BMCR 2019.05.11

The Ancient Greek Farmstead

, The Ancient Greek Farmstead. Oxford; Philadelphia: Oxbow Books, 2017. viii, 198. ISBN 9781785706400. £36.00 (pb)​.

Ce livre est issu d’une thèse de doctorat dirigée par Christina Haywood (University College, Dublin). Il se fonde sur des sources archéologiques et textuelles. Fondamentalement, c’est avec l’archéologie que l’auteure est le plus à l’aise, notamment avec les surveys. C’est donc d’abord à ceux qui s’intéressent à ce genre d’entreprise que ce livre sera utile. L’auteure utilise particulièrement deux surveys, celui d’Hermionè-Halieis et celui de Méthana, tout en faisant appel à d’autres comme celui de Laconie ou d’Aténé (Attique). Le travail de dépouillement des publications sur lequel repose ce livre a dû être considérable1 et il est exploité par SIG (GIS). Le but de l’auteure est de mieux comprendre ce qu’elle qualifie d’ agricultural industry et ce qui en est l’expression dans les publications archéologiques, la ferme. La période étudiée est la phase 450-250 a.C. La problématisation repose en partie sur la network analysis, dans l’air du temps, et recherche les signes de connectivité dans les campagnes grecques mais le but de la réflexion est de comprendre ce que l’on peut mettre réellement derrière ce catch-all term (p. 8) de ferme ( farmstead) que les publications de surveys ont appliqué à une grande variété de sites et en quoi ceux que l’on peut qualifier véritablement de ferme participaient à l’organisation des territoires ruraux.

Le plan s’organise en six chapitres; le premier et le dernier servent d’introduction et de conclusion.

Dans le premier chapitre (Introduction, p. 1-12), McHugh définit d’abord les fermes ( farmsteads) « as rural sites, which could support either year-round or temporary occupation by a free or slave labour force engaged in agricultural activity for either subsistence or economic gain » (p. 1). Elle y rappelle les débats qui ont concerné les fermes (leur existence ou non, leur fonction de résidence permanente ou non) et l’historiographie de la question. McHugh présente ensuite les grandes étapes de la recherche sur l’agriculture grecque ainsi que le but et la méthode qui ont présidé à cette recherche: faire le bilan de ce qu’apportent les pedestrian landscape surveys sur les fermes, après des années d’interrogations méthodologiques qui ont parfois tourné au dialogue de sourds tant les mots employés pouvaient être chargés de sens différents.

Le chapitre 2 (“Ancient farming and farmsteads: sources, problems and debates”, p. 13-43) étudie le contexte social et économique, surtout sur la base de sources textuelles. Si McHugh démontre assez souvent une certaine familiarité avec les sources de la tradition manuscrite, elle ne fait en revanche que peu de place aux inscriptions utilisées rarement et de seconde main.2 Ce chapitre commence par les pratiques agricoles : irrigation, fragmentation ou unité foncière, marché de la terre. Les systèmes agraires sont simplement distingués entre extensifs et intensifs. Sur toutes les questions, l’auteure se contente souvent d’une vision trop générale: écrire que l’agriculture extensive demandait peu de travail mais offrait peu de rendements (p. 21) simplifie à l’excès un tableau. Sur les formes du peuplement (p. 27) l’auteure revient sur l’évolution de la recherche et la découverte progressive de l’existence de fermes dispersées. Abordant les travailleurs de la terre (p. 33), elle s’intéresse aux régisseurs ( bailiffs), à la main d’œuvre servile, aux travailleurs salariés et à la classe moyenne hoplitique. La propriété de la terre concerne le marché de la terre et sa répartition entre les différentes catégories de la société. Dans l’ensemble de ce chapitre, l’argumentation peine à donner une vision des réalités convaincante, originale et nuancée.3

Le chapitre 3 (“The archaeology of farmsteads and their agricultural role”, p. 44-98) propose de définir les sites découverts en survey pouvant être qualifiés de fermes, tâche d’autant plus complexe que la catégorisation des sites diffère d’un survey à l’autre. Ce chapitre est, avec le suivant, le plus novateur. Il définit les critères pour l’identification des fermes (p. 47): présence d’une tour, proximité de terres aisément exploitables et fertiles, assemblages de céramique, équipements agricoles ( trapeta, pressoirs, aires à battre, terrasses de culture). Les complexes à tour (p. 60) forment une deuxième thématique: l’auteure s’efforce de voir ce qui peut permettre de considérer qu’une tour faisait partie d’un établissement agricole et soulève la question de la fonction des tours de ferme. Vient ensuite l’examen des sites qualifiés de sites ruraux ordinaires (« simple rural sites », p. 73), sans tour ou équipement agricole apparent, qui sont toujours très nombreux et pouvaient avoir des usages très variés. Les installations agricoles (p. 87) forment une dernière catégorie de sites. Ils se caractérisent par une aire à battre les grains, et/ou un trapetum et/ou une presse à lever. Les installations sont associées soit à beaucoup de céramique, y-compris de stockage, soit à très peu. D’autres témoignent d’une activité domestique. Partant de ces observations, McHugh en tire une conclusion importante: certaines installations peuvent avoir été utilisées par plusieurs exploitants en même temps (par ex. p. 94-95) tandis que d’autres étaient propres aux grandes exploitations. Il est si difficile de trouver des pratiques communautaires dans la société rurale grecque que celle-ci doit être soulignée. On trouve dans ce chapitre une réflexion méthodologique qui sera utile pour l’archéologie de surveys, mais aussi des conclusions dont la portée intéresse toute personne qui s’intéresse aux territoires ruraux. McHugh note par exemple que la plupart des fermes sont situées sur des versants de moins de 10 à 15 %. S’appuyant sur les données chiffrées concernant les enceintes urbaines, elle fait remarquer que la construction d’une tour dans une ferme devait être couteuse pour les propriétaires, ce qui explique qu’on n’en retrouve que sur au mieux 20 % des fermes.

Le chapitre 4 (“The connected countryside: agricultural networks in the northeastern Peloponnese”, p. 99-131) cherche à retrouver ce qui faisait l’unité de ces territoires. Pour cela, l’auteure emploie la technique SIG. Le but est de retrouver les circulations par la méthode des least-cost paths. McHugh tente de reconstituer les réseaux (p. 102) de cheminements terrestres, entre la ville et les sites ruraux, et entre les sites ruraux eux-mêmes. Les cartes, nombreuses, sont un des intérêts de ce livre et le résultat tangible du SIG. Elles montrent l’étendue des zones autour des agglomérations où les temps de trajet permettaient une résidence en ville. Beaucoup de sites secondaires devaient abriter une population permanente pour que les trajets jusqu’aux terres à arables ne dépassent pas une trentaine de minutes. La résidence à la campagne n’était pas un facteur d’isolement. Une deuxième approche est fondée sur les analyses de champ de visibilité des sites. Pour les fermes, un large champ de visibilité est secondaire par rapport à la proximité de terres arables. Le choix de l’emplacement d’une ferme était donc murement réfléchi. McHugh conclut en soulignant que les réseaux de circulation à la campagne ont en définitive pu soutenir des échanges importants et structurer la géographie des fermes. Le danger d’être au bord d’une route pesait moins que les avantages de ce type de localisation. Les installations partagées sont elles aussi localisées près des routes. Il ressort de tout cela l’impression d’une réelle connectivité entre sites ruraux, ce qui forme un apport important à notre connaissance des campagnes grecques et relativise l’idéal d’autosuffisance. L’auteure, dans l’étude des effets de localisation, aurait peut-être dû prendre en compte aussi les données militaires et le désir de se trouver à proximité de forteresses.

Le cinquième chapitre (“Farming and the ancient agricultural economy”, p. 132-152) revient aux sources textuelles et souffre des mêmes défauts que le deuxième. La présentation des théories en histoire économique de l’Antiquité est inutile tellement elle est simplifiée. De même, l’étude des stratégies agricoles est si générale qu’elle ne peut que déboucher sur une banalité: la possession de la terre n’était pas seulement un signe de l’appartenance au groupe des citoyens, mais un avantage essentiel pour assurer la survie de sa famille. La distinction entre agriculture d’autosuffisance et agriculture tournée vers les marchés est certes juste, mais là encore, le débat semble résumé d’une manière caricaturale. Le travail de l’auteure livrait pourtant des éléments de réflexion pour nourrir les discussions, comme à propos des dispositifs de stockage ou de la recherche d’un accès aux marchés. Quand elle associe le développement des circulations dans l’Athènes des Pisistratides au souci des tyrans autant pour l’unification de l’Attique que pour l’économie rurale, il y a là encore des idées nouvelles. Le travail des fermiers ne se déroulait pas dans un vacuum des échanges (p. 150).

Le chapitre 6 (“The ancient Greek farmstead” p. 153-158) forme la conclusion de l’ensemble de l’ouvrage et revient sur les liens étroits entre ville et campagne, malgré l’infinie variété des situations et le caractère très adaptable de l’économie agricole. La question posée au départ — la définition d’une ferme grecque antique — amène McHugh à souligner le caractère très vague du mot et à se demander s’il ne faudrait pas abandonner le terme de « ferme » ( farmstead) pour s’orienter vers une « role-based typology of rural agricultural sites » (p. 156) qui prendrait en compte les fonctions archéologiquement visibles: habitation, stockage, transformation des récoltes. On adhèrera à l’exhortation de la page 158: il faut conserver « an awareness that agricultural industry was neither unchanged, nor monolithic, across the Greek landscape ».

En fin de compte, le livre de McHugh suscite un jugement assez contrasté. Il fait preuve parfois d’un manque d’expérience face aux sources écrites et aux débats qu’elles ont suscités qui sont évidents dans les chapitres 2 et 5. Mais il propose aussi de réelles avancées dans l’exploitation des données des surveys. Sur ce point, la réflexion aurait peut-être pu progresser plus en mobilisant d’autres surveys, comme celui de Lohmann.4 La sous-exploitation de la bibliographie apparaît également dans les passages de synthèse sur l’agriculture. Les travaux de M.-Cl. Amouretti5 auraient pu lui être bien plus utiles. Le livre de McHugh aurait sans doute gagné aussi à prendre mieux en compte la recherche antérieure, quelle que soit sa date, quelle que soit sa langue. Mais redisons-le: ce livre sera utile. L’auteure a une réelle capacité à synthétiser les données archéologiques, à leur poser des questions dans le cadre de problématiques actuelles. Son livre participe du renouveau des études agraires qui semble se manifester depuis quelques temps.

Notes

1. D’utiles appendices proposent l’inventaire cartographié des fermes reconnues dans ces surveys (p. 175-196).

2. Pourtant des livres commodes sont connus d’elle, comme I. Pernin, Les baux ruraux en Grèce ancienne. Corpus épigraphique et étude, Lyon, 2014, qui rassemble les textes de façon commode.

3. Ainsi, p. 21, la présentation des systèmes de culture est caricaturale. P. 39, sur les dépendants, les références sont de seconde main.

4. Lohmann, Hans. Atene. Ἀτήνη. Forschungen zur Siedlungs- und Wirtschaftsstruktur des klassischen Attika, I : Texte ; II : Fundstellenkatalog. Cologne: Böhlau. 1993.

5. Amouretti, Marie-Claire. Le pain et l’huile dans la Grèce antique: de l’araire au moulin. Paris: Les Belles Lettres, 1986. Par ailleurs, signalons quelques fautes de frappes sur les noms propres : Megeotte au lieu de Migeotte (p. 143 et 169) ou Eluetherai et Titherea (p. 147, au lieu d’Eleutherai et Tithorea). Le livre reste soigneusement édité.