Le livre de Giampiera Arrigoni rassemble des articles déjà publiés (chapitres 1, 4, 5, 6, 8, 9, 10) et inédits (chapitres 2, 3, 7, 11, 12, 13, 14) de l’auteur. Le fil conducteur de ce recueil est le mythe d’Atalante et la volonté de souligner certains aspects de ce mythe, qui n’ont pas été suffisamment notés par la recherche précédente. Plus largement, ce travail s’intéresse à la place de la femme dans le mythe grec. La démarche de l’auteur est une étude philologique du mythe qui, en se distinguant des approches structuralistes, s’intéresse aux différentes traditions mythographiques et aux raisons qui ont poussé tel auteur à choisir telle version du mythe plutôt qu’une autre.
Chapitre 1 : « Atalanta e il cinghiale bianco ». L’auteur, qui veut retracer une généalogie du mythe au fil de la tradition littéraire d’Homère jusqu’à Ovide, entend montrer qu’Euripide n’est pas le seul à avoir introduit des innovations majeures dans ce mythe. Pour cela, elle s’intéresse au sens du fragment pindarique F 70d(b) Maehler par rapport à la tradition de Bacchylide (Epinicie V) et de l’Iliade (IX, 529-599). L’auteur discute le texte de Pindare tel qu’il a été établi par Maehler et propose une autre leçon du texte, grâce à l’appui de références littéraires et iconographiques. L’auteur compare ensuite deux traitements presque contemporains du mythe par Bacchylide (Epinicie V) et Pindare (Dithyrambe « Catabase d’Héraclès ou Cerbère »). Après avoir noté l’originalité du traitement du mythe par Bacchylide, l’auteur postule une tradition beaucoup plus ancienne dont il s’inspire, un folk tale attique, et dont elle individualise les motifs majeurs.
Chapitre 2 « L’amore di Meleagro per Atalanta in Pindaro » : cet article est la réponse à une critique de P. Grossardt (Grossardt P., 2001, Die Erzählung von Meleagros. Zur literarischen Entwicklung der kalydonischen Kultlegende, Leiden-Boston-Köln) à propos de l’article de 1977 reproduit au chapitre 1 de la présente édition. P. Grossardt critique l’idée de G. Arrigoni selon laquelle Euripide n’est pas le premier à dire que l’amour entre Atalante et Méléagre est la cause de la mort du héros. Il étudie pour cela une scholie au texte de Pindare (Dith. 4 F70d (g)= P. Oxy. 2445 fr. 8 Lobel), qui présente des liens lexicaux étroits avec Scholia ad Hom. Il. 9, 534. Pour lui, les deux scholies ont la même source : le Mythographus Homericus. G. Arrigoni réfute la lecture que fait P. Grossardt de la scholie de Pindare avec 1) deux arguments paléographiques (le δ’ est une abréviation ; il y a des obèles qui montrent que la note n’a pas forcément une unité ; 2) une preuve lexicale : contrairement à P. Grossardt qui pense que l’emploi par le scholiaste du mot δαίς au lieu de δαλός fait référence au scholiaste d’Homère, G. Arrigoni considère que ce terme a été choisi par souci de précision, pour désigner une torche allumée, en référence au verbe δαίω.
Chapitre 3 « Tracce di Atalanta in Bacchilide ». G. Arrigoni s’intéresse à Cléomène de Rhegium auteur d’un dithyrambe intitulé Méléagre, dont elle étudie les testimonia et les fragments attribués à ce dernier qu’elle situe dans la seconde moitié du Vème s. av. J.-C., confirmant la thèse de G. Schade (Schade G., 2003, Stesichoros. Papyrus Oxyrhynchus 2359, 3876, 2619, 2803, Leiden-Boston-Köln, p. 26 n. 36). Enfin G. Arrigoni démonte l’idée de P. Grossardt qui veut attribuer le fr. 25 Maehler de Bacchylide à Cléomène, notamment en discutant le sens donné à γᾶρυς/γῆρυς.
Chapitre 4 « Pomi d’oro per Atalanta da Afrodite d’oro ». L’auteur revient sur l’épisode de la course entre Atalante et Hippomène et sur la nature des pommes d’or données par Aphrodite à Hippomène pour ralentir Atalante dans sa course. Elle remarque que le texte hésiodique (Hes. F. 76 M-W) ne donne aucune précision sur l’origine de ces pommes. L’auteur propose deux hypothèses : 1) selon Ovide (Mét. X, 644-647) et plusieurs scholiastes à Théocrite (Schol. Theocr. III 40bc), les pommes d’or viendraient des Hespérides. 2) Les pommes d’or seraient une référence au pouvoir d’Aphrodite, souvent qualifiée par les épithètes χρυσῆ, πολύχρυσος. Pourtant l’auteur critique la thèse de Lugauer (LUGAUER M., 1967, Untersuchungen zur Symbolik des Apfels in der Antike, Diss. Erlangen-Nürnberg, pp. 91-3), reprise par Detienne (Detienne M., 1977, Dionysos mis à mort, Paris, pp. 101-2) et Faraone (Faraone C. A., 1990, « Aphrodite’s κεστός and Apples for Atalanta: Aphrodisiacs in Early Greek Myth and Ritual », in Phoenix 44, pp. 73), selon qui ces pommes sont investies d’un pouvoir magique.
Chapitre 5 « Alla ricerca della Meter tebana e dei veteres di ; a proposito della metamorfosi di Atalanta e Ippomene in Ovidio ». L’auteur s’intéresse à la transformation en lions d’Atalante et Hippomène telle qu’elle est rapportée par Ovide (Mét. X, 681-707) et à la tradition mythographique mobilisée. La faute religieuse des deux héros consiste à s’être unis dans un sanctuaire de la turrita Mater, où étaient placés les statues de veteres di. Parmi les scholies d’Ovide, l’une apparente la turrita Mater à Cérès (Schol. Ov. Ibis C1 457 La Penna), une confusion impossible pour un Latin, inspirée vraisemblablement des sources grecques. L’auteur examine la bibliographie antérieure assimilant la turrita Mater à Rhéa (J. Franz ; C. Robert), Gaia (Wilamowitz), ou Déméter. Grâce à des preuves topographiques, historiographiques et iconographiques, G. Arrigoni identifie la Mater turrita à la Déméter des Cabires, qui avait un sanctuaire entre Thèbes et Onchestos (patrie d’Hippomène).
Chapitre 6 « Atalanta, Ippomene e Zeus victor a Delfi ». L’auteur examine la version d’Hygin (Fab. 185 Marshall) de la fin du mythe d’Hippomène et Atalante qui profane le fanum de Juppiter victor à Delphes. G. Arrigoni se demande pourquoi un tel détour et pourquoi ce temple en particulier. Pour y répondre, l’auteur analyse l’épiclèse victor, qu’elle rapproche de l’épithète πολιεύς (avec trop peu de justifications peut-être). Hippomène commet une faute en sacrifiant à Zeus Polieus le dieu des batailles, et non à Aphrodite.
Chapitre 7 « Quando Atalanta e Melanione passano ». Cet article inédit s’intéresse à une variante du mythe d’Atalante. Hippomène est remplacé par Mélanion le fils du roi de Tégée. L’auteur montre que le caractère farouche d’Atalante ne concerne qu’une partie de la tradition, en reprenant la thèse de Druilhe (Druilhe E., 2016, Farouche Atalante. Portrait d’une héroïne grecque, Rennes, passim), qui distingue deux phases dans la vie d’Atalante : la jeune fille qui refuse le mariage, puis l’épouse, qui engendre Parthénopée.
Chapitre 8 « Quando le donne raccontano i miti : Penelope, le nutrici e le pittrici ». Cet article tiré d’une conférence sur le mythe, présente un double intérêt méthodologique : il insiste sur la perspective adoptée par les sources, souvent masculines, et montre comment utiliser les sources iconographiques et littéraires de manière conjointe sans hiérarchisation. L’auteur remarque que la figure féminine comme objet du mythe a été abondamment étudié, contrairement aux femmes narratrices de mythes, qui sont rares. L’auteur présente trois études de cas indépendantes : 1) Pénélope dans le skyphos de Chiusi (Museo Nazionale Etrusco n°62705) qui brode l’histoire de Persée encadré par deux griffons. Par cette référence aux griffons gardiens de l’or (Eschyle Prom. 792-806), elle signifie à son fils qu’elle protègera le bien d’Ulysse. 2) La critique de Philostrate l’Ancien qui dénonce l’émotivité des nourrices racontant les mythes. 3) L’auteur recense les représentations vasculaires de peintres femmes au travail et leur place périphérique dans les compositions.
Chapitre 9 « Il giuramento di Cidippe nell’Artemision di Delo ». Acontios veut épouser Cydippe et lui lance un coing sur lequel il a gravé « j’épouserai Acontios par Artémis ». Ce serment, prononcé à voix haute par la jeune-fille dans l’enceinte du sanctuaire, la fiance malgré elle. L’auteur réfléchit sur le paradoxe grammatical de cette formule qui utilise le verbe au passif dans une formulation néanmoins engageante. En réfutant la thèse de Rosenmeyer (Rosenmeyer P. A., 1996, « Love letters in Callimachus, Ovid and Aristaenetus or the sad fate of a mailorder bride », in MD 36, pp. 9-31) qui y voit un katadesmos, l’auteur interroge le poids de la parole féminine en cas de serment.
Chapitre 10 « La sorella e lo zio materno di Polinice : l’invito di Antigone a Creonte (Soph. Ant. 523) ». L’auteur veut approfondir la compréhension du vers 523 de l’Antigone de Sophocle qui a surpris tous les commentateurs : οὔτοισυνέχθειν, ἀλλὰ συμφιλεῖν ἔφυν. Arrigoni discute plusieurs interprétations (dont Chodkowski R. R., 1988, « Zur Interpretation von Sophokles’Antigone 523 : οὔτοι συνέχθειν, ἀλλὰ συμφιλεῖν ἔφυν » in Eos 76, pp. 21-37). A travers la référence au De fraterno amore de Plutarque, l’auteur recontextualise les relations entre Créon, Antigone et Polynice. Antigone correspond au modèle de la « sœur dolente » témoignant plus d’affection pour son frère que pour son fiancé, un schème illustré par des références historiques, iconographiques et folkloristes.
Chapitre 11 « Ifigenia, il cervo / la cerva. Artemide ». Dans cet article inédit, l’auteur interroge les différentes versions du mythe de sacrifice d’Iphigénie à Aulis. L’auteur s’interroge sur le sens symbolique de permutation entre la jeune-fille et la biche, inscrit dans le texte d’Euripide par le verbe ἀντιδίδωμι (I.T. 30). Elle oppose ce mythe de substitution à d’autres mythes de métamorphoses de jeunes-filles en biches, et réfute les thèses de Paul Clement (Clement P., 1934, « New evidence for the origin of Iphigeneia legend », in AntCl 3, pp. 393-409), Dowden (Dowden K., 1989, Death and the Maiden, Girls Initiation Rites in Greek Mythology, London-New York) et Bonnechere (Bonnechere P., 1994, Le sacrifice humain en Grèce ancienne, Athènes-Liège) qui, à partir d’une inscription retrouvée à Pagase-Demetrias et dédiée à Artémis laissant figurer un mot énigmatique nebeus[a…, compris comme « je fais la biche », pensaient voir dans le mythe du sacrifice d’Iphigénie l’aition d’un rite de passage de jeunes-filles, à l’image de celui de Brauron. Elle reproche à ces auteurs une lectures partiales des sources et s’appuie sur l’étude de Hatzopoulos sur les rites de passage en Macédoine pour dire que la nebeusa ne signifierait pas « faire la biche » mais viendrait de neFeuo, « faire la jeune » (Hatzopoulos M. B., 1994, Cultes et rites de passage en Macédoine, Athènes).
Chapitre 12 « Myrsine e Elaia, due atlete attiche ». L’auteur revient sur deux mythes parallèles méconnus rapportés par les Géoponica, ceux de Myrsinè et Elaia, toutes deux athlètes hors pair, tuées par des jeunes-gens jaloux de leurs victoires sportives, qui ont été transformées respectivement en myrte par Athéna et en olivier par Gé.
Chapitre 13 « I Dissoi logoi e le Spartane senza maniche e senza chitone ». L’auteur s’intéresse dans cet article inédit au vêtement des femmes Spartiates durant les entraînements sportifs et les cérémonies où elles exécutaient une performance gymnique. Elle examine un passage des Dissoi logoi (VS6, 90, II, 9). En contestant une correction de Blass et Wilamowitz qui rajoutaient un καί, l’auteur montre que les jeunes Spartiates avaient l’habitude de γυμνάζεσθαιἀχειριδώτως, « s’entraîner dans des vêtements sans manche » et ἀχίτωνας παρέρπεν, « défiler sans manteau ». L’auteur distingue deux vêtements chez les jeunes femmes Spartiates : pour les entraînements sportifs, l’exomis, une tunique courte sans manche attachée sur une seule épaule, et pour les Gymnopédies une longue tunique sans ceinture.
Appendice « Come fu che Scheneo beotico divenne padre di Atalanta arcadica ». Selon une première tradition rapportée par Apollodore (I 8, 2 § 68), Atalante serait la fille d’un certain Schoineus de Béotie ; selon Apollodore (III 9, 2 § 105), elle serait la fille de Iasos, d’Arcadie. Le problème est qu’Ovide fait de Schoineus un prince d’Arcadie et non de Béotie. L’auteur, qui cherche à savoir à quelle source Ovide puise pour changer l’origine du père d’Atalante, à travers la référence à Pausanias (VIII, 35, 10), considère que cette tradition est à attribuée à un ancien manuel mythographique qui considérait Schoineus comme un Béotien ayant émigré en Arcadie.
Chapitre de Lorenzo Fabbri « Atalanta lugens. Un dipinto di Pompeo Batoni e i sarcofagi con la morte di Meleagro ». L’auteur veut étudier les sources d’inspiration d’un tableau néoclassique de Pompeo Batoni représentant Atalante pleurant devant Méléagre à l’agonie. L’auteur reprend la thèse de E. Bowron et P. Kerber qui considère que Batoni s’est davantage inspiré du bas-relief d’un sarcophage de la collection Borghèse (Musée du Louvre). Même si l’auteur reprend l’étude de P. Zanker et B. C. Ewald selon qui l’affliction d’Atalante dans la plupart des représentations peut être attribuée tant au deuil de Méléagre qu’à la peine d’avoir perdu son trophée de chasse, il mentionne plusieurs sources attestant une liaison amoureuse entre Atalante et Méléagre, ce qui justifierait l’attitude endeuillée de la jeune-fille à la mort de ce dernier.
L’ouvrage de Arrigoni est une étude riche et intéressante qui fournit une vue caléidoscopique sur un mythe particulier. L’intérêt de cet ouvrage est aussi méthodologique, car il montre comment croiser de manière efficace et féconde les renseignements philologiques, iconographiques et topographiques, en restant attentif au point de vue des sources.