisément le jeu des prépositions entre para et hypo pour décrire un accompagnement musical de parties iambiques, ni faire état des différentes hypothèses concernant justement le lien entre musique et trimètres iambiques. On aurait aussi aimé voir développée un peu plus que dans la dernière phrase la question des sources et parallèles : il n’est pas anodin d’expliquer un texte aristotélicien par un recours au Ps-Psellos.

Enfin, on s’explique mal la présence du dernier article, qui examine la progression de la description d’Athènes par Pausanias. Les questions musicales sont abordées brièvement p. 255, mais ne concernent pas le Livre I de Pausanias, auquel est consacré la majeure partie de l’article. La teneur de l’article, qui explore le trajet parcouru par Pausanias dans sa Description de l’Attique, n’entre pas dans la thématique d’ensemble du recueil.

Sans mettre en doute l’utilité d’une telle publication, on se doit de souligner un certain nombre de détails matériels qui, à la longue, irritent le lecteur, à commencer par le nombre de fautes de typographie (croissant vers la fin). Alors que la présentation des différentes sections est unifiée dans tous les articles, on ne comprend pas pourquoi les références au contexte de première présentation de chaque conférence manquent pour les articles 5 et 7, et la date pour l’article 15, ni pourquoi les titres des œuvres anciennes ne sont pas systématiquement en italiques (pour sa facilité de lecture, on aurait apprécié que cette convention ne soit pas appliquée uniquement dans les derniers articles).

On regrette enfin que la préface n’explicite aucunement les choix opérés, ni pour celui des articles, ni pour l’ordre dans lequel ils sont présentés. Seule la lecture attentive de la bibliographie finale permet de se rendre compte que l’ordre suit celui des publications effectives de chaque conférence – ce choix aurait gagné à être justifié en préface, et explicité par un rappel des références de publication originale au début de chaque article. Cependant, au regard de la diversité des thématiques abordées, la première impression est celle d’un désordre complet : un ordre plus didactique, ou du moins respectant à peu près la chronologie des sujets et auteurs abordés, aurait été judicieux, et aurait grandement contribué à donner un caractère plus organique et plus cohérent à ce recueil.

Notes

[1] E. Pöhlmann, Gegenwärtige Vergangenheit. Ausgewählte Schriften, De Gruyter, Berlin/New-York 2009.

[2] MOISA : International Society for the Study of Greek and Roman Music and its Cultural Heritage (https://www.moisasociety.org).

[3] E. Pöhlmann, M. L. West, Documents of ancient Greek music: the extant melodies and fragments edited and transcribed with commentary, Oxford Clarendon Press, 2001.

[4] F. Lasserre, Plutarque, De la musique : Texte, traduction et commentaire (…), Bibliotheca Helvetica Romana, Urs Graf-Verlag, Lausanne, 1954.

[5] H. Flashar, Aristoteles Problemata Physica, übersetzt von H. F., Akademie-Verlag Berlin, 1975.

[6] On aurait pu s’attendre à ce que des contributions plus récentes soient mentionnées, comme B. Centrone, Studi sui « Problemata Physica » aristotelici, Bibliopolis, Napoli, 2011.

[7] R. Mayhew, The Aristotelian “Problemata physica” philosophical and scientific investigations, Brill, Leiden/Boston 2015.