BMCR 2020.10.32

Education, religion, and literary culture in the 4th century CE

, Education, religion, and literary culture in the 4th century CE. A study of the underworld topos in Claudian's De raptu Proserpinae. Beiträge zur Europäischen Religionsgeschichte (BERG), 7. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht GmbH, 2020. Pp. 440. ISBN 9783525573211.

Dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 2018 à l’Université de Göttingen, G. Ryser entend lier l’approche littéraire et la lecture politique du De Raptu Proserpinae, s’inscrivant par là dans les études les plus récentes sur Claudien. À cela, elle entend ajouter l’étude de l’influence des concepts philosophico-religieux hérités du paganisme, et celle de l’éducation, qui informe tant l’œuvre de Claudien.

Dans l’introduction (p. 13-29), l’auteur rappelle la survivance culturelle du paganisme au moment même où le christianisme s’impose définitivement : cette cohabitation paradoxale explique plus d’une référence mythologique dans l’œuvre de Claudien. Après un très rapide rappel de la biographie de Claudien et de son œuvre, Ryser retrace les grandes orientations de la critique littéraire à l’égard du DRP : simple poème d’imitation, ou œuvre proposant des reprises innovantes, jeu littéraire fondé sur l’intertextualité, ou véritable système allégorique – dans une perspective politique, ou religieuse (orphique et éleusinienne), ou encore philosophique, offrant une lecture de la condition humaine et de l’état du monde. L’auteur resserre son étude sur le motif des enfers, fondamental dans les discours religieux et philosophique du 4esiècle (immortalité, devenir de l’âme).

Le chapitre 2 (p. 30-64) s’attache à situer précisément la culture littéraire, entre religion et tradition : dans quelle mesure est-elle un héritage commun de l’école ? peut-elle au contraire choquer les auditeurs chrétiens de Claudien ? Le mythe apparaît précisément comme une zone de contact privilégiée entre littérature et religion. Cette démarche amène l’auteur à remonter jusqu’à Homère et la Grèce archaïque et à rappeler les critiques bien connues de Xénophane de Colophon et Platon, la lecture allégorique élaborée par Théagène de Rhegion, etc. Et de conclure que les poèmes épiques ne sont pas à prendre au pied de la lettre en termes de croyance religieuse… Après des rappels généraux sur le rôle de l’éducation antique et sa réception par les chrétiens, entre rejet pour des motifs religieux, et assimilation en tant que formation rhétorique de qualité et marqueur social, l’auteur rappelle que le combat entre chrétiens et païens ne se situe pas dans le domaine de l’éducation mais dans celui de la philosophie, et plus particulière via le néoplatonisme. La question est plutôt de savoir quelle demeure la valeur religieuse des textes classiques aux yeux des derniers païens : y voir un instrument de prosélytisme n’est pas exclu – mais les précautions oratoires prises par l’auteur (p. 55 par exemple) montre qu’il est difficile d’avancer un jugement ferme et définitif en la matière. On peut ainsi se demander si le paganus pervicacissimus qu’est Claudien a fait du DRP une œuvre plus subversive qu’il n’y paraît de prime abord.

Le chapitre 3 (p. 65-151) parcourt la tradition épique qui a traité avant Claudien le motif des enfers. Sont ainsi passés en revue Virg. En. 6, 236-899 ; Ov. Met. 4, 432-480 ; 10, 1-77 et 11, 1-66 ; Lucain 6, 507-830 et 9, 1-14 ; Val.-Flacc. Arg. 1, 730-850 et 3, 377-458 ; Sil. 13, 395-895 ; Stat. Theb. 2, 1-54 ; 4, 406-645 et 7, 794-8, 126. C’est sans doute le chapitre qui appelle le plus de remarques d’ordre méthodologique. L’expression underworld depiction manque un peu de précision et conduit l’auteur à envisager des scènes très différentes : catabase, euocatio, scènes de nécromancie correspondent à des processus bien distincts dans l’Antiquité – ce point mériterait peut-être d’être formulé plus nettement. La catabase d’Énée ou celle d’Orphée, la remontée des enfers de Laïos n’ont que peu à voir avec l’enlèvement de Proserpine. Par ailleurs, l’étude de ces extraits demeure très factuelle et relève davantage du résumé que d’une étude qui permettrait de dégager des éléments structurels dans une démarche comparative : l’auteur ne met pas en place de grille de lecture qui corresponde à la problématique annoncée dans les chapitres précédents.

Le chapitre 4 (p. 152-377) se concentre ensuite sur le DRP, et tout d’abord sur les grandes sources d’inspiration identifiées par la Quellenforschung pour le mythe de Proserpine : Ovide, l’Hymne à Déméter et la littérature orphique – avec, dans ce dernier cas, un corpus particulièrement difficile à définir et délimiter et dont l’influence sur Claudien est par conséquent sujette à caution. Cette première étude du DRP est l’occasion pour Ryser de souligner sa cohérence narrative, jugée souvent faible par la critique antérieure. Cette cohérence s’articule plus particulièrement dans la notion d’une providence à l’œuvre dans l’univers, exprimée en particulier dans les discours de Jupiter. On regrette néanmoins que l’auteur n’aille pas plus loin (p. 172 par ex.) : au-delà de Jupiter et même du destin, se tient Natura dont le discours de Jupiter au livre 3 (v. 19-65) pointe l’importance, voire la prééminence.

Viennent ensuite des rappels généraux sur l’orphisme et les mystères d’Éleusis, le christianisme et le néo-platonisme – au cours desquels on perd peut-être un peu de vue le DRP. Puis, l’auteur s’engage dans le ré-examen d’extraits précis du DRP : les allusions à l’orphisme et au néoplatonisme dans le DRP relèvent-elles de la culture générale de l’époque ou constituent-elles un véritable exposé exprimant les convictions de l’auteur? Sont ainsi examinés de près le proème (1, 1-19), la description des enfers en liesse lors du mariage de Proserpine et Pluton (2, 367-372), l’évocation des Champs Élysées (2, 282-289) et de la sphère sublunaire (2, 297-299), l’ekphrasis de la tapisserie (1, 246-268). Les conclusions convergent : si ces textes sont propices à des références générales (voire superficielles) à l’orphisme et au néoplatonisme, leurs racines plongent également dans la tradition épique. De ce point de vue, il ne semble guère possible de dépasser l’étude complète et convaincante de C. Moreschini, qui voit dans Claudien et son public les représentants d’une culture érudite et éclectique mais non de grands spéculateurs.[1]

Rallié à ces conclusions, l’auteur entreprend alors une étude de la place des enfers dans la narration claudianéenne. L’originalité du traitement de Pluton est bien soulignée : Claudien exploite et réunit les différentes facettes du personnage, à la fois ravisseur, souverain et amant, ce qui contribue à soutenir l’intrigue et à lui donner une cohérence. Puis Ryser étudie le lieu de l’enlèvement, la figure des Furies, la description que Pluton donne lui-même de son royaume, la scène des noces (rapprochée de l’Epithalame pour Honorius), les chevaux de Pluton, Cérès – autre figure subversive et agent de chaos dans la narration : tous ces éléments, largement nourris par la tradition épique latine, participent de l’expression des sentiments et émotions des protagonistes, Pluton au premier chef, bien plus qu’ils ne dépeignent une topographie cohérente. Enfin, l’auteur aborde le personnage de Proserpine : celle-ci ne se réduit pas au rôle de victime, Claudien s’attache aussi à la décrire dans son statut de reine et d’épousée. Elle incarne ainsi tout à la fois l’ordre menacé du cosmos, les forces chaotiques des enfers, et le pouvoir d’apaisement et de restauration qu’est l’amour. Cette lecture détaillée et cohérente du DRP, qui se fonde à juste titre sur les études de Ph. Hardie (The Epic Successors of Virgil, 1993), et envisage à plusieurs reprises des éléments d’intratextualité dans l’œuvre de Claudien, aurait pu être complétée par une prise en compte des fragments des deux Gigantomachies de Claudien, et par l’article stimulant de B. Bureau, « Des lieux et des dieux. Quelques remarques sur les cadres spatio-temporels du Rapt de Proserpine », L’Information littéraire 4, 1999, p. 3-24.

La bibliographie (p. 383-419) force l’admiration par son extension et sa richesse. On notera simplement l’absence d’Il rapimento di Proserpina, ed. Laura Micozzi, Milan, 2012 ; on pourrait également citer plus que trois études d’I. Gualandri, qui, à travers l’œuvre de Claudien, a particulièrement étudié la place du mythe dans la culture, entre païens et chrétiens.

Suivent enfin un Index locorum et un Index nominum et rerum dont on appréciera la précision (par ex. chthonic forces avec trois sous-entrées : as driving force of plot / incursion of / winds-storm as). On relève néanmoins l’absence d’une entrée pour Natura, concept fondamental dans l’œuvre de Claudien et dans le DRP.

C’est donc un ouvrage nourri de lectures critiques abondantes et fondé sur des études de détail qui seront précieuses au lecteur de Claudien. Choisir deux fils conducteurs (la question de la culture et de l’éducation d’une part, le motif des enfers d’autre part) était ambitieux et ils ne sont pas toujours tenus simultanément, ce qui impose parfois une progression par digressions. Mais cette étude souligne bien l’originalité de Claudien, quoique ou parce que profondément nourri d’une riche tradition littéraire et philosophique, et met en évidence la cohérence narrative du Rapt de Proserpine. Si le poème n’est pas une allégorie politique en bonne et due forme, et encore moins une allégorie philosophique, il est évident que les thèmes du chaos ou de l’ordre cosmique, qui structurent l’épopée latine, se prêtent à une lecture politique.

Notes

[1] « Paganus peruicacissimus : religione e ‘filosofia’ in Claudiano », in Aetas Claudianea, ed. W. Ehlers, F. Felgentreu, S. M. Wheeler, K.G. Saur, 2004 : 57-77.