BMCR 2016.04.22

Kinesis: The Ancient Depiction of Gesture, Motion, and Emotion. Essays for Donald Lateiner

, , , Kinesis: The Ancient Depiction of Gesture, Motion, and Emotion. Essays for Donald Lateiner. Ann Arbor: University of Michigan Press, 2015. xi, 323. ISBN 9780472121168. $85.00.

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Ce volume, dédié à Donald Lateiner pour l’ensemble de sa carrière académique, comprend dix-huit contributions assez hétéroclites. Celles-ci sont réparties suivant les deux axes de recherche principaux adoptés par Donald Lateiner au cours de sa carrière. Autrement dit, l’historiographie grecque ancienne et la paralinguistique dans la littérature antique, en particulier l’étude des comportements non verbaux. La première partie, « Ancient Greek historiography » réunit huit contributions centrées sur divers aspects des écrits d’Hérodote et de Thucydide : vocabulaire, conjugaison des verbes, études des comportements non verbaux et choix syntaxiques. La seconde partie, intitulée « Emotion and non verbal behavior », composée de dix articles, constitue un tribut direct à l’ouvrage de Donald Lateiner ˂i˃Sardonic Smile. Nonverbal Behavior in Homeric Epic˂/i˃, publié en 1995 (BMCR 1996.03.02).

Les trois premiers chapitres de l’ouvrage portent plus particulièrement sur les choix de vocabulaire et d’écriture de Thucydide dans la rédaction de la ˂i˃Guerre du Péloponnèse˂/i˃. Ainsi, Jeffrey Rusten analyse-t-il la signification du terme ˂i˃kinesis˂/i˃ dans la préface de la ˂i˃Guerre du Péloponnèse˂/i˃ (1.1.2) en faisant appel aux occurrences des termes contenant la racine ˂i˃kine-˂/i˃ dans le même ouvrage. Rosaria Vignolo Munson étudie la manière dont Thucydide, au livre 1.23, introduit, après avoir dressé la liste des souffrances humaines endurées par les Grecs, le catalogue des catastrophes naturelles qui eurent lieu au même moment (tremblements de terre, éclipses, famines, sécheresses et épidémies). L’auteur relève un « jeu de miroir » entre la sphère humaine et la sphère naturelle bien que Thucydide n’établisse jamais clairement de lien de cause à effet entre les deux univers. D’après l’auteur Thucydide place les catastrophes naturelles au-delà de la compréhension humaine, si celles-ci coïncident avec les événements humains cela ne relève que du hasard pour l’historien grec. À la suite, Edith Foster propose une étude concernant l’utilisation du présent historique (historical present tense) dans le livre 8 de la ˂i˃Guerre du Péloponnèse˂/i˃ dans lequel elle remarque une utilisation plus fréquente de ce temps de conjugaison. Thucydide aurait fait ce choix afin de rendre le récit plus dynamique et attirer l’attention du lecteur.

Les chapitres suivants sont essentiellement consacrés à Hérodote et rendent hommage à l’ouvrage de Donald Lateiner, The Historical Method of Herodotus (1989) (BMCR 02.01.10). Hans-Peter Stahl analyse les conséquences d’un trop grand optimisme sur les décisions humaines en établissant un parallèle entre le récit d’Hérodote qui relate la rencontre entre Crésus et Solon, et la décision des Athéniens de ne pas accepter l’offre de paix des Spartiates, après la victoire sur Pylos en 425 av. J.-C., rapportée par Thucydide. Les deux contributions suivantes, par Carolyn Dewald et Rachel Kitzinger (chapitre 5) puis Deborah Boedeker (chapitre 6), portent sur la signification que l’on doit prêter aux silences, dans les récits d’Hérodote, Sophocle et Thucydide. Les auteurs du chapitre 5 montrent que les silences sont, chez Hérodote, d’abord un moyen de communication politique : ils peuvent servir à retenir des informations comme à ne pas provoquer de conflits. En-dehors de la sphère politique, chez Hérodote, comme chez Sophocle, les silences sont associés à une profonde détresse morale, un état pour lequel il n’existe aucun mot pour l’exprimer. Chez Sophocle ces silences sont aussi un puissant moyen de mise en scène. La contribution de Deborah Boedeker, confirme l’analyse menée au chapitre précédent et vient préciser l’aspect politique des silences chez Hérodote (par exemple, le silence forcé des prisonniers spartiates imposé par les Athéniens [p. 111-113]) qui s’associe au refus d’exécuter certains gestes chez Thucydide (refus de se prosterner notamment).

Enfin, les deux dernières contributions de cette première partie s’attachent à l’écriture et à l’arrière-plan culturel des textes produits par les historiens grecs : Thucydide, Phylarque et Timée (vus par Polybe). Daniel Tompkins (chapitre 7), met en lumière les emprunts de Thucydide à la technique oratoire de Gorgias de Leontini dans la construction des discours d’Hermocratès (4.59-64 ; 6.33-34 et 6.76-80 ; voir p. 116 n. 1). De son côté, John Marincola (Chapitre 8), s’intéresse aux raisons de la critique virulente de Polybe envers Phylarque (récit de la chute de Mantinée) et Timée de Tauromenium (livre 12), tous deux qualifiés d’ « ignobles » et « efféminés ». Cette attaque se rapporterait à une différence de conception dans la manière de concevoir l’écriture de l’histoire chez Polybe, autrement dit : relater des comportement nobles, dignes, viriles et non des pleurs, des lamentations (Phylarque) ou encore prêter foi à des récits prodigieux ou des songes (Timée).

La seconde partie de l’ouvrage débute par une étude de Christina A. Clark concernant le comportement de Pompée au moment de sa mort dans le récit qu’en fait Lucain dans le ˂i˃Bellum Civile˂/i˃. L’analyse permet de mettre en avant la manière dont Lucain, par des indications du comportement non verbal de Pompée (gestes, coloration du visage etc.), construit puis déconstruit la masculinité de celui-ci.

À la suite, Carolin Hahnemann propose une analyse de la gestuelle (ce que l’auteur nomme « kinesics » en référence à Donald Lateiner) d’Hippolyte et de Phèdre dans l’acte 2 du Phèdre de Sénèque (v. 580-735), puis passe à une étude du rôle dramatique rempli par l’épée d’Hippolyte tout au long de la pièce. Ici l’auteur montre à la fois l’importance de la gestuelle corporelle dans le rendu des émotions, et la valeur symbolique que peuvent remplir les objets dans la trame narrative. Au chapitre 11, Ellen Finkelpearl, montre que les émotions prêtées aux animaux dans les récits d’Élien et de Pline relèvent de la stratégie littéraire, permettant aux auteurs de se placer en contradiction avec les philosophes stoïciens qui nient l’émotivité animale. Puis Hanna Roisman, analyse la mise en scène des personnalités des courtisanes dans le Dialogue des Courtisanes de Lucien.

Le chapitre suivant par Judith P. Hallett, est un hommage aux études de Donald Lateiner sur Ovide et la « syntaxe mimétique » (p. 217).1 L’analyse porte sur les vers 452-567 des Métamorphoses 1 (épisode d’Apollon et Daphné). Ovide y introduit les thèmes de l’amour et de la résistance, de l’art et du mouvement par un choix stratégique du vocabulaire, de l’emplacement des mots et de leur répétition. Cette étude met bien en avant le rôle des gestes et des mouvements corporels comme un moyen d’expression des émotions. Le jeu de poursuite-fuite entre Apollon et Daphné rendue par Ovide par une succession de verbes d’actions puis d’émotions mais aussi par l’utilisation d’images comme celle, bien connue, du chasseur et du gibier, permettent de renforcer l’expression des sentiments dans le récit.

Le chapitre 14 (Eliot Wirshbo) est un « clin d’oeil » à Sardonic Smile dans lequel l’auteur prend le contre-pied des études de D. Lateiner en s’intéressant aux comportements verbaux dans l’ Iliade, en particulier à l’emploi d’images ou de scènes formulaires (antithèses, symétries, parallélismes) qui servent à organiser le récit mais sont surtout les révélateurs d’une certaine conception du monde à l’époque archaïque basée notamment sur l’idée de polarité.2 James V. Morrison analyse le motif du naufrage dans la littérature. Il porte une attention particulière au rôle joué par le narrateur dans les récits de naufrage relatés dans l’ Odyssée et Foe de Coetzee.3

Au chapitre 16, Bruce Heiden étudie de manière ingénieuse l’épisode de la crise de hoquet d’Aristophane dans le Banquet de Platon (185c-e). Ce passage est comparé à la confrontation entre « Pire discours » (ἥττων λόγος) et « Meilleurs discours » (κρείττων λόγος) dans les Nuées d’Aristophane.4 Les deux personnages sont pris de spasmes gastriques, signes du dégoût qu’inspirent leurs discours respectifs. D’après l’analyse de Bruce Heiden, la crise de hoquet de l’Aristophane de Platon, en changeant l’ordre des discours, donne lieu à une critique envers les enseignements pédagogiques en vigueur à son époque. Platon fait d’Aristophane un sage inspiré, un philosophe, qui oppose la pédagogie traditionnelle à celle des sciences de la nature permettant de révéler les désirs de l’âme. Au chapitre 17, Daniel Levine analyse quatre scènes de la naissance d’Athéna où Héphaïstos apparaît chaussé de bottes ailées.5 L’auteur met en avant la similitude thématique entre l’aventure de Persée, décapitant la Gorgone, et le geste d’Héphaïstos ouvrant le crâne de Zeus pour aider à la naissance d’Athéna. Dans les deux cas, un objet tranchant permet la naissance de créatures extraordinaires. Pour les peintres de vases du second quart du VI˂sup˃e˂/sup˃ siècle avant J.-C., cette similitude a pu les conduire à traiter les deux scènes de la même manière en dotant Héphaïstos d’une paire de bottes ailées. La seconde partie de la contribution (p. 270-275) s’interroge sur la mention dans un texte de Philodème ( De la piété 59), de figurations, dans des scènes de la naissance d’Athéna, d’Hermès armé d’une hache, dans le rôle du « maïeuticien ». Cette mention serait à rattacher à une mauvaise lecture des images par les auteurs plus tardifs : autrement dit, ceux-ci auraient confondu Héphaïstos et Hermès, le premier étant chaussé de bottes ailées, attribut habituel d’Hermès. Mais peut-on prouver que les auteurs du I er s. ap. J.-C. aient vu ces images ?

Pour clore l’ouvrage, Brad Cook s’intéresse à la transmission des symboles (objets) d’une tradition manuscrite à une autre, ici Le Roman d’Alexandre, notant que les différences notoires qu’il peut y avoir, sont souvent motivées par des choix d’ordre culturel.

Malgré ce qu’indique le titre, il n’est (presque) jamais question de mouvement (« motion ») dans ce recueil, du moins une définition du terme était attendue. Hormis le premier chapitre (Jeffrey Rusten), qui montre le vaste champ d’application du terme kinesis (restreinte à Thucydide par la suite), la notion de mouvement—dans le sens plus précis d’ « actions, déplacements du corps ou de ses parties »—est abordée aux chapitres 10 et 13. Ce volume traite principalement de paralinguistique, de comportements non verbaux, ce qui englobe entre autres un vaste panel d’expressions corporelles ou faciales, (mais quels gestes doivent être placés sous l’appellation « mouvement » ?), et plus particulièrement d’émotions (les émotions sont-elles un « mouvement » ? si oui comment se définit-il ?). On est donc un peu décontenancé par la dissonance entre le titre du volume et la variété des thèmes abordés dans les contributions.

En conclusion, la variété des études proposées dans ce volume permet de mettre en avant la multiplicité des thèmes se rattachant à l’analyse des comportements non-verbaux dans la littérature antique et d’y replacer les travaux de Donald Lateiner désigné comme un pionnier en la matière (p. 20). C’est donc un volume d’hommage(s) réussi.

Table of Contents

Introduction to volume and Vita of Donald Lateiner
Part I: Ancient Greek Historiography
1. Jeffrey Rusten, ” Kinesis in the Preface to Thucydides” 27
2. Rosaria Vignolo Munson, “Natural Upheavals in Thucydides (and Herodotus)” 41
3. Edith Foster, “Action and Consequences: The Historical Present Tense in Book 8 of Thucydides” 60
4. Hans-Peter Stahl, “Herodotus and Thucydides on Not Learning from Mistakes” 74
5. Carolyn Dewald and Rachel Kitzinger, “Speaking Silences in Herodotus and Sophocles” 86
6. Deborah Boedeker, “Two Tales of Spartan Envoys” 103
7. Daniel P. Tompkins, “Gorgias in the Real World: Hermocrates on Interstate Stasis and the Defense of Sicily” 116
8. John Marincola, “Manly Matters: Gender, Emotion, and the Writing of History” 127

Part II: Emotion and Nonverbal Behavior
9. Christina A. Clark, “Masculinity, Nonverbal Behavior, and Pompey’s Death in Lucan’s Bellum Ciuile” 143
10. Carolin Hahnemann, “Nonverbal Behavior in Seneca’s Phaedra” 160
11. Ellen Finkelpearl, “Elephant Tears: Animal Emotion in Pliny and Aelian” 173
12. Hanna M. Roisman, “Lucian’s Courtesans: Vulnerable Women in a Difficult Occupation” 188
13. Judith P. Hallett, ” Omnia Movet Amor : Love and Resistance, Art and Movement in Ovid’s Daphne and Apollo Episode ( Metamorphoses 1.452-567)” 207
14. Elliot Wirshbo, “Verbal Behavior in the Iliad” 219
15. James V. Morrison, “Shipwreck Narratives in Homer’s Odyssey and Coetzee’s Foe” 235
16. Bruce Heiden, ” Phrontisterion 2.0: Aristophanes’ Clouds and Plato’s Critique of Pedagogies in the Symposium” 248
17. Daniel B. Levine, “Hephaestus’ Winged Shoes and the Birth of Athena” 262
18. Brad L. Cook, “From Papyrus to Peppercorns: The Tradition of Significant Objects in the Alexander Romance” 281
Bibliography of Lateiner, Contributors, Index

Notes

1. Entre autres : D. Lateiner, « Mythic and Non-mythic Artist in Ovid’s Metamorphoses » Ramus 13 (1984), p. 1-30 ; « Mimetic Syntax: Metaphor from Word Order, especially in Ovid’s Poetry », AJP 111 (1990), p. 204-237.

2. G.E.R., Lloyd, Polarity and Analogy: two types of argumentation in Early Greek Thought, Bristol, Bristol Classical Press, 1987.

3. Une petite erreur s’est glissée à la p. 241 : ce n’est pas le livre 22 de l’ Iliade mais bien le livre 23.

4. Je reproduis ici les traductions de l’auteur : « Better Speech » et « Worse Speech ».

5. L’auteur reproduit les dates peu précises données dans Beazley Archives. Pour les quatre vases analysés une date entre 575/70-540 av. J.-C. est préférable (plutôt que 570-525 av. J.-C.) Amphores tyrrhéniennes: Kluiver, J., The Tyrrhenian group of black-figure vases from the Athenian Kerameikos to the tombs of South Etrutia, Amsterdam, Dutch Archaeological and Historical Society, 2003, situe la production des amphores tyrrhéniennes vers 575-540 av. J.-C. et Carpenter, Th., « On the dating of the Tyrrhenian group », Oxford Journal of Archaeology, 2 (1983), p. 279-293, abaisse les dates vers 560-530 av. J.-C. De même, la pyxide tripode est datée vers 570-560 av. J.-C.; la coupe du peintre de Phrynos vers 550 av. J.-C.; et l’amphore du Groupe E vers 560-540 av. J.-C.