BMCR 2021.03.47

Le Sanctuaire d’Apollon à Délos. Tome II: Les monuments votifs et honorifiques (sans toit)

, Le Sanctuaire d’Apollon à Délos. Tome II: Les monuments votifs et honorifiques (sans toit). Exploration archeologique de Delos, XLV. Athènes: École Française d'Athènes, 2019. Pp. 200; 110 p. of plates. ISBN 9782869583061. €90,00.

Après le premier volume , « architecture, topographie et histoire » (2015) dirigé par Roland Etienne, Frédéric Herbin donne ici l  la deuxième publication de synthèse du sanctuaire d’Apollon à Délos, consacré aux monuments votifs et honorifiques (sans toit). Cette double catégorie compte près de  200 édifices qui ont en commun leur morphologie : piédestaux, statues et trépieds. Tous ont une emprise au sol très faible. L’auteur se refuse à traiter séparément ceux qui sont votifs et ceux qui sont honorifiques car cela n’apporterait rien à l’analyse, les deux fonctions étant tellement proches entre elles qu’elles adoptaient indifféremment l’une ou l’autre des formes matérielles. Une bonne partie des monuments se résument à leurs fondations qui permettent d’en reconstituer l’existence et parfois l’aspect général (édifice circulaire ou quadrangulaire) même quand le monument lui-même a disparu.

Après une introduction lexicographique, historiographique et méthodologique, l’ouvrage se divise en trois chapitres : inventaire, chronologie, typologie.

L’inventaire procède en suivant une division topographique de quatre zones à l’intérieur du sanctuaire : le parvis de l’Autel des cornes, la « voie sacrée », la façade sud du portique d’Antigone, enfin les zones périphériques (zone des Trésors et du Monument des taureaux).

Le deuxième chapitre aborde la question de leur datation qui est rendue très difficile par la disparition d’une bonne partie d’entre eux. Aussi l’auteur passe-t-il prudemment en revue tous les critères disponibles : matériaux, techniques de construction, moulures. Les indications fournies par ces différentes catégories sont très inégales : ainsi, c’est le recours à des matériaux importés (marbre pentélique, granit égyptien) qui donne, dans certains cas, un indice, à compléter par les indices techniques (forme des scellements, en particulier). La prise en compte des fondations de monuments disparus et la possibilité d’en dater certaines enrichit le catalogue des édifices datés bien que disparus. Enfin un bon de moulures, près de 140, sont datables grâce aux inscriptions qui les accompagnent, ce qui permet de dater des exemplaires analogues mais anépigraphes. L’étude des modénatures permet de proposer une date pour 16 monuments qui flottaient jusque là.

Le troisième chapitre construit la typologie et livre les enseignements apportés par l’étude. Délos ne présente évidemment pas toute la gamme de la typologie générale de M. Jacob-Felsch, Die Entwicklung  griechischer Statuenbasen und die Aufstellung der Statuen (1969) et Fr. Herbin modifie certaines des datations déliennes de cette dernière. Après avoir passé en revue les exèdres, l’auteur constate qu’il n’y a pas de base en forme de proue de navire matériellement attestée mais que deux fondations de plan trapézoïdal pourraient avoir été prévues pour en porter : celle qui se trouve dans la salle nord du Monument aux taureaux et la fondation, M020, également de plan trapézoïdal.

Quelques fondations et deux blocs errants présentent des percements circulaires ou ellipsoïdaux. Si la base du palmier de Nicias est assurée, les autres peuvent avoir reçu d’autres palmiers votifs ou bien des mâts. Le sanctuaire contenait aussi des colonnes votives. Sept fondations en gardent le souvenir, ainsi que quelques éléments de fût. À l’exception d’une, elles sont toutes datées du début de l’époque hellénistique. À cela s’ajoutent divers éléments errants (bases, fûts de colonnettes, tambours de colonnes) d’attribution incertaine, qui permettent de reconstituer un total de 17 colonnes votives, presque toutes hellénistiques, dont tous les fragments ont été trouvés dans le secteur de l’Autel à cornes. Trois chapiteaux doriques non rattachés à des bâtiments connus appartiennent à l’époque classique. Trois chapiteaux ioniques sont attribués «  de manière certaine » à des monuments distyles. Les quelques chapiteaux corinthiens retrouvés dans le sanctuaire devaient appartenir à des colonnes votives. Il y a aussi les indices matériels de trois monuments distyles dont le plus ancien était peut-être dédié à Alexandre (bloc inscrit replacé par hypothèse) et, en tout cas, présentait des colonnes ovoïdes (ce qui, me semble-t-il, dans la première moitié du IIIe s. , peut encore être considéré comme un trait macédonien). Deux piliers sont restitués, un troisième, celui d’ Antiochos III,  est mieux conservé. Enfin, l’auteur mentionne un pilier (GD14, ici M088) restitué non loin du pôrinos naos, qui était certainement un pilier attalide du IIe s. dont il modifie la restitution en lui donnant un plan carré, et un dernier pilier dans l’Agora des Compétaliastes.

Grâce à celles que l’auteur a identifiées, le catalogue des bases de trépieds en totalise dix, se répartissant entre les trois types habituels : quadrangulaires, circulaires et triangulaires ou hexagonales.  Leur étude, très poussée, essaye d’expliquer le sens de l’expression « trépied delphique » et montre que la forme des trépieds ne préjugeait pas de leur catégorie : chorégique, delphique ou simplement votif.

L’étude de tous ces petits monuments permet de compléter utilement le plan du sanctuaire. L’auteur note, en conclusion, qu’il y a très peu de consécrations « guerrières » à la différence de Delphes, mais aussi très peu de consécrations agonistiques, à la différence d’Olympie. Les monuments déliens sont des offrandes de rois ou de riches particuliers imitant ces derniers. L’écrasante majorité des petits monuments déliens appartient au IIIe et au IIe s. : cet appétit de Selbstdarstellung est un trait marquant de l’époque.

Cet ouvrage apporte donc un riche matériel archéologique mais aussi d’histoire sociale qui offre une matière abondante, fort utile à la connaissance du sanctuaire délien. Les plans, d’excellente qualité, et l’iconographie abondante et elle aussi de qualité, viennent éclairer la description. Un seul regret : que l’auteur n’ait pas poussé plus loin le commentaire, notamment en ce qui concerne l’utilisation des divers espaces : de ce point de vue, la situation et l’orientation des exèdres auraient peut-être fourni des indices intéressants sur l’utilisation des lieux les plus en vue du sanctuaire.