BMCR 2021.02.02

P. Annio Floro, Virgilio: Oratore o Poeta? Introduzione, testo critico, traduzione e commento

, P. Annio Floro, Virgilio: Oratore o Poeta? Introduzione, testo critico, traduzione e commento. Texte und Kommentare, 65. Berlin; Boston: De Gruyter, 2020. Pp. 170. ISBN 9783110689761. $126.99.

Un unique manuscrit de la Bibliothèque royale de Belgique contient, sous une forme très mutilée, un dialogue attribué à un certain P. Annius Florus et intitulé Vergilius orator an poeta ? [1] Son objet était de déterminer si Virgile fut plutôt un orateur ou un poète, c’est-à-dire si son étude était plus indiquée pour la formation d’un rhéteur ou d’un versificateur. Dans la partie conservée, qui constitue le début de l’ouvrage, il n’est cependant fait aucune allusion à ce problème : on y voit Florus, à la fois narrateur et protagoniste, conter ses tribulations à un homme qui a assisté des années plus tôt à sa cuisante défaite aux jeux Capitolins sous le règne de Domitien, lors du concours de poésie.[2] Florus, devenu maître d’école (grammaticus) à Tarragone, défend aussi la grandeur de sa profession. C’est à ce bref fragment (le texte latin occupe à peine quatre pages et demie dans l’édition de la « Collection des Universités de France »[3]) qu’est consacré l’ouvrage ici recensé, le premier entièrement dédié au Vergilius… ?. Il comprend une introduction, le texte accompagné d’une traduction en regard, un commentaire, une bibliographie et un index locorum.

L’introduction affronte un problème majeur dont les termes ont jadis été résumés avec beaucoup d’acuité par Barry Baldwin[4] : celui de l’identité ou non des quatre Florus recensés (dont les prénoms et les noms varient dans nos sources) : l’auteur du Vergilius… ?, l’auteur de poèmes conservés dans l’Anthologie latine, l’ami d’Hadrien et l’auteur de l’Épitomé. Sans se montrer catégorique, St. Rocchi privilégie l’hypothèse d’un unique individu qui se serait nommé P. Annius Florus. Les autres sections de l’introduction s’attachent à reconstituer la biographie de Florus à partir des éléments fournis par le Vergilius…?, à retracer l’histoire du texte, à déterminer le genre littéraire de cet écrit, à reconstituer (prudemment) le sens général de la partie perdue, à établir le cadre temporel du dialogue fictif (le règne de Trajan, plus précisément en 103 ou 107-108) et sa date d’écriture (difficile à déterminer, mais l’auteur suggère que le dialogue aurait été composé en 122 ou 123, à l’occasion de la venue d’Hadrien en Hispanie). La langue et le style de l’ouvrage sont aussi étudiés de près, de même que les influences littéraires qu’il a subies. Enfin est évoquée la fortune de l’œuvre – de façon nécessairement succincte puisqu’on n’en trouve pas de trace claire dans l’Antiquité (Macrobe et saint Jérôme en ont vraisemblablement eu connaissance) et que l’editio princeps date de 1842.

Le texte proposé par St. Rocchi se caractérise par une tendance conservatrice revendiquée (par ex. p. vii ; 16 ; 93). Ce parti pris se matérialise par l’abandon de plusieurs conjectures qui avaient fini par s’imposer : St. Rocchi estime ainsi qu’il n’est pas nécessaire de suppléer un verbe en 2.2 ; rerum est rétabli en 2.6 ; possessio est conservé en 3.2 ; et l’est en 3.4, etc. À cet égard, St. Rocchi s’inscrit dans la lignée du précédent éditeur, Michiel Verweij,[5] en avançant des arguments différents (il se montre plus convaincant que son prédécesseur pour la défense de crimini en 1.3) ou complémentaires (concernant sa décision de maintenir consecutus seul en 3.6). Il se révèle toutefois plus enclin à admettre des corrections nécessaires (manu[m] en 1.5 ou excitantem en 3.8 ; en revanche en 3.5 il refuse, au rebours de M. Verweij, de considérer id estcomme une glose). St. Rocchi propose une seule émendation dans le texte (quam en 3.5), et une autre dans l’apparat (mihiest suppléé en 3.4) – à quoi s’ajoute une correction aussitôt écartée dans le commentaire (p. 132, ad 3.5).

L’apparat critique est fiable et lisible, encore que, comme toujours, il soit permis de diverger sur telle ou telle pratique. À titre d’exemple, s’il renonce à reproduire toutes les conjectures proposées, choix judicieux s’agissant des passages les plus controversés qui sont amplement discutés dans le commentaire, St. Rocchi mentionne en 2.2, 2.3 (et lustro) et 3.4 (et subinde) le nom du ou des savants ayant approuvé le texte du manuscrit, ce qui paraît superflu.

La version italienne se veut plus littérale qu’élégante (p. vii). Il est certes malaisé de juger de la qualité d’une traduction dans une langue qui n’est pas la sienne, mais nous estimons que St. Rocchi s’est fort bien acquitté de sa tâche dans ce domaine. Elle présente plusieurs améliorations par rapport à celle de Jal, qui constituait jusqu’ici une référence (ainsi en 1.3 audieris est bien identifié comme un subjonctif parfait et non plus comme un futur antérieur ; 2.4 pour la compréhension de Terra mater, qui désigne Cérès sans qu’il soit suggéré qu’elle soit la mère de Triptolème ; 2.8 pour le sens technique d’areas ; 3.5 pour la traduction de maximus imperator).

Le commentaire satisfait à toutes les exigences du genre. St. Rocchi prête une très grande attention au style du Vergilius…?, et cela dans toutes ses dimensions, ce qui est particulièrement bienvenu pour un auteur aussi soucieux de ce sujet que l’était Florus : les clausules, l’ordre des mots, les choix lexicaux, les sonorités, l’intertextualité font ainsi l’objet de nombreuses remarques, qui ne sont pas simplement descriptives mais aussi souvent interprétatives. À cet égard soulignons la bonne analyse des procédés mis en œuvre par le narrateur afin de manifester sa déception confinant au désespoir après son échec aux jeux Capitolins (ad 1.9). Des allusions sont faites avec mesure aux autres ouvrages qu’aurait signés Florus. Par ailleurs le commentaire fournit tous les éclaircissements historiques et sociaux dont le lecteur a besoin (ainsi sur les autres fonctions évoquées par Florus en 3.5). Il défend plus longuement diverses hypothèses, nouvelles ou non, qui emportent l’adhésion : l’épisode se déroulerait dans les parages immédiats du temple d’Auguste (ad 1.1) ; la valeur de l’otium des Égyptiens flânant dans les sanctuaires donne lieu à une réflexion intéressante (ad 2.2).

Dans ces conditions, il pourrait paraître téméraire de notre part de prétendre relever une lacune ; nous nous permettrons néanmoins d’émettre une simple suggestion. Quand Florus exalte la supériorité du métier de professeur sur maintes fonctions civiles et militaires (3.5) et assimile ce statut à celui de roi (3.8), un rapprochement avec le carmen 10, offrant des comparaisons similaires au sujet du poeta, aurait pu, nous semble-t-il, être fructueux :

Consules fiunt quotannis et noui proconsules :
solus aut rex aut poeta non quotannis nascuntur.
« Des consuls sont désignés chaque année, ainsi que de nouveaux proconsuls ; mais le roi et le poète ne naissent pas chaque année. »

La loi du compte rendu exige d’énoncer quelques remarques portant sur la forme même. Pour sacrifier à ce rite, disons qu’elle est digne d’éloge, quoique le choix de citer l’Épitomé d’après le découpage traditionnel en quatre livres, manifestement erroné, soit contestable. Quant aux coquilles, elles sont peu nombreuses.[6]

En somme, l’on doit se réjouir de la parution de cet ouvrage bien conçu, à la fois concis et complet, qui succède à un commentaire des poèmes attribués à Florus publié voilà une trentaine d’années.[7] Espérons que l’Épitomé suscite à son tour des publications de qualité pour toutes les sections qui n’ont pas encore bénéficié d’un commentaire[8] : plusieurs thèses actuellement en cours à l’université de Naples sous la direction de la professeure Maria Chiara Scappaticcio exauceront sans doute prochainement un tel souhait.

Notes

[1] St. Rocchi n’exclut pas qu’on découvre d’autres témoins dans les années à venir (p. 37).

[2] L’auteur pense qu’il est fait référence aux jeux de 94 (p. 10 et 64).

[3] P. Jal, Florus, Œuvres, Paris, 1967, t. 2, p. 96-120 (avec introduction et notes).

[4] B. Baldwin, « Four Problems with Florus », Latomus 47, 1988, spéc. p. 134-137.

[5] M. Verweij, « Florus and his Vergilius orator an poeta. The Brussels manuscript revisited », WS 128, p. 83-105.

[6] P. 89 : lire Aegyptium pelagus (et non Aegyptius) ; p. 117 : lire « folâtré » et non « folâtrer ».

[7] C. Di Giovine, Flori Carmina. Introduzione, testo critico et commento, Bologne, 1988.

[8] Nous disposons aujourd’hui de trois contributions, toutes de grande valeur : Cl. Facchini Tosi, Il proemio di Floro. La struttura concettuale et formale, Bologne, 1990 ; ead., Anneo Floro. Storia di Roma. La prima e la seconda età, Bologne, 1998 ; P. Emberger, Catilina und Caesar. Historisch-philologischer Kommentar zu Florus (epit. 2,12-13), Hambourg, 2005.